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Dans le quartier historique du Port-du-Rhin, le tram ne va pas tout régler

Le quartier historique, excentré et populaire du Port-du-Rhin est désormais relié au reste de Strasbourg par un tramway. Les rails vers l’Allemagne forment l’épine dorsale d’un grand projet qui commence à encercler les habitations de 1931. Et si les questionnements sur les liens demeurent, certains habitants remarquent des améliorations et une meilleure intégration par rapport aux débuts.

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Des dizaines de milliers de Strasbourgeois ont déboulé au Port-du-Rhin pour le week-end de l’inauguration du tram D vers Kehl, en Allemagne. Un changement majeur pour le quartier historique du Port-du-Rhin, petite enclave où les Strasbourgeois n’avaient guère l’habitude de flâner, habitée par 1 500 personnes, aux revenus souvent modestes.

Dans l’ancienne cité Loucheur, où 90% des appartements sont des logements aidés, on regarde ce défilement continu avec un mélange de fierté et de méfiance. Un habitant, qui à deux rues de là ne participe pas aux festivités, ne comprend pas cet engouement soudain :

« Je ne vois pas ce qu’un tram change. Avant il y avait un bus. La différence, c’est des rails, c’est ça ? »

Pour d’autres, le tram est surtout perçu comme un moyen de mieux se relier au reste de Strasbourg. Il était déjà facile d’aller à pied ou à vélo en Allemagne, bien que le nouveau pont soit plus agréable. Leïla Binci, habitante depuis 8 ans et impliquée au conseil de quartier et au conseil citoyen, se dit satisfaite que certains projets se concrétisent enfin :

« Il y avait des bus, mais le soir et le week-end, c’était problématique. Le tram va créer un lien avec Strasbourg, car la crainte d’être un sous-quartier est toujours présente. »

Dans les rues du Port-du-Rhin, les industries et leurs odeurs ne sont jamais loin (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Au milieu d’un énorme projet

Le Port-du-Rhin se retrouve au milieu du plus grand projet urbanistique de Strasbourg, les Deux-Rives. Environ 9 000 logements, pour 20 000 habitants, vont être construits. Avec les premiers immeubles ou la clinique Rhéna, l’extension du tramway D est l’une des premières réalisations qui fait suite »aux événements de 2009″.

« 2009 », comme disent les riverains, c’est le sommet de l’OTAN et de violentes manifestations où le quartier est pris en étau entre casseurs, les black-block venus de l’Europe entière, et les forces de l’ordre. Un hôtel, une pharmacie et un poste de douane sont incendiés. Une manifestation et quelques mois plus tard, une délibération est votée et acte que ce quartier sera relié au reste de Strasbourg, distant d’1,7 kilomètre, par un tramway.

Quand le nom Port-du-Rhin disparaît

Néanmoins la question de la jonction et les nouveaux habitants de « Strassburg am Rhein » reste un point d’interrogation et fait naître des interrogations sur l’identité même du quartier. Des habitants ont par exemple été très surpris de voir des documents où le nom Port-du-Rhin, était remplacé par d’autres appellations, comme Rives-du-Rhin, comme si ce nom avait une mauvaise connotation. Il a fallu un courrier à l’adjointe de quartier, Anne-Pernelle Richardot, pour acter solennellement que le nom Port-du-Rhin continue de figurer sur les panneaux.

À l’est, le long du Rhin, sept « émergences » (« car il ne faut plus dire des tours », raille une habitante) vont border le quartier sur le terrain de la cour des douanes, qui appartient toujours à l’État. Selon les documents de la Société publique locale (SPL) des Deux-Rives des immeubles des 15 étages, à l’image des Black Swans au Danube, ou à côté du pont de la citadelle sont prévus. Avec le projet de la Coop au nord, de nouvelles constructions auront complètement encerclé l’ancienne enclave.

Les carrés sombres représentent les projets de futures tours le long du Rhin. Le nom Port-du-Rhin ne figure pas sur ce croquis (agence TER / doc remis)

Des habitants mieux associés qu’au début

Le député (PS) et conseiller municipal Philippe Bies, de passage au TramFest samedi, pense que le tram et d’autres événements festifs peuvent améliorer l’intégration :

« Le tram et d’autres événements comme le TramFest vont créer du passage, des gens qui ne connaissaient pas ce morceau de ville, qui sera relié au reste. On peut toujours trouver des gens qui disent que c’était plus tranquille avant, mais globalement les habitants sont contents de ces changements. »

Pour la TramFest, les associations du quartier ont été associées à la fête, contrairement à l’événement à la Coop en septembre où certains accès au quartier étaient bloqués. Les habitants ont aussi eu le droit à une première traversée inaugurale le jeudi, avant même les officiels allemands et strasbourgeois le vendredi.

Pour la TramFest, des stands, des animations et des décorations des forces vives du quartier étaient disponibles. Une différence notable avec l’événement festif de septembre (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Des milliers de Strasbourgeois ont lézardé près de l’ancienne cité Loucheur (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Les Strasbourgeois d’autres quartiers ont pu découvrir les commerces du Port-du-Rhin (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

René Muller, gérant du restaurant d’insertion l’Île aux épis, se dit par exemple « très satisfait »,  car son établissement, d’habitude fréquenté par des riverains et des travailleurs du port a été découvert par des personnes extérieures au quartier, dont des Allemands.

Rachid Laaroussi, gérant du restaurant Chez Zahra, pense désormais que les habitants se sentent un peu mieux intégrés à un projet, qui « à la base, n’est pas pour nous » :

« Avec le tram, on se sent davantage strasbourgeois. Il n’y a pas vraiment eu de boulot pour les gens ici sur les chantiers ou à la clinique, alors qu’il y avait le temps de former du monde. La mixité se fera quand des commerces ouvriront, quand on ira à la même poste, aux mêmes banques, etc. »

Chez Zahra, snack où l’on refait le monde entre jeunes et moins jeunes habitants (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Mais il s’interroge sur certains impacts et les priorités :

« Le tram passe très près des habitations et certains sentent les vibrations à chaque passage. Il passe aussi juste devant l’école, sans barrières autour des rails. J’espère ne jamais voir un enfant courir et passer sous un tram un jour. »

Il regrette qu’il n’y ait pas de club de foot, comme par le passé. « Si on l’avait maintenu, il y aurait peut-être eu moins de problème », estime-t-il. Il y a bien un terrain miniature en libre-service, appelé un Hattrick, mais « il n’est plus éclairé le soir », remarque un autre habitant, venu discuter sur la terrasse.

Un terrain de foot libre d’accès, le Hattrick, a été construit, mais ce n’est pas le vivre-ensemble et l’animation d’un vrai club, regrettent des habitants (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Des habitants dans les nouveaux immeubles

Parmi les citoyens engagés dans les instances de démocratie locale, Anne-Véronique Auzet se dit davantage satisfaite par le conseil citoyen, qui ne concernent que les quartiers défavorisés (les quartiers prioritaires de la Ville – QPV), créés fin 2015, que le conseil de quartier classique. « L’échelle est mieux adaptée. Le rapport entre le temps passé et les réalisations est bien meilleur », estime-t-elle.

Une des principales améliorations ces dernières années est que des habitants des immeubles de 1931 ont pu déménager dans les constructions nouvelles :

« Les élus ont joué le jeu. Au début, on disait que ce ne serait pas accessible, car les loyers sont plus chers. C’est vrai, mais les charges sont plus basses et les APL sont calculées sur le loyer, pas les charges. »

Sur l’Ilot Jeanne d’Arc, on compte 60 logements sociaux d’Habitation moderne sur les 140 de l’opération. Architecturalement, les avis divergent entre ceux qui apprécient les formes modernes et la couleur noire et ceux qui voient un mur cache-misère.

Des habitants du quartier historique ont pu déménager vers de nouveaux ensembles tout neufs à quelques mètres (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Logements mal isolés

Pour autant, cela ne fait pas oublier que les logements historiques ont encore de nombreux défauts. Amine (le prénom a été changé), la trentaine, revient du week-end festif en famille. Pour lui, l’arrivée du projet Deux-Rives s’est résumé pour son logement « à un coup de peinture pour faire beau, mais toujours des factures délirantes », quand ce n’est pas la moisissure et les champignons.

Le message est bien remonté jusqu’à Philippe Bies, qui est par ailleurs président des bailleurs sociaux Habitation moderne et CUS Habitat :

« C’est vrai qu’un coche a été raté lors de la rénovation des années 2007 à 2009. Une étude thermographique est en cours. »

Des façades ont été refaites, mais l’intérieur laisse toujours passer le froid et l’humidité (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Espoirs atour de la maison de santé

Autre piste d’amélioration, très attendue, la construction d’une maison urbaine de santé. Non-prévue à la base, il semblerait que les débats au sein de la municipalité sur la clinique Rhéna aient eu raison de l’implantation d’un établissement où plusieurs médecins libéraux pourront se regrouper. Seul un médecin généraliste officie dans le quartier pour le moment.

Certains croient savoir que le terrain de l’hôtel Ibis, qui avait flambé en 2009, et fait office de parking est choisi. Mais ce n’est pas acté selon Philippe Bies :

« C’est l’un des terrains possible, mais il n’y a rien de confirmé. Idéalement, la maison de santé doit être tournée vers le quartier historique, qui en a besoin. Les attentes sont fortes et les rumeurs vont vite ici. »

Le terrain vide de l’hôtel Ibis qui avait brûlé en 2009 va-t-il accueillir la maison de santé ? (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Étude sur la santé

Autre signe de la prise en compte de leur situation selon des habitants, une étude impact santé (EIS) sur le projet Deux-Rives, qui doit prendre la pollution des travaux, le bruit ou la santé au travail. Ses conclusions sont sensées guider les réflexions des futurs aménagements du quartier.

Christine Kiefer, habitante depuis plus de 60 ans est l’une des mémoires vivante du quartier. Le tram est une étape vers de meilleurs lendemains, même si « les gens du Port-du-Rhin vont plus aller vers l’Allemagne que vers Strasbourg » selon la présidente de l’association des riverains du Port-du-Rhin (APOR) :

« Dans les années 1970, il y a avait la piscine de l’Océade, où tout Strasbourg venait dans l’actuel jardin des Deux-Rives. Il y avait une vingtaine de restaurants. Après, il n’y a rien eu jusqu’en 2009 et la municipalité de Roland Ries. J’ai vu les changements et il y a eu du bon. Mais maintenant, on veut des commerces. »

À l’école, on ne comprend toujours pas pourquoi le canon du char, symbole de la Libération, est pointé vers l’entrée (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

« La jonction n’est pas faîte »

De manière concrète, une supérette est attendue pour 2018. Pour autant, Christine Kiefer considère que « la jonction, n’est toujours pas faîte » entre nouveaux et anciens habitants, malgré la place de l’Hippodrome, inaugurée en 2014 et qui doit servir de trait d’union :

 « Beaucoup de nouveaux habitants ne mettent pas leurs enfants à l’école du quartier, où d’ailleurs le professeur bilingue est parti en novembre et n’a pas été remplacé. »

Sur la place de l’Hippodrome, le prêtre catholique René Fischer se trouve au milieu de ces bouleversements :

« On retrouve les même problématiques au conseil et dans la paroisse : comment permettre aux nouveaux et aux anciens habitants de se mélanger ? C’est un questionnement que j’essaie de promouvoir, à l’heure où certains se disent « après nous, il n’y aura plus rien ». La question de l’intégration doit se poser dans les deux sens. »

Tout le monde s’accorde sur un point, il reste du boulot.


#démocratie locale

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