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Comment le vieux Cronenbourg populo s’embourgeoise doucement

Bus et trams, écoquartier, petits commerces bio et jolis immeubles années 1930 à retaper… Le vieux Cronenbourg a tout du nouvel eldorado bobo de Strasbourg. Néanmoins, avec une forte concentration en logements sociaux, une population ouvrière vieillissante et une autoroute qui le sépare du centre-ville, le quartier reste très populaire. Une mixité faite pour durer ? La réponse est à découvrir lors de la nouvelle sortie commentée réservée à nos abonnés, jeudi 7 mars.

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Embourgeoisé, le vieux Cronenbourg ? Outre les prix des appartements du quartier Saint-Florent qui montent en flèche, c’est l’ouverture, en 2018, d’un petit commerce de produits bio et vegan en vrac, route de Mittelhausbergen, qui nous met la puce à l’oreille. Le magasin, tenu par une jeune femme installée de fraîche date dans le quartier, est également un lieu de retrait de paniers de légumes et fruits locaux. La gérante de BeeVrac, Marion Haenggi, confirme :

« Le magasin fonctionne bien, preuve qu’il y a une demande ! J’ai quelques clients qui viennent de Schiltigheim ou Bischheim, de Mittelhausbergen ou de Truchtersheim, mais la majorité de la clientèle habite le quartier et vient à pied ou à vélo. J’ai beaucoup de familles avec de jeunes enfants, surtout des nouveaux arrivants de 30 ou 40 ans, mais aussi quelques retraités. »

Ces clients piétons ou cyclistes habitent surtout le quartier Saint-Florent, cœur de l’ancien Cronenbourg, construit entre les années 1840-1860 – avec l’installation d’ateliers ferroviaires (rotondes) et ouverture de la brasserie – et les années 1930, mais vivent également dans les nouveaux ensembles immobiliers de Rotonde (23 000 mètres carrés livrés très récemment) et Brasserie (2014-2018).

Le nouvel ensemble immobilier, à proximité du tram Rotonde, entre les routes d’Oberhausbergen et de Mittelhausbergen, rassemble un hôtel, une résidence séniors, des logements sociaux et du privé classique (Photo Marie Hoffsess / Rue89 Strasbourg)

Situées un peu plus haut dans le quartier, entre les deux grands axes que sont les routes de Mittelhausbergen et d’Oberhausbergen, les écoles maternelle (rue Neuve) et primaire (Camille-Hirtz) sont les laboratoires de cette mixité cronenbourgeoise : à la sortie des classes, des familles de différentes catégories sociales se côtoient, les vélos cargos faisant progressivement leur apparition rue des Renards, devant le portail de l’école primaire.

« Entre primo-arrivants et petits bobos, les écarts se creusent »

Jean-François Savona, professeur des écoles (instit’) à Camille-Hirtz et habitant du quartier depuis 23 ans, est aux premières loges pour apprécier son évolution sociologique. Pour lui, à l’homogénéité sociale (ouvriers et employés) qui prédominait jadis succède aujourd’hui une dynamique contradictoire :

« Une partie du quartier se paupérise, surtout autour des grands axes, tandis que Saint-Florent devient « petit bobo », avec ses fonctionnaires ou ses cadres intermédiaires, venant notamment du secteur hospitalier (Hautepierre et Hôpital civil). Cette population, qui a les moyens d’acheter et de rénover dans de l’ancien, est attirée par la desserte en tram, le centre à 7 minutes à vélo et l’accès autoroutier hyper facile. La sortie de l’école est très bigarrée, avec des étrangers primo-arrivants, des familles d’origine immigrée complètement intégrées et ces nouveaux bobos. Cette mixité sociale est le grand intérêt de Camille-Hirtz. Mais, progressivement, les écarts se creusent. »

Route de Mittelhausbergen, le bâti reflète la mixité sociale et architecturale du quartier – Ici, en face de l’écoquartier Brasserie (Photo Marie Hoffsess / Rue89 Strasbourg)

Bénévole au Kafteur depuis des années, Jean-François Savona monte actuellement un projet de librairie-café associative route de Mittelhausbergen, dans l’ancien atelier d’un tailleur. Cette idée a germé suite à la fermeture de la librairie du quartier, L’Usage du monde, et à « l’appauvrissement de l’offre commerciale » dans le secteur.

« Manque un lieu culturel emblématique, qui fasse venir du monde »

L’Usage du monde était le bébé de Gilles Million, aujourd’hui directeur de la Confédération de l’illustration et du livre Grand Est (CIL Alsace), installée au Pôle Rotonde, dans une impasse à deux pas de la station de tram du même nom. L’ancien libraire se souvient :

« Quand j’ai ouvert en 2001, je tablais sur le fait que le quartier allait bouger, je pariais sur la gentrification [l’embourgeoisement], qui s’est produite, mais pas à la hauteur de ce que j’espérais… L’évolution sociologique est réelle à Cronenbourg, mais très lente. »

De surcroît, pour Gilles Million, le développement urbain du quartier n’est pas forcément très heureux sur le plan architectural, en particulier à Rotonde et Brasserie (partie Bouygues), et ne s’accompagne pas de la création d’un « lieu culturel structurant », vecteur de lien social. L’ancien libraire précise :

« Même si c’est consommateur d’argent public, le quartier manque d’une médiathèque [celle de Cronenbourg est située dans la cité nucléaire, au-delà de la voie ferrée et du parc de la Bergerie], d’une salle de spectacle ou d’un lieu emblématique qui fasse venir du monde. De même, on n’a pas de caviste, de bar ou de café, pour se retrouver, boire un verre… »

Pas de café ni de caviste, mais une boulangerie bio (la Petite Boulange), des épiceries, des coiffeurs et des agences immobilières, comme dans tout quartier résidentiel. Et des restaurants dans toutes les gammes, du kebab au bistrot chic, en passant par des pizzerias de bon niveau et les futurs Trois Brasseurs, au cœur de l’écoquartier. Côté événementiel, on pourrait rétorquer que le NL Contest, week-end au skatepark consacré aux rollers, BMX, skate, mais aussi graffitis et musiques urbaines, remplit ce rôle tous les mois de mai depuis une quinzaine d’années… Mais ce serait un peu court.

Le quartier Brasserie, construit sur l’ancienne friche brassicole, le long de la voie ferrée (Photo Marie Hoffsess / Rue89 Strasbourg)

À Brasserie, les « éco-valeurs » des débuts se heurtent au problème du stationnement

Il n’empêche, tout n’est pas rose à Cronenbourg, où la population s’accroît (25 000 habitants sur l’ensemble de quartier) au fil des programmes immobiliers. À Brasserie, l’écoquartier construit sur la friche des anciens locaux de l’usine Kronenbourg, l’esprit écolo des débuts se heurte à la réalité sociale et urbanistique du secteur. Guillaume Libsig, propriétaire d’un appartement rue du Brassin, apprécie la faible densité du quartier, un immobilier « encore accessible » financièrement, des petits commerces « du kebab à l’épicerie bobo », et la « mixité plutôt réussie » du quartier, mais déplore :

« À Brasserie, il y a des tensions entre les premiers habitants, conscients des éco-valeurs et des contraintes de l’écoquartier – géothermie, espaces verts partagés, pas de voitures en surface [en théorie] – et les nouveaux arrivants, qui n’en ont pas été informés ou qui n’ont pas envie de jouer le jeu. Sans parler des riverains qui viennent se garer gratuitement ici… En ce moment, on est en pleine médiation sur le stationnement avec le syndic et l’aménageur. Selon moi, les contraintes d’un écoquartier devraient faire l’objet d’un accompagnement et d’une sensibilisation auprès des habitants sur plusieurs années. Si ça devient un quartier lambda, je ne resterai pas… »

D’autant que, rappelle Serge Oehler, adjoint (PS) au maire de Strasbourg en charge des quartiers de Hautepierre et Cronenbourg, des parkings-relais sont accessibles à proximité (Rotonde et Ducs d’Alsace), sécurisés et gratuits pour les détenteurs d’une carte Badgéo (abonnement CTS). Ce qui n’empêche pas l’élu de regretter l’annulation du projet de parking en silo dans le programme Bouygues, route d’Oberhausbergen, remplacé par un immeuble de bureaux…

Le K Hôtel, sur la friche de la brasserie de Cronenbourg (Photo Marie Hoffsess / Rue89 Strasbourg)

Une nouvelle école privée à l’entrée du quartier

Comme Serge Oehler, Françoise Bey, conseillère départementale (PS) du quartier, souhaite une meilleure intégration de Cronenbourg dans le tissu urbain de Strasbourg. Celle-ci passerait par la création d’un nouveau collège au cœur du quartier – refusé par le conseil départemental -, par la réhabilitation (programmée) du tunnel piétons-cyclistes sous l’autoroute et la voie ferrée vers le centre-ville, ou l’implantation des nouveaux locaux de la Doctrine chrétienne, école privée actuellement située au centre-ville, route d’Oberhausbergen (à côté du magasin Botanic et des terrains de sport). Ce dernier projet est en cours d’étude et devrait drainer une population plus aisée, avec le risque d’accroître encore les clivages et de faire reculer un peu plus la mixité sociale, à tout le moins scolaire.


#urbanisme

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