La place de Bordeaux à Strasbourg, ses voitures, sa pelouse, sa sculpture contemporaine, ses bâtiments du XIXème et ses équipements des années 1970. Les Strasbourgeois passent régulièrement ici, qui pour se rendre au Palais de la musique et des congrès (PMC), qui à la Maison de la Région, ou, un peu plus loin, au Parc des expositions (Foire européenne, salons, Foire Saint-Jean, théâtre du Maillon….) ou au Rhénus Sport, voir jouer les basketteurs de la SIG.
D’autres passent à côté du square du Tivoli, traversant le quartier du Wacken en tram, sans savoir qu’il y a près de deux siècles, c’est à pied que les bourgeois de Strasbourg venaient se promener là, où déjeuner en bonne compagnie, hors les murs de la ville… Tivoli et Wacken, la différence ? L’un est au sud de la rivière Aar, l’autre au nord, véritable presqu’île entourée d’eau.
Démarrons la découverte du secteur par la place de Bordeaux, d’où partent les avenues Herrenschmidt à gauche et Schutzenberger à droite (celle qui nous intéresse en premier lieu).
Quand la place de Bordeaux était « la porte de Schiltigheim »
Depuis les années 1960-70, la place est occupée par le lycée Kléber, l’hôtel Holiday Inn (devenu un hôtel Mercure en 2012) et la Maison de la radio et de la télévision (occupée par France 3 Alsace). Dans les décennies qui précèdent, la place est dégagée et verte, menant aux jardins maraîchers et aux petites industries du secteur.
Des années 1880-90 à la fin de la Première Guerre mondiale en revanche, la place de Bordeaux telle que nous la connaissons est coupée en deux par la dernière enceinte de Strasbourg, édifiée par les Allemands après la prise de la ville en 1870. Elle est appelée alors « porte de Schiltigheim » ou Schiltigheimerthor.
La place doit son nom actuel, donné en 1919 et repris en 1945, à la Protestation solennelle des députés alsaciens lancée à l’Assemblée nationale exilée à Bordeaux, contre l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne de Bismarck. Les rues avoisinantes portent d’ailleurs les noms des députés protestataires : Lauth, Edouard Teutsch, Jacques Kablé, Charles Grad, Jacques Preiss, le Chanoine Winterer…
Or, cette fortification rompt le lien originel entre le parc des Contades et celui du Tivoli. Dans un article rédigé par l’ADIR (Association pour la défense des intérêts de la Robertsau), à partir des travaux de l’historien du quartier, Eric Stumm, l’on peut lire :
« [Vers 1600] on voit l’installation, à l’endroit actuel du Parc des Contades, du lieu d’entraînement de la confrérie des arquebusiers et des tireurs dénommé Schiessrain. L’Ile Jars [qui doit son nom soit à l’Aar, soit aux élevages d’oies présents dans le secteur à l’époque] en constituait le prolongement naturel.
En 1714, naît la première construction sur l’Ile […] appelée le château de l’Ile Jars. Le XVIIIème siècle est la période la plus prestigieuse du Tivoli. Les nobles, propriétaires ou occupants du château, parmi lesquels le Maréchal de Coigny, puis le Marquis de Contades, eurent suffisamment d’influence pour accueillir l’intelligentsia française, tel Voltaire en 1753, qui a donné son nom à une des rues du quartier, et Jean-Jacques Rousseau, aperçu là en 1765.
[…] À partir de 1876, de nouvelles fortifications sont construites selon les plans du Maréchal Moltke et séparent ainsi pour la première fois le secteur de l’Ile Jars du parc des Contades, enfermé désormais derrière la volumineuse porte de Schiltigheim. Durant la guerre de 1870, le château de l’Ile Jars a été très endommagé par les bombardements. »
« Une croûte ronde, farcie de foie gras entier, complétée de farce de veau et de lard »
Dans ce château disparu aujourd’hui, apprend-t-on de la même source (et d’autres, plus ou moins chauvines), le pâté de foie gras d’Alsace, tel que nous le connaissons, aurait été préparé pour la première fois, avant d’être adopté par la cour de Louis XVI :
« En 1778, le Marquis de Contades a embauché un jeune chef cuisinier, Jean-Pierre Clause, et a exigé de lui une cuisine résolument française. Clause s’exécuta et confectionna une croûte ronde, farcie de foie gras entier, complétée de farce de veau et de lard, le tout recouvert d’un couvercle et mis au four à feu doux. Ce fut un succès, une acclamation parvenue très vite aux oreilles du roi Louis XVI et du célèbre Brillat-Savarin. Jean-Pierre Clause poursuivit par la suite sa carrière de producteur de foie gras rue de la Mésange à Strasbourg. »
Le restaurant du Tivoli : haut lieu de distractions vers 1900
Vers 1900, les constructions de villas se multiplient au Tivoli, à l’initiative de la famille Schutzenberger, propriétaire des terrains. Plusieurs membres de cette famille de brasseurs, installés rue des Balayeurs à la Krutenau, puis à Schiltigheim, ont joué un rôle de premier plan à Strasbourg, tel le maire Georges-Frédéric Schützenberger qui, vers 1840, lança une grande campagne de plantation d’arbres et d’aménagement des parcs de Strasbourg, dont ceux de l’Île Jars (Tivoli) et des Contades.
Ces maisons sont encore celles que nous l’ont peut découvrir en flânant dans les rues de l’Ile-Jars, Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Andrieux et Gustave-Brion. L’avenue Schutzenberger est quant à elle ainsi dénommée depuis 1923.
L’appellation de « Tivoli », donnée au quartier en hommage à la ville italienne éponyme réputée pour ses jardins et cascades, semble être définitivement adoptée vers la fin du XIXème siècle. À cette époque, le restaurant du Tivoli et sa salle de spectacle attire tout ce que Strasbourg compte de bourgeois ou étrangers, avides de distractions (bals et concerts, kiosque à musique, jeux divers…). À la place du restaurant et des fortifications, qui disparaissent après 1918, le parc du Tivoli est ainsi baptisé dans l’Entre-deux-guerres, jardin discret et accueillant, où se retrouvent les habitants du quartier.
Avant le PMC, les maraîchers
Un peu plus avant sur l’avenue Schutzenberger, côté gauche, le Palais de la musique et des congrès, inauguré en 1975 par le maire de Strasbourg Pierre Pflimlin, a failli être l’œuvre du célèbre architecte Le Corbusier, comme l’explique la fiche correspondante, très complète, sur le site Archi-Wiki. Avant d’accueillir l’équipement tertiaire que l’on connaît aujourd’hui, le site est occupé par des jardins maraîchers (voir le triangle en culture sur la photo aérienne ci-dessous, citée par l’Association de défense des intérêts des riverains de la rue du Tivoli – Sauvons le Wacken).
A l’arrière du PMC, la petite rue du Tivoli donne d’un côté sur le parking du Palais des congrès, de l’autre sur l’Aar. Jusque dans les années 1960, les habitants et artisans qui vivaient là, raconte-t-on, se baignaient dans la rivière aux beaux jours…
Tanneurs et chauve-souris
Le parking du PMC longe l’avenue Herrenschmidt, situées sur les anciennes « prairies de Schiltigheim » jusque dans les années 1930 (Dictionnaire historique des rues de Strasbourg, Le Verger éditeur, 2012). Cette seconde avenue tire son nom de celui du propriétaire des tanneries qui se trouvaient au nord de l’Aar (quartier des banques), rasées dans les années 1960. On se souvient qu’en 2013, la découverte d’une exceptionnelle colonie de chauve-souris, décimée par l’abattage de l’arbre dans laquelle elle avait trouvé refuge en bordure du PMC, avait fait grand bruit…
De l’autre côté du Palais des congrès, une fois l’Aar traversée, l’avenue Schutzenberger bute sur la place Adrien-Zeller. Ex-place du Wacken, cette dernière est renommée en 2010, après la mort du président de la Région Alsace, sous la présidence duquel la Maison de la Région (bâtiment aux façades vitrées donnant sur la place) a été construite en 2005.
Sur cette place également, le Parc des expositions est construit dans les années 1920. Le dernier hall encore debout abrite, pour quelques années encore, le théâtre du Maillon. Ce dernier devrait être détruit et reconstruit en face de la Maison de la Région, côté avenue Wenger-Valentin, pour laisser la place à des bâtiments neufs, dans le cadre du quartier d’affaires Wacken-Europe.
Sur cette place Adrien-Zeller encore, une maison alsacienne semble un peu perdue, là, entre ces équipements tertiaires plus ou moins modernes. Elle abrite le restaurant S’Wacke Hiesel, où déjeunent chaque midi les costumes-cravates du quartier. L’on peut s’interroger sur son sort, puisqu’à en croire le visuel ci-dessus, d’autres locaux seraient prévus sur ce site, en bordure de l’Aar…
Cité eugéniste, avec vue sur le Parlement
De part et d’autre de cette maison alsacienne et de son parking (un peu sauvage), l’Allée du Printemps et la rue de la Berge-des-Roseaux s’enfoncent dans la cité Ungemach et ses maisons à loyers modérés, avec vue sur le Parlement européen. Avec ses 138 pavillons entourés de jardins, la cité est construite dans les années 1920, à l’initiative de l’industriel Charles-Léon Ungemach, soucieux de loger là « de jeunes ménages en bonne santé désireux d’avoir des enfants et de les élever dans de bonnes conditions d’hygiène et de moralité ».
Cette expérience est qualifiée d’eugéniste, écrivions-nous en février 2016, au sens donné à cette époque en France. Elle relève davantage de l’hygiénisme social puisque seuls les couples en excellente santé furent sélectionnés pour habiter dans ces constructions, et ce jusque dans les années 1980. Quelques familles qui habitaient ces maisons depuis plusieurs générations ont quitté le quartier en début d’année, car les loyers ont parfois doublés pour certains locataires dont les critères ne correspondent plus à ceux d’attribution.
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