Eté 2013, 9 heures, à l’angle de la rue de Bucarest et de l’avenue du Rhin, en face des terrains de foot. Une famille sort de la résidence Le Bruckhof, un immeuble géré par le bailleur social Habitat de l’Ill, habité depuis quelques mois. Les rires résonnent dans la cage d’escalier où s’alignent une dizaine de boîtes aux lettres.
Un peu plus loin, toujours rue de Bucarest, cette fois en plein cœur de ce nouveau « morceau de ville » inauguré par les géants du BTP Bouygues et Eiffage le 11 juillet dernier, l’ambiance est calme, résidentielle. Les immeubles sont plus cossus. En levant le nez, l’on aperçoit une femme en train de bronzer sur une chaise longue. Le balcon est généreux, enchâssé dans ses barreaux de métal noir. Au rez-de-chaussée de la résidence, des carrés de jardins. L’un accueille déjà une ribambelle… de nains de jardin.
En face, dans l’ilot sud, le long du Ziegelwasser (photo en haut de page), les travaux sont en cours de finition. Ici, la pelouse est en encore en phase de pousse, des récupérateurs d’eau de pluie inutilisés sont disposés sur les terrasses en rez-de-chaussée, des panneaux solaires habillent les toits. Comme ailleurs au Bruckhof, la peinture grise et le blanc sur des murs en béton dominent, mais le bois est aussi présent, assurant un peu d’intimité et de chaleur aux balcons, proches les uns des autres. On est loin néanmoins de l’image de « quartier vert » vendue par Bouygues.
D’ailleurs, au printemps 2012, le promoteur présentait encore un projet appelé « Jardins de l’Ecopole », rebaptisé aujourd’hui… « Allées de l’Ecopole ».
En fin d’année, les 657 logements de ce nouveau quartier du nord de Neudorf seront habités, aussi bien les logements sociaux (Habitat de l’Ill et CUS Habitat pour 25% des surfaces, auxquelles s’ajoutent 10% d’accession sociale à la propriété) que les résidences étudiantes (Fac Habitat et le Crous) ou des appartements privés, dont certains sont loués par Foncia. Les commerces, dont les « cellules » sont aménagées en bas d’immeubles le long de la station de tram, devraient être occupés d’ici quelques mois. L’hôtel Ibis, au coin de l’avenue du Rhin et de l’avenue Aristide-Briand, accueillera ses premiers clients en 2014.
Comment densifier sans bétonner
Si le Bruckhof devient progressivement un quartier comme un autre, « ni pire, ni mieux » que ce qui se fait ailleurs dans l’agglomération, où l’on construit près de 3 000 logements par an depuis quelques années, cet ensemble urbain a catalysé un débat important : dans une ville où l’on s’accorde sur le besoin en constructions supplémentaires, comment densifier l’habitat sans bétonner ? Comment aussi, construire la ville dans ses limites sans sacrifier la qualité de vie des futurs habitants ?
Sur le Bruckhof, les réponses à ces questions ont différé entre les options prises par la précédente municipalité de Fabienne Keller, qui a engagé le projet en 2006 et validé la désignation du groupement Bouygues-Eiffage-Habitat de l’Ill pour construire cet ensemble (voir le courrier (PDF) de désignation du groupement), et celle de Roland Ries qui a pris les manettes en 2008, adaptant le projet à ses objectifs politiques : plus de logement social et surtout plus de logements tout court.
Différences entre les projets (Werlé versus Bies)
- 320 logements versus 657 – Avec le même plan-masse (surface au sol), l’équipe autour de Geneviève Werlé, adjointe à l’urbanisme de Fabienne Keller, faisait 320 logements et autant de places de parking en sous-sol. Le Bruckhof remanié par l’adjoint au logement de l’équipe de Roland Ries, Philippe Bies, comporte 657 logements pour 500 places environ, soit 0,8 places par logement. « Les étudiants n’ont pas tous une voiture », argue Philippe Bies. « Où les gens vont-ils ranger les trottinettes, les vélos en hiver et même les skis? », s’interroge l’opposition.
- 10% de social versus 35% – Le projet Keller-Werlé comportait 10% d’accession sociale à la propriété et pas de logement social, « déjà très présent dans le quartier ». Les appartements étaient grands, de 2 à 5 pièces. Le projet Ries-Bies a divisé les surfaces pour faire plus de petits logements, et notamment des studios pour étudiants. Selon Philippe Bies, ce redécoupage ne devrait pas entraîner d’augmentation de la population globale du quartier : « On vit à 4 ou 5 dans un 5-pièces, autant que 5 étudiants dans 5 studios! ».
- R+2 à 5 versus R+6 – Ce qui renchérit la densité de population en revanche, c’est la surélévation des bâtiments. Deux à trois étages ont été rajoutés sur chacun des immeubles. « Ces ajouts entraineront une plus grande promiscuité et des tensions », prédit Fabienne Keller, qui défendait avec son adjointe des bâtiments bas le long du Ziegelwasser, pour que tous les immeubles puissent avoir des balcons avec vue sur le ruisseau, même ceux le long de la route du Rhin. « De la densité oui, mais plus comme ce qui s’est fait sur l’ilot Lombardie [au sud de la place de l’Etoile] ou à la Kibitzenau, note encore la candidate à la mairie de Strasbourg en 2014. Là, on refait ce qu’on a détruit au Neuhof ! »
« La densité est acceptable à certaines conditions, concède Philippe Bies, [et notamment] si elle mêle habitat, activités et nature, sous toutes ses formes ». Habitat, check. Activités, check. Nature ? Même si l’ilot sud du Bruckhof sera doté d’un hôtel à insectes et d’un nichoir, cet ensemble en béton n’a qu’un lien ténu avec cette nature dont parle le néo-député du Bas-Rhin. Et ce n’est pas la méthode Coué du patron local de Bouygues Immobilier qui va y change quelque chose : « C’est un quartier très vert, avec ses terrains de foot… même s’ils sont en synthétique ».
Aller plus loin
Sur Strasbourg.eu : revoir le débat sur le Bruckhof en conseil municipal du 18 juin 2012
Sur Rue89 Strasbourg : du Heyritz à Kehl, Strasbourg aura changé de visage dans un an (photos du Bruckhof en chantier)
Chargement des commentaires…