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Quand Strasbourg fut choisie pour construire le Parlement européen

Archives vivantes – Comment en est-on arrivé à construire un Parlement européen à Strasbourg ? Symboles, projets farfelus et batailles politiques ont permis la construction de ce bâtiment en verre, dont on fête bientôt les 20 ans.

Vidéo

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La première vidéo est muette car le commentaire était enregistré en direct à l’époque. (Vidéos INA)


En 2018, difficile d’imaginer les centaines d’eurodéputés, leurs assistants, l’administration, groupes d’intérêt et les journalistes débouler au Palais universitaire de Strasbourg, pour une session parlementaire de trois jours. C’est pourtant là que se tient la session fondatrice du Conseil de l’Europe en 1949.

Certes le Conseil de l’Europe, qui veille aux droits de l’Homme et à la démocratie dans 47 pays désormais n’a pas de lien avec le projet économique de l’Union européenne (UE). Mais cet élément diplomatique et symbolique, donne un nouveau rôle à Strasbourg qui va lui servir par la suite. Les représentants des pays membres se retrouvent dans la Maison de l’Europe, bâtiment provisoire et vite exigu.

La Maison de l’Europe construite en 1950 face à l’Orangerie (auteur inconnu / source Archi wiki)

Les prémisses de l’Union débutent à six pays, avec la communauté européenne du charbon et de l’Acier (CECA) en 1952. Une assemblée consultative est aussi fixée « provisoirement » à Strasbourg par traité. Avec les années, la paix s’installe en Europe et l’aventure européenne se poursuit avec le traité de Rome en 1957. On imagine alors un site de travail plus vaste et adapté.

Plusieurs villes européennes sont en compétition : Strasbourg présente trois sites : Oberhausbergen, avec un projet inspiré de la ville Brasilia, le Wacken et… Scharrachbergheim. Strasbourg l’emporte avec un vaste ensemble de l’Orangerie à la Robertsau, bien plus étendu que le quartier européen actuel.

Le Parlement européen à Oberhausbergen, inspiré de Brasilia

Le plan imaginé pour accueillir le Parlement européen à Oberhausbergen s’inspire de la ville de Brasilia (Source Archi-wiki / Archives de la Ville de Strasbourg)

Le Parlement européen à Scharrachbergheim

En 1957, on imagine que le Parlement européen pourrait se situer à Scharrachbergheim, dans l’ouest de Strasbourg. (Source Archi-wiki / Archives de la Ville de Strasbourg)

Un immense projet à la Robertsau, jamais réalisé

L’immense esplanade imaginée à la Robertsau part de l’Orangerie, en bas de la maquette, jusqu’à l’entrée du quartier actuel. Sur ce projet les espaces utilisés par les institutions actuelles, à gauche de l’image, . (Source Archi-wiki / Archives de la Ville de Strasbourg)

Strasbourg est alors choisi pour son symbole franco-allemand d’une Europe réconciliée et… parce qu’elle accueille déjà une assemblée européenne, le Conseil de l’Europe. Dix ans plus tard, les représentants des six puis neufs pays de l’Union européenne trouvent refuge dans le Palais de l’Europe, inauguré en 1977 pour le Conseil de l’Europe et loué aux eurodéputés. Le bâtiment carré avenue de l’Europe, parfois surnommé le « Cuirassé Potemkine », mélange des architectures européennes explique un reportage aux côté de l’architecte belge Henri Bernard. Le courant classique méditerranéen axé sur la perfection, et le courant gothique axé sur « la dynamique de la vie » (2e vidéo). Le reportage évoque les incertitudes sur l’avenir du siège du Parlement européen et indique que Strasbourg est quelque peu « boudée ».

Sur ce côté de la rive de l’Ill, des terrains de tennis et une patinoire en hiver occupaient l’avancée arrondie de terre. Une piscine extérieure cohabite un an avec ce bâtiment. Sa démolition en 1978 coïncide avec la construction de l’actuelle piscine du Wacken en 1979, à quelques centaines de mètres de là. L’espace libéré permet de bâtir d’autres édifices pour bureaux (les IPE 1, 2 et 3).

Les débats sur l’installation à Strasbourg sont relancés au début à l’occasion de nouveaux traités européens dans les années 1990. Il s’agit de fixer un « siège » au Parlement européen et donc un lieu de travail permanent. Et comme l’Europe s’élargit, il faut donc un nouveau bâtiment de travail définitif, qui n’est plus partagé.

Avant la construction du nouvel hémicycle, le bâtiment Louise Weiss ou IPE IV, le site du Wacken abrite un square au bord de l’eau, le square Henri Spaak, entre le parc des expositions et la Cité Ungemach.

Le Wacken en 1965, avant que le Parlement européen ne soit construit (Archives France 3 Alsace via archi-wiki)

Les « nuits d’insomnies » de Catherine Trautmann

Maire de Strasbourg de 1989 à 1997, députée européenne pendant 18 ans, et toujours élue à la Ville et à l’Eurométropole de Strasbourg, Catherine Trautamnn (PS) retient « beaucoup de nuits d’insomnies » où se mélangent des considérations d’urbanisme et des coups politiques :

« Au début, on avait imaginé une tour, dont la hauteur serait identique à la plateforme de la Cathédrale, pour l’administration. Mais quand les députés l’ont vue, ils ont voulu être au cœur des débats, à deux pas de l’hémicycle et non en face. Il a fallu revoir les bureaux en cours de chantier. Cela a été un chantier hors normes, sur des pilotis en béton car c’est une zone inondable, avec des faillites d’entreprises en cours de route. Il a aussi fallu changer l’hémicycle, trop incliné. Par rapport à ce qui se fait ailleurs, il faut beaucoup plus de cabines de traduction (même l’Onu n’a que 5 langues, ndlr). Avec le temps, l’hémicycle a fait ses preuves et le choix de ce lieu pour l’hommage européen à Helmut Kohl n’est pas anodin. »

Mais le plus compliqué n’est pas tant le chantier, ce sont les tractations politiques. Catherine Trautmann a beau figurer en bonne place sur la liste socialiste aux élections européennes de 1989 à la demande de François Mitterrand, alors président de la République, elle trouve que le soutien français à Strasbourg n’est pas assez fort.

Le 7 mars 1990, elle organise une conférence de presse à Paris sans même avoir prévenu François Mitterrand. « Un coup de poker, avec des maquettes en bois. » Le gouvernement joue le jeu. Rebelote lorsque la lettre sur la garantie d’emprunt est mystérieusement égarée à l’occasion d’un changement de gouvernement en 1993.

« J’ai demandé à mes deux prédécesseurs ce qu’ils auraient fait. Marcel Rudloff me conseille de ne pas y aller, Pierre Pfimlin dit au contraire « il faut l’encourager ! » J’annonce la construction et ça passe, le Département et la Région suivent. »

Il s’agit alors de financer un bâtiment à 3 milliards de francs. Le Parlement s’engage à louer puis acheter les locaux dix ans plus tard.

Le MI-6 britannique a-t-il visité le bureau de Catherine Trautmann ?

En plein milieu des tractations, françaises comme européennes, Catherine Trautamnn retrouve son bureau cambriolé :

« J’ai raconté la scène au gouverneur militaire à Strasbourg. Lorsque je lui décris les détails, il me demande. “Mais qu’avez-vous-fait aux services secrets britanniques ?” Heureusement, il n’y avait rien dans mon bureau car je n’y laissais rien. Un dossier déposé au Parlement avait déjà mystérieusement disparu. Les britanniques ont peu supporté cette réconciliation franco-allemande… »

L’élue retient « beaucoup de bâtons dans les roues » et aussi un sprint sur le tarmac de l’aéroport de Francfort derrière le président du Parlement, Egon Klepsch, pour lui promettre une traduction d’un avenant de contrat dans la soirée. Mais aussi quelques alliés fiables dans les administrations européennes et françaises. La maire est convaincue que le chantier a permis à Strasbourg d’acquérir une ligne TGV avant d’autres agglomérations.

Dans le même temps s’engage une course de vitesse avec ce qui est à l’origine « un centre de congrès privé », vite proposé aux députés. Auprès de la Commission, Bruxelles devient aussi un lieu de travail avec des « sessions additionnelles », qui prennent de plus en plus d’ampleur. Les querelles sur le siège ne cessent jamais, même si le statu-quo demeure. « Il faudrait le même soutien aérien que ce qu’on a eu sur le ferroviaire », estime désormais Catherine Trautmann, qui préside une task-force pour défendre Strasbourg. C’est non sans une certaine satisfaction qu’elle constate moins de vingt ans plus tard, le bâtiment bruxellois « en béton et en métal pour aller plus vite » présenter des signes de faiblesse.

Chantier hors norme

René-Henri Arnaud, l’un des sept architectes d’Architecture Studio à avoir travaillé sur le chantier se rappelle de la spécificité « d’avancer alors que dans le même temps il y avait de l’incertitude sur le bâtiment ». Pour le dessin, le cabinet tente la nouveauté :

« En Europe, on a le modèle grec pour les Parlements mais qui a connu une reprise fasciste. Ce bâtiment devait incarner la modernité, sans avoir de références architecturales passées. Le verre incarne bien sûr la transparence. Réaliser un chantier d’une telle ampleur a été un tremplin pour travailler partout dans le monde désormais, notamment en Chine. »

La tour est volontairement incomplète pour laisser l’idée d’une Europe en construction… L’hémicycle fait l’objet d’un travail particulier :

« Dans l’hémicycle, on a câblé tous les sièges avec des écrans sur les pupitres (« les eurodéputés vont regarder du foot craignaient les réfractaires », se rappelle Catherine Trautmann). L’hémicycle justement est conçu comme un studio de télévision, sans lumière directe. Il s’agissait aussi concevoir dès l’origine un immense bâtiment adapté aux enjeux médiatiques et du numérique. »

Dans les sous-sols du quartier du Wacken, de massifs câbles de fibre internet sont tirés. Un atout aujourd’hui pour attirer des entreprises dans le futur quartier d’affaires Archipel. Le Crédit mutuel a notamment choisi d’ y implanter sa filiale informatique Euroinformation.

Un bâtiment qui se referme

Alors qu’aujourd’hui, le Parlement européen fait fermer les berges qui le longent et se retranche derrière ses murs, ce n’était pas l’idée initiale. Mais les architectes étaient conscients que le bâtiment pourrait changer avec les époques :

« On imaginait la place ronde au milieu de la tour comme une place publique, ouverte. C’était un temps complètement différent. Aujourd’hui, on ne pourrait plus imaginer un tel bâtiment avec les standards de sécurité actuels. »

Pourtant David Rolin, l’architecte d’Art and Build choisi pour dessiner Osmose, de nouveaux bureaux réservés dans un premier temps aux institutions européennes, imagine aussi une ouverture vers les citoyens. Une zone piétonne et cyclable remplacerait l’actuelle rue Lucien Fèbvre, qui descend vers la Cité Ungemach. Pas sûr que cette porosité résiste aux nouvelles habitudes…

Le courroux britannique

Avant le lancement, les équipements sont testés par des lycéens strasbourgeois (vidéo 4). À l’inauguration en 1999 par le président Jacques Chirac, on retrouve, déjà (!), des Britanniques mécontents du fonctionnement de l’Union européenne (vidéo 5). Moins de 20 ans plus tard, ses citoyens votaient pour une sortie de l’Union européenne, passée entre temps à 28 membres.


#catherine trautmann

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