Leur nom est PM 10, PM 2,5 ou encore Oxyde d’azote (NOx). Ces acronymes vous sont peut-être peu familiers, mais vous respirez ces particules tous les jours. Et encore plus en ce début d’année 2015. En janvier, en février et en mars, Strasbourg a connu plusieurs dépassements des « seuils d’information », c’est-à-dire un niveau où la concentration de ces molécules chimiques nécessite une communication au grand public, souvent reprise par les médias. Au stade d’information, la préfecture se contente de recommandations. Les voici :
« Pour les personnes sensibles, c’est-à-dire les femmes enceintes, les nourrissons et jeunes enfants, les personnes de plus de 65 ans, les personnes asthmatiques, ou présentant une pathologie cardiaque ou respiratoire, limitez les sorties aux abords des grands axes routiers ainsi que les activités sportives à l’intérieur comme à l’extérieur. Évitez l’utilisation de certains foyers ouverts, appareils de combustion de biomasse non performants ou groupes électrogènes et limiter les déplacements en voiture. Dans l’industrie : reporter certaines opérations émettrices de particules et le démarrage d’unités à l’arrêt. »
Dans le cadre des particules fines PM 10, dont la concentration à Strasbourg a été la raison des déclenchements des trois seuils d’information, le niveau retenu est de 50 microgramme par mètre-cube (µg/m³). À partir de 80 μg/m³, on arrive au niveau d’alerte : la préfecture doit prendre des mesures pour limiter l’impact de la pollution routière, notamment l’abaissement des vitesses maximales pour les véhicules et des transports en commun moins chers, voire gratuits.
Le seuil d’alerte non atteint
Le niveau d’alerte d’alerte pas été atteint en 2015 à Strasbourg, sauf au lendemain du 1er janvier où les pétards combinés au froid provoquent chaque année une dégradation de la qualité de l’air quelques heures. Aucune disposition n’avait alors été adoptée. Mais en février, le seuil d’information a été atteint du 8 au 21 février. Un décret ministériel entré en vigueur le 1er juillet, prévoit que lorsqu’un tel stade dure plus de 3 jours consécutifs, la procédure correspondant au dépassement du seuil d’alerte doit être déclenchée automatiquement, ce qui n’a pas été le cas car les stations de référence ont changé. (voir notre article complet sur le sujet).
Du 8 au 12 mars, c’est un nouvel épisode de quatre jours qui s’est ajouté à celui de février. Ces phénomènes sont dûs à une forte consommation énergétique (logements et trafic routier), ajoutée à une inversion de température, après des nuits sèches ou d’air chaud venu du sud. Résultat, il fait plus chaud sur les hauteurs des Vosges qu’en plaine d’Alsace, ce qui empêche les particules de se dissiper. Entre la Forêt noire et les Vosges, la position « en cuvette » de l’Alsace facilite ces pics et augmentent leur intensité.
Objectif : passer de 370 à 250 000 morts prématurées
Mais ces seuils à quoi correspondent-ils ? Ils sont les mêmes dans les 28 pays de l’Union européenne. S’ils sont respectés, le nombre de morts prématurées en France serait abaissé de 350 000 (en 2000) à 270 000 en 2020. Si l’on rapporte ce calcul à la population de l’Alsace, cela serait tout de même 8 100 morts prématurées à cause de la pollution. Un risque qualifié « d’acceptable » par les autorités européennes.
Or ces seuils ne sont pas encore respectés. Actuellement, le niveau de pollution autour de 15 agglomérations françaises (dont Strasbourg) est encore trop élevé. La France est dans une situation de contentieux européen. Comme 17 autres pays, elle ne respecte pas encore ses engagements, mais plusieurs de ses actions lui ont valu de disposer d’un délai, avant d’être contrainte à payer des amendes, qui pourraient atteindre 100 millions d’euros. Comme pour le déficit budgétaire, la Commission européenne préfère attendre plutôt que de sanctionner lorsqu’il y a un plan d’action (un plan de protection de l’air ou PPA) qu’elle juge suffisant.
Entre 2011 et 2016, trois années doivent s’écouler sans que la limite 50μg/m³ de PM10 ne soit dépassée plus de 35 jours. En 2014, l’objectif a été atteint pour la première fois. Au 12 mars 2015, il y a plus de jours au dessus du seuil d’alerte qu’en 2014, mais moins que les années précédentes.
Nombre de jours au dessus du seuil d’information au 12 mars 2015
Le Dr Thomas Bourdrel, radiologue et à la tête du collectif Strasbourg Respire, est pourtant très critique de la situation actuelle :
« Même s’ils sont respectés, ces seuils ne sont pas très ambitieux. Des États américains ou la Suisse sont plus restrictifs. En plus, on constate qu’il n’y a pas d’effet de seuil. Être à 0,49 ou 0,51 ne change pas grand chose, le plus nocif est l’exposition continue. Le décret d’application de mars 2014 n’est toujours pas appliqué par la Préfecture. Les rapports indiquent que c’est sur ce levier que l’on peut agir rapidement. »
Même si ces efforts ne sont pas assez rapides, la pollution de l’air globale diminue, car les il y a moins d’émission de véhicules et aussi grâce à la désindustrialisation.
La pollution à Strasbourg ces 5 dernières années
Malgré ces bons résultats, l’Alsace ne peut se targuer d’être en avance sur les objectifs. Le plan air prévoyait -30% de PM10 entre 2007 et 2015, la baisse n’a été que de 3% en 2012. À ce rythme, il faudrait 10 ans et non 8 pour rentrer dans les objectifs. En revanche les NOx baissent de 22% quand l’objectif est de 40% sur 8 ans.
Moins de véhicules, qui polluent moins
À la fois, les moteurs des voitures et camions sont moins polluants que par le passé et le nombre de véhicules à l’entrée de Strasbourg diminue. Depuis 25 ans, date l’arrivée du premier tramway, le nombre de voitures a diminué de 25%.
Emmanuel Rivière, directeur de l’Agence pour la surveillance de la pollution atmosphérique en Alsace (ASPA) se réjouit de ces indicateurs positifs, mais rappelle que tous les objectifs ne sont pas atteints :
« Les tendances sont encourageantes. Il faut saluer certaines actions. Les TER Alsace abordables et rapides, la tarification sociale de la CTS qui peut permettre d’avoir un abonnement pour 2€. Mais la pollution est encore trop élevée autour des grands axes routiers. »
Parmi ceux là, la route du Rhin où va pourtant se construire le prochain éco-quartier Danube. La situation aurait probablement été meilleure si l’écotaxe, qui devait introduire un péage routier pour les poids-lourds sur les axes routiers, avait été appliquée. François Hollande a pourtant annoncé en novembre 2014 qu’il était favorable à une expérimentation en Alsace et Lorraine, ce qui était une revendication locale de longue date. En Allemagne, un tel dispositif est en place depuis plusieurs années et une grande partie du trafic de poids lourds passe par l’Alsace, sans que cela ne rapporte un centime.
La désindustrialisation profite à la qualité de l’air
Autre signe positif, l’Alsace n’est plus exposée au dioxyde de soufre (SO2) grâce à la désindustrialisation ou aux délocalisations depuis plus de 25 ans. Le constat est vrai des deux côtés du Rhin. La fermeture de la raffinerie de Reichstett en 2011 a plus fait pour les poumons alsaciens que nombreux plans nationaux contre la pollution. Une bonne nouvelle à nuancer pour Emmanuel Rivière :
« Dans l’absolu, la qualité de l’air est meilleure, mais si on se place dans une logique de développement durable, cela fait des chômeurs en plus, pour qui la qualité de l’air n’est que secondaire. »
Quant à l’arrêt des centrales nucléaires en Allemagne en 2011, qui a intensifié le recours aux centrales de charbon, aucune mesure ne constate d’impact probant sur l’air alsacien.
Une situation héritée en partie
Malgré les efforts, le niveau de pollution est encore très dépendant de la météo. Parfois, des nuages de pollution peuvent venir d’Allemagne ou de République Tchèque et diminuer la consommation d’énergie en Alsace n’aurait qu’un impact marginal sur la qualité de l’air. Une situation qui n’est pas une excuse pour Thomas Bourdrel :
« Certes, 30% des événements viennent de l’étranger, notamment de la zone autour de Karlsruhe. Mais nous pouvons agir sur la pollution locale. Mon collectif et le Groupe strasbourgeois pour la santé et la qualité de l’air (GSSQA) ont interpellé les élus. Les grands axes sont pollués et le centre-ville ce qui est d’ailleurs plus difficile à expliquer. Il n’y a pas de plan ambitieux pour la qualité de l’air, sûrement car ce sont des décisions peu populaires. Quand on voit celui à Paris, on en est bien loin et aucun contacts n’ont été noués. Parfois on nous répond qu’il faut attendre la pluie ou le vent pour dissiper la pollution. »
Il est vrai que les relevés de pollution sont très dépendants de la météo. En 2013, deux périodes de grand froid, en mars et en décembre ont provoqué deux importants pics de pollution, car les moteurs ont rejeté plus de particules polluantes par temps froid et la consommation d’énergie s’est intensifiée à ces périodes. Le bilan annuel a pâti de ces deux épisodes et les relevés sont repartis à la hausse, à contre-courant des tendances de plusieurs années. (voir la remontée des mesures sur le deuxième graphique).
Lors de l’épisode de froid en janvier 2009, un pic à 189 µg/m³ a même été enregistré. À titre de comparaison, lorsque Paris mettait en place la circulation alternée le 17 mars 2014, les pics étaient légèrement supérieurs à 100 µg.
Enfin au printemps, épandages agricoles, soleil et voitures font mauvais ménage, ce qui provoque un autre type de pic de pollution. Limiter les épandages et le trafic routiers sont alors les efforts préconisés ou attendre que la température baisse, notamment grâce à la pluie.
Trafic et chauffages sont les éléments les plus polluants
Malgré sa diminution, le trafic routier reste très important : 60% de l’impact des NOx lui est imputable et 20% des PM10. La circulation par à-coup, comme dans les embouteillages, est particulièrement nocive. Le secteur résidentiel produit de son côté 36% des émissions de PM10 en 2012, suivie par l’agriculture avec 27% des rejets. Un constat qui amène les décideurs à réfléchir aux manières de rendre les logements moins énergivores.
Le programme du maire de Strasbourg, Roland Ries, en campagne pour sa réélection en 2014, parlait d’une meilleure qualité de l’air sans que des mesures précises y correspondent. L’adjoint au maire en charge de la transition énergétique Alain Jund (EELV) était au micro de Radio RBS mardi 10 mars :
« Il faut agir sur les déplacements et la « dédiéselisation » de nos moyens de transport. Deux tiers de nos déplacements en voiture sont de moins de deux kilomètres, ce qui doit changer. Il faut par ailleurs que la ville devienne à énergie positive d’ici quinze à vingt ans, c’est-à-dire qu’elle produise plus d’énergie que ce qu’elle consomme. Aujourd’hui, nous sommes dépendants à 80% des énergies extérieures. Cela demande un peu de sobriété, par exemple, dans l’éclairage de devantures de magasins. Nous devons aussi faire de la rénovation thermique, pour que la consommation soit divisée par deux, par trois voire par quatre dans le logement social ou privé. Cela créée de l’emploi localement, diminue notre facture énergétique et celle des habitants. Les énergies solaires, la géothermie ou les pompes à chaleur doivent être développées. »
La géothermie doit permettre d’assurer 80% des besoins de chaleur de l’agglomération strasbourgeoise, le tout à un coût de 30 à 40% moins élevé (voir notre dossier).
Le GCO, bonne ou mauvaise solution ?
Sur l’A35, 150 000 véhicules circulent tous les jours sur l’A35. Pour baisser les émissions de cet axe polluant, il faut que les véhicules soient moins polluants ou diminuer le nombre de voitures. Emmanuel Rivière est nuancé sur le projet autoroutier de grand contournement ouest de Strasbourg :
« D’un côté certains riverains près des axes de circulation dont l’A35 sont très exposés et si l’on peut baisser le trafic, même de quelques pourcentages, c’est une bonne chose pour eux. Le tracé du GCO passe plus loin des habitations que celles près de l’A35. De l’autre, plus de particules au total seront rejetées en Alsace. De nouveaux véhicules circuleront sur cet axe, et de nouveaux utilisateurs peuvent être tentés de circuler à nouveau sur l’A35 si le trafic y est fluidifié. C’est un choix et au pouvoir politique de trancher. »
Mais comme le précise Emmanuel Rivière, ces arguments ne concernent que la qualité de l’air. Ils ne prennent pas en compte la diminution de terres agricoles ou de la disparition, qui sont d’autres éléments dans ce choix, soulevés par les opposants.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Des citoyens veulent changer le regard sur la pollution de l’air à Strasbourg
Sur Atmo-rhinsupérieur.net : Les relevés de la qualité de l’air en Alsace et en Allemagne
Sur Développement durable.fr : toutes les normes et valeurs limites
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