Que s’est-il passé à Grenoble ? Fin novembre, la Ville a annoncé qu’elle mettait fin au contrat avec JC Decaux dès la fin de cette année et retirer 326 panneaux publicitaires de l’espace public, dont 64 panneaux de 8 m², certains panneaux seront remplacés par des arbres.
La décision n’est pas passée inaperçue dans d’autres métropoles régionales car elle n’est pas seulement d’ordre esthétique : en période de morosité du marché de la publicité, la mairie dirigée par l’écologiste Eric Piolle estimait les revenus liés aux redevances à 150 000 euros pour 2015 alors que le contrat avec JC Decaux avait rapporté 6 millions d’euros sur les dix années précédentes, dont 650 000 en 2014. Mais c’est avant tout une décision politique qui rompt avec la logique de semi-privatisation de l’espace public de ces dernières années en matière de publicité et de stationnement.
Plus d’un million d’euros par an pour Strasbourg
Pour la Communauté urbaine de Strasbourg, un contrat similaire à celui de Grenoble a été signé avec JC Decaux fin 2006, pour une durée de 12 ans et qui porte également sur les abribus de la CTS. L’accord concerne 330 « MUPI », c’est-à-dire les « mobiliers urbains pour l’information » d’une surface unitaire de 2 m², 80 panneaux de 8 m² et les 800 abribus de la CTS. Chaque année, ce sont plus de 900 000 euros de « redevance d’occupation » qui sont engrangés via ce contrat, auxquels il faut ajouter les 260 000 euros de recettes prévues pour 2014 grâce aux publicités sur les flancs des véhicules de la CTS (bus et trams), et qui font l’objet d’un contrat séparé.
Pour Chantal Cutajar, adjointe au maire de Strasbourg chargée des marchés publics, « le marché donne entière satisfaction ». Et de vanter les mérites du contrat :
« JC Decaux s’occupe de l’installation et de l’entretien des infrastructures, ils paient l’électricité pour l’éclairage des panneaux, ce qui représente quand même 57 000 euros par an, ils fournissent 64 emplacements de “journaux électroniques”, les panneaux numériques destinés à l’information publique et 70 emplacements pour des plans de Strasbourg et de la CUS. Que demander de plus ? Cependant, nous n’avons aucune idée des recettes réelles de JC Decaux, tout ce que nous percevons se fait au titre d’une redevance fixée par le contrat. »
Les écologistes aimeraient que Strasbourg s’inspire de Grenoble
Tout le monde semble donc satisfait de cette situation. Tout le monde ? Non. Adjoint au maire (EELV) de Strasbourg, Éric Schultz, salue la décision prise à Grenoble :
« Je serais ravi que cela arrive aussi à Strasbourg, et d’ailleurs je suis déçu que cela ne soit pas notre ville qui ait décidé la première de remettre en question l’omniprésence de la publicité dans l’espace public. Depuis quelques années la ville de Strasbourg essaie bien de réduire les surfaces publicitaires dans l’espace public, en particulier en supprimant des panneaux “4 par 3” dans les zones périphériques, mais c’est encore bien modeste face à la décision radicale de Grenoble. »
Et d’ajouter en tacle pour Fabienne Keller, maire de Strasbourg de 2001 à 2008, que les contrats ont été négociés en 2006 et pour 12 ans ! Une rigidité qui a contraint Strasbourg à renoncer aux Vélibs, financés par JC Decaux selon le même modèle que les arrêts de bus, pour proposer les Vélhop, adossés à aucun contrat avec des sociétés privées.
50% de l’espace utilisé par la Ville
JC Decaux a été prompt à réagir à la décision grenobloise. Depuis que la décision de Grenoble a été annoncée, Albert Asséraf, le directeur Stratégie, études et marketing de l’entreprise, est sur le qui-vive, et il soulève un autre aspect des contrats:
« JC Decaux a des contrats avec plus de 3 700 communes en France, et la décision de Grenoble est une exception non seulement au niveau national, mais même au niveau mondial puisque la tendance générale va complètement dans le sens inverse. De plus, la loi prévoit qu’au moins 50% de l’espace publicitaire concerné puisse être utilisé directement par la Ville pour sa communication évènementielle, culturelle ou sociale. Les habitants de Grenoble savent-ils qu’en perdant ces 2 000 m² de publicité ils perdent en même temps 1 000 m² d’espace d’information publique ? »
Certes, le code de l’environnement dispose que ces panneaux sont « destiné[s] à recevoir des informations non-publicitaires à caractère général ou local, ou des œuvres artistiques […] », et qu’ils ne peuvent supporter une publicité qu’à « titre accessoire ». Cependant les associations anti-pub notent que les informations non-publicitaires sont systématiquement placées du côté opposé au trafic, et que les publicités utilisent en général le côté le plus « favorable », ce qui est vrai aussi à Strasbourg, où les MUPI sont le plus souvent garnis de publicité face au trafic routier ou au sens de circulation des trams.
Seule 11 communes sur 28 de la CUS ont un règlement local de publicité
Le secteur bouge. Désormais, la publicité dans les grandes agglomérations doit tenir compte des textes du Grenelle II, dont certaines règles deviendront contraignantes à partir de juillet 2015, notamment en matière d’espacement des panneaux et des « pré-enseignes dérogatoires », cette jungle de panneaux qui accueille des voyageurs à l’entrée des villes. Chaque commune doit avoir son propre règlement local de publicité (RLP) mais selon un diagnostic établi en 2013, seules 11 communes sur les 28 que compte la CUS ont un RLP.
Du côté de l’association Paysages de France, qui milite pour la protection du cadre de vie, Pierre-Jean Delahousse son président, n’est pas tendre avec les publicitaires et encore moins avec les responsables strasbourgeois :
« L’approche de Strasbourg a été scandaleuse car pendant les réunions de consultation on nous vend comme un progrès la suppression des panneaux de 12 m² aux entrées de l’agglomération, mais on les remplace par des panneaux de 8 m² qui sont éclairés et défilants. Du coup, leur impact sur le paysage et l’ambiance paysagère des lieux n’en est que décuplée, sans compter le caractère énergivore et accidentogène de dispositifs faits par définition pour capter l’attention des usagers des voies publiques. Nous sommes très remontés contre la Ville de Strasbourg qui a organisé des réunions de consultation en 2013 et s’est réfugiée dans le mutisme depuis. »
Une concertation jusqu’à 2017
Quoi qu’il en soit, en 2012, la délibération du Conseil de la CUS sur ce sujet prévoyait pudiquement de »prendre en compte le développement des nouveaux modes de communication publicitaire consacrés par la réforme du droit de l’affichage » et suite au diagnostic de 2013, la concertation reste ouverte jusqu’à l’horizon 2017. Mais selon Chantal Cutajar, « tout reste à construire » :
« La consultation sur le RLP suit son cours, rien n’est déterminé, et par ailleurs nous avons mis en place un Comité de pilotage du développement durable qui pourra aussi prendre en compte les aspects esthétiques de la publicité ».
Strasbourg en manque de base militante
Finalement, la grande différence entre Strasbourg, Grenoble ou d’autres grandes villes n’est pas à chercher chez les responsables politiques, mais plutôt sur le terrain militant. Contrairement à d’autres villes, il n’existe pas de mouvement de « résistance anti-pub »(RAP), qui de l’aveu même de la permanence parisienne de l’organisation, « ne compte que 3 membres à Strasbourg » sur les quelque 3 000 sympathisants à travers la France, et aucun d’entre eux n’a donné suite à nos sollicitations. La RAP porte pourtant ses efforts sur la « liberté de non réception » de publicité et contacte les élus au sujet de l’omniprésence invasive de la publicité actuelle.
Quant aux « déboulonneurs », qui ont une approche plus radicale et prônent la résistance civile, leur mouvement local a périclité après une action isolée en 2012 sur un arrêt de tram du centre ville, et leur reformation est toujours « en gestation » selon leur site internet. Contactée au téléphone, une responsable nationale des déboulonneurs avoue que Strasbourg a disparu de leur radar.
Aller plus loin
Sur Le Monde.fr : Grenoble se rêve en nouveau modèle de la ville sans publicité
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