Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Accusé d’avoir détourné 1,2 million d’euros, Yves Zehr face aux juges aujourd’hui

Qui a profité des quelques 1,2 millions d’euros qu’Yves Zehr a retiré en utilisant des bons d’achat ? Qui sont les relais d’opinion qu’il a arrosés entre 2007 et 2012 ? Aujourd’hui, le tribunal de Strasbourg va poser ces questions à l’ancien PDG de Coop Alsace. Une audience à suivre en direct sur Rue89 Strasbourg.

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C’est peu dire que les salariés et les anciens de Coop Alsace attendent ce moment depuis longtemps. Lorsqu’en mai 2012, Rue89 Strasbourg révèle qu’Yves Zehr, ancien PDG du groupe coopératif de distribution alsacien a détourné pour 1,2 million d’euros entre 2007 et 2012 par un système de bons d’achats, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. A l’époque, le groupe s’engageait alors dans la restructuration la plus drastique depuis sa création en 1902 avec un premier plan social et Yves Zehr était son dirigeant historique, le notable aux multiples mandats.

Aujourd’hui, alors qu’un deuxième plan social est en cours, plusieurs dizaines de salariés de la Coop devraient assister à l’audience au tribunal correctionnel de Strasbourg. Ils aimeraient comprendre comment a pu se mettre en place ce système de détournement de biens sociaux au sein de leur entreprise. Selon les témoignages recueillis lors de l’enquête judiciaire, Yves Zehr venait avec des bons d’achat de la Coop au coffre de l’hypermarché de Geispolsheim, sous enseigne Leclerc mais géré par la Coop jusqu’en 2012. Il en repartait avec l’équivalent en euros.

1,2 millions d’euros entre 2007 et 2012

Les retraits d’Yves Zehr notés (doc Rue89 Strasbourg)

Trois personnes affectées au coffre de l’hypermarché de Geispolsheim ont entré ces retraits dans le système informatique à partir de 2007, à la ligne 4886090 appelée « Pub commune » et sur laquelle ne figure que ces prélèvements. Tout aurait pu continuer ainsi, si les syndicats n’avaient pas mis la main, tout à fait fortuitement, sur 800 bons d’achats de 100 euros en avril 2012… Les syndicats ont porté plainte pour détournement de bien sociaux le 24 mai 2012, suivis le lendemain par la direction de Coop Alsace.

De nombreuses questions sans réponse

Evidemment, ces retraits posent de nombreuses questions et toutes n’ont pas été répondues par l’enquête préliminaire, ni par l’information judiciaire menée par le juge d’instruction Jean-Baptiste Poli. D’abord, où est allé cet argent ?

Placé en détention le 16 novembre à la suite de sa mise en examen pour abus de biens sociaux, Yves Zehr a été interrogé deux fois par Jean-Baptiste Poli. Le 16 novembre à l’issue de sa garde à vue et le 6 mars. Et à chaque fois, selon son avocat Me Bernard Alexandre, Yves Zehr a rappelé qu’il n’avait retiré cet argent que pour activer des « relais d’opinion » au bénéfice de la Coop :

« M. Zehr ne conteste pas les retraits et a constamment précisé que c’était lui et lui seul qui redistribuait l’argent des bons d’achat. Il a donné quelques noms de personnes qui ont bénéficié de ces sommes. Mais elles ont nié, sans qu’il y ait eu la possibilité de confronter les mis en cause à la parole de M. Zehr, malgré nos demandes. L’instruction a été menée au pas de charge, avec la volonté de faire comparaître mon client détenu. »

La défense va demander un supplément d’information, ce qui pourrait reporter le procès si le tribunal l’accepte.

Un homme ou un système ?

Plusieurs témoins seront appelés par le tribunal aujourd’hui, et les confrontations demandées par la défense pourraient bien avoir lieu lors de l’audience. Du côté du comité central d’entreprise, partie civile dans cette affaire, on aimerait aussi avoir des précisions, comme l’explique Me Michaël Plançon :

« Lorsqu’on a saisi le procureur de ces détournements, les syndicats du groupe visaient un système et non un homme en particulier. Yves Zehr effectue encore des retraits en mars 2012, alors qu’il n’est plus PDG de la Coop depuis dix mois ! Il a forcément bénéficié de complicités. De notre point de vue, arriver à l’audience avec une seule personne inquiétée est une petite déception. D’autant qu’il a indiqué que ce système des bons d’achats existait alors qu’il n’était que directeur commercial, c’est à dire dans les années 90 ! Même si on apprécie qu’il y ait une audience dans un délai appréciable. Le personnel de la Coop attend de cette audience qu’Yves Zehr s’explique. »

Voire. Six mois en détention, sans régime de faveur, n’ont pas entamé la détermination d’Yves Zehr à couvrir les bénéficiaires de ses largesses par son silence. Les enquêteurs ont aussi épluché ses comptes, pour y découvrir d’étranges dépôts d’argents liquide. Selon Yves Zehr, ces rentrées proviennent de la vente d’œuvres d’art. L’ancien PDG de la Coop est un amateur, surtout de statues antiques, au grand désespoir de sa femme Marie-Louise, qui trouve qu’elles prennent la poussière. Ce qui ne l’empêchera pas d’être également mise en examen, pour recel d’abus de biens sociaux, et de comparaître ce jeudi pour ces faits. Elle sera défendue par Me Arnaud Friederich. Quoi qu’il en soit, les enquêteurs n’ont pas pu établir de corrélation entre les retraits du coffre de Geispolsheim et les sommes entrantes sur les comptes d’Yves Zehr, selon Me Alexandre.

Yves Zehr devra également répondre de faux en écriture, notamment pour avoir antidaté un document de partenariat avec la SIG, le club de basket dont la Coop est le sponsor historique. Selon son conseil, Yves Zehr a procédé ainsi car il tenait à ce que la parole donnée, alors qu’il était PDG de la Coop, soit tenue par l’équipe dirigeante suivante et qu’en tant que président d’honneur de la Coop, il disposait toujours selon lui du pouvoir d’engager la Coop. Le tribunal s’intéressera probablement à l’étendue des fonctions des présidents d’honneur de la Coop Alsace.

Le compte-rendu de l’audience en direct

Retrouvez ci-dessous le compte-rendu en direct de l’audience d’Yves Zehr à partir de 8h30.

Lire notre article résumé : le procès d’Yves Zehr reporté aux 2 et 3 juillet.
Fin de ce compte-rendu en direct. Merci à tous de l’avoir suivi.
Le tribunal accepte la citation de huit témoins supplémentaires à l’audience. L’audience est programmée sur deux jours les 2 et 3 juillet.
La président du tribunal appelle M. et Mme Zehr.
Le tribunal attend le retour du procureur dans la salle d’audience… Un retour rapide du tribunal laisse présager une décision de report ou de renvoi.
Retour du tribunal …
Le tribunal se retire pour délibérer sur le supplément d’information et l’annulation de l’information judiciaire.
Brice Raymondeau-Castenet : « Ce qu’on nous demande, c’est un supplément d’informations, huit auditions de témoins, huit confrontations… et puis retour au tribunal où la défense demandera à nouveau un supplément d’informations. Je vous demande Mme la présidente de rejeter ces demandes à titre principal ou de reporter à un bref délai à titre subsidiaire. Si vous deviez décider ce renvoi, je recquiers le maintien sous contrôle judiciaire de M. et Mme Zehr pour prévenir tout contact avec les témoins cités. »
Brice Raymondeau-Castenet : « Les citations sont parties en temps et en heure. M. Zehr a été avisé alors qu’il était encore détenu. La défense n’a pas fait citer ses témoins… »
Brice Raymondeau-Castenet : « Les demandes d’actes sont vides. Si on enlève l’entête, il reste une page. Il n’y a aucune précision… J’en ai assez qu’on fasse un mauvais procès à la justice. Quand je dis qu’il y a une manoeuvre dilatoire, je pèse mes mots. »
Brice Raymondeau-Castenet : « Et on vient nous dire que l’instruction n’est pas complète parce que… on ne lui a pas rendu sa voiture, qui est au nom de madame d’ailleurs ! Le juge d’instruction a notifié aux parties que la procédure était complète 28 jours avant de rendre l’ordonnance de renvoi ! »
Brice Raymondeau-Castenet : « Et quand on dit qu’il a donné des noms… Il a livré une association pour un don de 1000€, qui lui a adressé une lettre de remerciements. Il a parlé des clubs sportifs, qui ont nié avoir reçu de l’argent. Alors le côté Calimero qui voudrait qu’il ne parle pas parce qu’on ne l’écoute pas, ça va bien. »
Brice Raymondeau-Castenet : « M. Zehr est placé en garde à vue et il est informé qu’à tout moment de la procédure, il peut faire valoir ce qu’il veut pour sa défense. Il n’a jamais utilisé ce droit ! Il a envoyé bouler toutes les questions des enquêteurs durant toute la procédure. »
Brice Raymondeau-Castenet : « Au mois de mai 2012, les plaintes arrivent de tous côtés, la presse révèle que les plaintes sont déposées… Pour éviter un ménage dans les papiers et les biens de M. Zehr, une perquisition est menée qui constate : le ménage a déjà été fait. Pas une facture, pas un papier… ni pour l’entretien de la piscine, le jardin… rien. Même le coffre est vide, à part quelques bijoux. »
Brice Raymondeau-Castenet : « Je recquiers donc le rejet de ces demandes et jonction de cet incident au fond. »
Brice Raymondeau-Castenet : « Et quand vous prendrez votre décision Mme la présidente, il y aura un recours… Il ne faut pas se faire d’illusion, ce que veut M. Zehr, c’est ne pas être jugé. »
Brice Raymondeau-Castenet : « La seule chose qui vous reste, c’est l’art. 6 de la cour européenne des droits de l’Homme… Vous n’avez rien. »
Brice Raymondeau-Castenet : « Pas une seule décision du magistrat instructeur n’a pas été frappée d’appel. Pas une seule ! »
Brice Raymondeau-Castenet : « Le juge d’instruction a un mois pour répondre aux demandes d’actes. Le 12 avril 2013, dernier jour utile avant la forclusion de l’art 175 du CP. Le réquisitoire définitif a été notifiée aux parties, sans aucune observation des parties. Le magistrat instructeur n’a fait que suivre la procédure… »
Brice Raymondeau-Castenet : « Si on veut qu’un juge d’instruction réponde à une demande d’acte, encore faut-il les présenter à temps. Certes, on est dans son droit quand on est dans le délai prévu par le code pénal, mais il faut se laisser la mesure d’apprécier quand on fait une demande au dernier moment. »
Le vice-procureur Brice Raymondeau-Castenet : « L’hypocrisie est une chose merveilleuse ! Tout au long de cette procédure, M. Zehr fait valoir ses droits, mais n’a jamais de devoirs. »
Me Bouchez El Ghozi : « Sur le supplément d’information, c’est du même acabit. J’attends toujours de comprendre en quoi ces actes permettraient à M. Zehr de mieux se défendre. On n’a pas eu un début de démonstration. Donc je dis, « chapeau l’artiste ! » pour les stratagèmes utilisées… Pas une jurisprudence ne vient appuyer la démonstration de la défense. »
Me Bouchez El Ghozi : « Depuis quand M. Zehr a été cité à comparaître ? Depuis la mi-mai. M. Zehr avait toute faculté de procéder à une citation des personnes qu’il voudrait impliquer, ne serait-ce qu’à titre conservatoire. Il ne l’a pas fait, il n’a pas usé de cette faculté. Et aujourd’hui, on vient vous dire qu’il faut arrêter la procédure, pour un droit qu’on n’a pas usé pendant la procédure ? »
Me Bouchez El Ghozi intervient pour la Coop. Il cite aussi la cote D2095 : « Quand on a rien à dire au fond, ce qui a été le cas pendant toute la procédure, on critique la procédure. Alors faisons un petit peu de droit. Le magistrat instructeur n’a pas violé le code de procédure pénale en rendant deux ordonnances le même jour (une pour clore l’instruction, une pour refuser la demande d’acte). »
Me Michaël Plançon : « A partir du moment où les questions n’obtiennent pas de réponse, le juge d’instruction a le devoir de clore son instruction. On nous crie au scandale d’une défense maltraitée, mais moi je crie au scandale sur ces manoeuvres pour retarder la justice. »
Me Michaël Plançon : « M. Zehr répond au juge d’instruction qu’il ne répondra pas aux questions, que ça ne sert à rien et aujourd’hui, en audience, on vient nous faire valoir une demande d’annulation et un supplément d’information ? »
Me Mickaël Plançon : « On ne s’oppose pas au supplément d’information. Si on se rapporte à la cote D2095 du dossier, on s’aperçoit qu’il a été donné à M. Zehr la possibilité de s’expliquer tout au long de la procédure. »
Me Michaël Plançon a la parole, il représente le comité central d’établissement (CCE) et des sociétaires de la Coop : « Je suis en colère car les salariés de la Coop attendent beaucoup de ce procès. On nous parle d’une défense équitable mais au lieu de demander les actes en temps et en heure, on attend les derniers délais pour ensuite brandir la cour européenne des droits de l’Homme. »
Bernard Alexandre : « Sans pouvoir entendre ces témoins, ni explorer ses pistes, on nous priverait de toute une partie de notre défense, ce qui ne serait pas équitable. »
Les avocats d’Yves Zehr et de sa femme, Me Arnaud Friederich (à g.) et Me Bernard Alexandre (Photo PF / Rue89 Strasbourg)
Bernard Alexandre : « Et puis nous avons demandé un supplément d’information pour déterminer quels sont les pouvoirs effectifs d’un président d’honneur de Coop Alsace car de tradition, le président d’honneur peut engager le groupe. »
Bernard Alexandre : « Une audition indiquant des comptes suisses des administrateurs de la Coop Alsace par Mme Bregé, secrétaire de direction, a été écartée par l’instruction. Nous demandons que cette piste soit explorée. »
Bernard Alexandre : « Parmi les relais d’opinion qui sont les réels bénéficiaires des transferts d’argent, nous avons cités des personnes du monde associatif, sportif et du monde politique. »
Bernard Alexandre : « Yves Zehr a donné quelques noms. Il pourrait en livrer d’autres. Mais à condition d’entendre des témoins, sinon les personnes citées peuvent nier. »
Bernard Alexandre mentionne la Cour européenne des droits de l’homme, qui prévoit le droit à un procès équitable et à une défense effective.
Bernard Alexandre : « Le juge d’instruction a rendu deux ordonnances le même jour, une pour clore l’instruction, une refusant notre demande d’acte. »
Bernard Alexandre : « il ne s’agit pas d’échapper à la justice mais de pouvoir exercer notre défense, pour que Yves Zehr puisse apporter des preuves. »
Me Alexandre invoque la nullité de l’ordonnance de renvoi.
La présidente Dominique Lehn lit l’ordonnance de renvoi.
L’audience débute. Yves Zehr est appelé à la barre.
Yves. Zehr, sa femme Marie-Louise, et Christian Duvillet, actuel PDG de la Coop.
Yves Zehr vient d’entrer dans le tribunal, accompagné de son épouse, et de leurs conseils Me Bernard Alexandre et Me Arnaud Friederich.

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