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Au procès de la « filière de Strasbourg » : rentrer en France, pour qui, pour quoi ?

La cinquième journée du procès de la « filière de Strasbourg », dans lequel sept Alsaciens sont jugés pour avoir rejoint les rangs de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) fin 2013, a été consacrée aux récits des retours en France des quatre derniers prévenus. « Vous n’aviez pas l’air si mal que ça en Syrie », a plusieurs fois lancé la présidente du tribunal aux prévenus, qui, pendant six heures, ont dû justifier leurs motivations à rentrer chez eux.

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« Articulez ! C’est important qu’on vous comprenne ! » Enfoncée dans son fauteuil, Sabine Faivre, la présidente du tribunal correctionnel de Paris, s’agace. Elle interrompt le récit d’Ali H. L’homme de 26 ans reprend d’une voix plus forte, bien en face du micro. Il raconte comment, avec son petit frère Mohamed et Radouane T., ils ont choisi de quitter la Syrie.

En prétextant vouloir voir leurs familles à la frontière turque, ils obtiennent une autorisation de sortie du territoire de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Un « petit papier tamponné », garant de leur échappatoire. Il y a eu les « cris de joie » après avoir traversé la frontière. Puis la douche froide, lorsque les Français s’aperçoivent qu’un des deux passeurs Syriens collaborait avec les autorités turques.

Après le récit du retour en France de trois prévenus jeudi, le tribunal s’est intéressé lors de cette cinquième journée du procès de la filière de Strasbourg, aux périples de quatre des sept Alsaciens jugés pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste : les frères Ali et Mohamed H., Radouane T. et Karim Mohamed-Aggad (lire le compte-rendu réalisé en direct).

« Ali, il est déter »

La présidente du tribunal reprend : « Tous les trois avez été vendus par un passeur. » Les prévenus expliquent avoir été interrogés par la police turque avec la peur d’être renvoyés en Syrie, dans les bras de l’État islamique en Irak et au Levant. À la faveur d’une porte mal fermée du poste de police turc, Radouane T. raconte avoir pu s’échapper et retrouver sa mère.

D’emblée, le tribunal s’interroge sur l’aspect volontaire de leur retour en France. Il y a ces discussions retranscrites, entre Karim Mohamed-Aggad, alors encore en Syrie, et Mohamed H. :

– Karim Mohamed-Aggad : « Tu comptes revenir chez Dawla (l’État islamique, NDLR) ?

– Mohamed H. : On verra. »

« J’aurai pu dire “oui, dès que je peux j’y retourne” », rétorque le prévenu. Le procureur de la République exprime aussi ses doutes, sur la base d’écoutes téléphoniques du cousin des frères H. : « Mohamed, il a toujours plus ou moins les mêmes idées par rapport au pays des mécréants. Mais Ali, c’est du lavage de cerveau, il est déter (déterminé, ndlr), il n’y a plus rien à faire pour lui. » Comment dès lors justifier le retour en France ?

Un poste frontière turc vers la Syrie (Photo Michael Swan / FlickR / cc)

D’autant plus que le tribunal s’attarde ensuite à l’analyse des profils Facebook des trois jeunes hommes et des recherches internet qui laisse la juge perplexe : « vous n’aviez pas entendu parler d’Al Bagdadi (le chef de l’État islamique, ndlr) avant d’aller en Syrie ? » Sans compter les photos de décapitations tirées des téléphones portables, les captures d’écran de revendications d’attentats perpétrés par l’EIIL et les nouvelles que prennent les Alsaciens de connaissances qu’ils se sont faits, en Syrie.

– La juge : « J’ai l’impression que vous gardez un excellent souvenir [de la Syrie].

– Mohamed H. : Pour la 25e fois, ça [les photos] consiste en une observation du conflit.

– La juge : Vous prenez des nouvelles de Français sur le point de faire la dogma. C’est quoi ?

– Mohamed H. : Ce sont les kamikazes. »

« Je leur en ai voulu d’être parti »

« Monsieur Karim Mohamed-Aggad. » La présidente se tourne vers le dernier prévenu dont l’interrogatoire va durer près de deux heures. Du groupe d’Alsaciens, l’homme de 26 ans, originaire de Wissembourg, est le dernier à quitter la Syrie.

« J’ai été le plus exposé au danger. On m’a plusieurs fois demandé où étaient passé mes collègues. Je leur en ai voulu d’être partis. »

Le prévenu raconte comment, en prétextant aller voir sa mère malade à la frontière turque, il obtient le fameux laisser-passer d’un émir, qui le croit « sur parole ». Arrivé en Turquie, il est interrogé et doit s’acquitter d’une amende de 300 euros, en plus d’être condamné à une interdiction de territoire pendant six mois. Ici encore, le ministère public interroge la sincérité du retour de Karim Mohamed-Aggad, en ressortant une discussion entre le prévenu et Mourad Farès, le recruteur présumé des Strasbourgeois :

– Karim Mohamed-Aggad : « Je suis en France.

– Mourad Farès : Sache que cette fitna (subversion, ndlr) fait partie du test.

– Karim Mohamed-Aggad : Je suis interdit six mois d’aller en Turquie.

– Mourad Farès : Six mois ça passe vite.

– Karim Mohamed-Aggad : Je me sens hypocrite d’être parti. »

« J’accordais beaucoup d’estime à Mourad Farès », se justifie le prévenu. « Je ne voulais pas paraître pour le lâche, le faible. »

« Au lieu d’être décoré, je suis jeté en pâture, traité de terroriste »

Karim Mohamed-Aggad le reconnaît : il est « un peu narcissique sur les bords. » D’où les nombreux selfies, extraits de son téléphone portable, le montrant armé d’un sabre, affublé de tenues militaires ou agrippé au canon d’un tank, faisant le « V » de la victoire . « J’ai jamais vu de tank de ma vie, donc je suis impressionné », sourit-il.

Sûr de lui, l’homme répond point par point sur les différentes photos tirées du dossier. À côté de la présidente, un assesseur tourne le classeur et montre au public chaque photo dont il est question. Vexé, le prévenu lâche :

« J’ai l’impression d’avoir un traitement de faveur par rapport aux autres. Vous montrez chaque photo. J’’ai l’impression qu’on veut m’afficher, ça me gêne. »

Depuis le début de la semaine, les regards sont tournés vers lui, le frère de Foued Mohamed-Aggad, de deux ans son cadet et figurant parmi les kamikazes du Bataclan. Karim Mohamed-Aggad, qui avait pourtant averti en début de procès qu’on ne « choisissait pas sa famille », sait qu’à travers lui, c’est le souvenir des attentats du 13 novembre qu’on regarde.

« Je reviens [d’avoir combattu Bachar] et au lieu d’être décoré, je suis jeté en pâture, traité de terroriste. La présomption d’innocence, depuis deux ans, je la connais pas. »

Entre deux blagues sur le livre qu’il serait en train d’écrire sur sa vie ou celle d’un apprenti djihadiste – il n’est pas encore fixé sur le sujet- pour « faire concurrence à David Thomson », il réfute les accusations d’un agent pénitentiaire qui l’aurait entendu se réjouir des attentats de Paris.

« Imaginez le comportement des gardiens à mon encontre après que mon frère ait fait parti du commando du 13 novembre. »

Lundi auront lieu les réquisitions. Pour deux à quatre mois de présence au sein de l’État islamique en Irak et au Levant (EILL), les prévenus encourent jusqu’à dix ans de réclusion criminelle.


#filière de strasbourg

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