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Procès de la filière de Strasbourg : « tout s’est effondré comme un château de cartes »

Les Strasbourgeois savaient-ils pour quel groupe ils allaient combattre ? Au troisième jour du procès des sept djihadistes Alsaciens partis en Syrie en décembre 2013, le tribunal s’est attaché à détailler la chronologie du funeste périple au cours duquel deux frères ont trouvé la mort. Le point de départ des doutes et des questionnements chez les apprentis djihadistes, qui songent doucement à leur retour en France.

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« Nous on est là, et pas eux. » Eux. Yassine et Mourad Boudjellal, deux frères originaires du quartier de la Meinau à Strasbourg, tués dans la région d’Alep en janvier 2014. Pas très assuré, la voix un peu éteinte, un des prévenu évoque leurs potes d’enfance et de quartier, morts loin de chez eux. « Ça nous a mis une énorme claque » poursuit-il. Et d’expliquer les circonstances du tragique épisode. Enfin, ce qu’ils en savent, ce qu’on leur a dit là-bas, en Syrie.

Les frères étaient chargés de surveiller un barrage pour le compte de l’EIIL (l’ État islamique en Irak et au Levant) quand des coups de feu sont échangés avec une autre faction islamiste. Yassine meurt en premier. Mourad, quelques instants plus tard.

« Quel est votre état d’esprit à ce moment-là ? », questionne Me Aloïs Blin, l’avocat de Mokhlès Dahbi qui avait annoncé à sa mère, voisine de palier de celle des Boudjellal, la mort des deux frères.

« On tombe de haut. Tout ce qu’on a construit s’est effondré comme un château de cartes. À partir de là, on a clairement joué un rôle, jusqu’à ce qu’on puisse partir. »

Partir. Rentrer. Une idée qui fait peu à peu son chemin dans l’esprit des Strasbourgeois. Avec peu de connaissances du terrain et malgré leurs nombreuses « recherches internet » sur la situation politique en Syrie, ils débarquent au moment où les divisions entre les combattants opposés à Bachar El Assad commencent à naître. Eux, expliquent vouloir combattre le régime syrien et « c’est tout ».

Suivre Mourad Farès, « les yeux fermés »

Lors de cette troisième journée, la présidente du tribunal s’est attachée à comprendre le projet réel des sept jeunes hommes. Quel groupe armé pensaient-ils rejoindre ? Sont-ils partis pour une cause politique ou religieuse ? Pour l’une des premières fois depuis le début du procès, la question est lâchée par la magistrate : « vous êtes venus faire le djihad en Syrie ? » Réponse des prévenus : « On était juste venus rejoindre la rébellion ».

Comme hier, le nom de Mourad Farès, le recruteur présumé de la filière alsacienne (en attente de son procès), revient à de nombreuses reprises dans les débats. « Que leur a vendu Mourad Farès comme projet ? Que leur a t-il dit au départ ? », s’interroge Me Françoise Cotta, avocate de Karim Mohamed-Aggad. « Nous on l’a suivi », répond l’un des prévenus. « Les yeux fermés », complète un autre.

Sauf qu’au moment de leur arrivée en Syrie, les Alsaciens sont directement accueillis par l’EIIL, sans réelle possibilité, selon leurs déclarations, de pouvoir intégrer un autre groupe. Ils font confiance à Farès, cet homme rencontré trois fois en France et qui les a convaincu de partir. Ce Savoyard de 30 ans venu leur rendre visite avec « du chocolat, des boissons » et un téléphone pour joindre leurs proches.

Alors que les Français sont logés dans une immense villa près d’Alep. Karim Mohamed-Aggad raconte :

« Il nous a parlé du projet de monter une katiba (une unité de combattants, ndlr), indépendante. Ni affiliée à l’EIIL, ni à Al Qaida. Il souhaitait qu’une cinquantaine ou soixantaine de Français le rejoignent. »

Les Strasbourgeois entendus mercredi affirment qu’ils étaient seulement partis combattre le régime de Bachar El Assad (Photo Michael Goodine / FlickR / cc)

Les salves de questions reprennent :

– Me Cotta : « quand vous arrivez là-bas, vous ne savez pas que groupe vous devez intégrer ?

– Le prévenu : Non.

– Me Cotta : Vous aviez confiance absolue en lui (Mourad Farès, ndlr)

– Le prévenu : oui. »

Une confiance pourtant mise à mal quand l’homme soupçonné de les avoir embrigadé rejoint Al-Nosra, c’est à dire une faction islamique plutôt proche d’al-Qaïda et opposée à l’EIIL. « On s’est retrouvés comme des clampins », concède Radouane T.

Deux jours de sévices

Deux semaines d’entraînement sont prévues, entre prières, petit déjeuner « frugal », exercices de maniement aux armes en langue arabe, cours de prononciation des sourates, cours de secourisme, cours sur la vie du prophète… « Déjà en français, c’est technique, alors en arabe… », lâche Radouane T.

C’est en prétextant une maladie que Miloud Maalmi pensera échapper au camp d’entraînement. Suspicieux, les membres de l’EIIL l’interrogent pendant deux jours. Deux jours de « maltraitances » qu’il refuse de décrire, « par pudeur. » La présidente cherche longuement dans ses dossiers pour retrouver la déposition. Dans un lourd silence, elle énumère les coups, l’urine des bourreaux sur son corps, les excréments dans la bouche et l’éjaculation en plein visage. Miloud Maalmi a alors le dos complètement tourné à la salle. « C’est ça », lâche t-il timidement.

Un avocat de la défense lance : « aviez-vous déjà entamé la réflexion d’un retour en France ? » « J’étais en phase de réflexion, explique Radoune T. J’avais peur de la prison et je ne voulais pas faire souffrir ma famille. »

À la faveur des fenêtres entrouvertes, la chanson Stand By Me résonne dans la salle d’audience. L’attention est quelque peu dissipée. Les regards se tournent vers l’extérieur. L’un des magistrats sourit. En cachette dans son box, un des prévenus fredonne l’air. Demain, il devra lui aussi s’expliquer sur les raisons de son retour en France.


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