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[Procès] L’amant achève le notaire « par amour » et s’enfuit au Ritz

Deuxième jour d’audience mardi à la cour d’assises de Strasbourg. Gilles M. s’explique sur le meurtre de son amant, Bertrand Bilger, un notaire de 59 ans. De petites frustrations en vexations, les hommes en seraient venus aux mains, puis au couteau. L’accusé maintient que le notaire s’est « auto-poignardé » avant qu’il ne lui tranche la gorge, un « geste d’amour ». « A ce moment-là, je n’ai pas pensé à moi, j’ai pensé à lui. »

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Aux assises de Strasbourg – septembre 2012 (NR)

Ce soir-là, Gilles M. avait du retard. C’était le samedi 22 mai 2010, la veille du meurtre. Bertrand Bilger, son amant, est fâché. L’accusé non plus n’est pas très content. A la barre, il explique :

« J’ai vu qu’il n’avait rien préparé, j’aime que les choses soient préparées quand j’arrive. »

La soirée est mal engagée. Après Les Experts Manhattan, Bertrand Bilger avale un Lexomil, chausse ses boules Quies. Les deux hommes se couchent.

« Il aime le rapport dominant-dominé »

Au réveil, le notaire part chercher des viennoiseries pour son amant. Il revient avec un pain aux raisins. Erreur. Gilles M. n’aime pas les pains aux raisins. En plus, il dresse le petit déjeuner avec le service à café de son ex, Michel. Pire, il a oublié de lui ramener sa grille de loto et n’a pas lavé la voiture. Le notaire repart, répare. « J’ai toujours dit que j’avais un comportement d’enfant gâté », annonce à la barre l’accusé. Il s’enferme dans la salle de bain, il ne sortira que lorsque le notaire aura un programme digne de ce nom pour l’après-midi. Ce sera une baignade à Baden-Baden. Gilles M. reste au bord de l’eau, aborde de jeunes gens, récupère quelques numéros et le fait savoir à Bertrand Bilger sur le chemin du retour. « Cela l’a irrité. »

De retour dans le quartier de l’Orangerie, au domicile du notaire, celui-ci s’active aux fourneaux. Au menu du dîner : poulet et pommes dauphines. Trop gras. Gilles M. n’y goûtera pas. La juge s’étonne de ses manières.

« Il faut remettre les choses dans leur contexte, il aime le rapport dominant-dominé. »

Et l’accusé de raconter qu’il le faisait souvent poiroter sur le palier, sur le trottoir. « J’avais l’impression qu’il appréciait, c’était un jeu entre nous. » Il imagine que ce jour-là son « comportement déplacé » a pu « l’agacer fortement ». Une nouvelle version que la cour découvre à l’audience.

« Je n’ai pas envie de suivre un vieux notaire sans fric »

Dimanche soir. La table débarrassée, Bertrand Bilger s’ouvre une bière. Gilles M. préfère l’armagnac. Le notaire aurait alors proposé à son amant de le suivre à Cannes où il compte s’installer pour sa retraite. Cannes, « un souhait lointain », « tout au plus deux semaines des vacances », rectifieront à la barre les amis proches de la victime qui décriront un homme calme, attaché à son indépendance, fuyant le« quotidien tue-l’amour de la vie à deux ». Surtout, il rêvait de  partager ce projet avec son ex-compagnon, Michel, qu’il voulait reconquérir.

A la barre, Gilles M. poursuit son récit. Il aurait refusé de suivre Bertrand Bilger dans le sud. « Ce n’était pas arrangeant pour moi. » Et d’expliquer, simplement :

« J’abusais de lui, l’intérêt c’était de m’installer au Grand Pavois [la résidence chic du notaire à Orangerie], c’était à côté de mon nouveau travail et je préférais être chez lui que chez ma mère. »

Il était sur le point de se faire expulser de son appartement pour impayés de loyer. En fait, l’homme, endetté, n’a jamais payé son loyer. À son amant, il dit :

« Je n’ai pas envie de suivre un vieux notaire sans fric. »

Car lui aussi a de sérieux problèmes d’argent. Son étude a été placée sous tutelle. « Je voulais des garanties, alors il m’a montré des documents pour un PACS, un testament manuscrit. » Rien n’y fait. Bertrand Bilger se serait alors approché de lui, un martinet à la main :

« Je vais te donner une bonne correction, tu as été un vilain garçon. »

La soirée bascule quand le notaire lâche : « A force de vouloir des petits jeunes, tu vas pouvoir coucher avec tes enfants ». Gilles Manderscheit empoigne la bouteille d’armagnac qu’il éclate sur la tête du notaire assis sur le canapé. D’abord sonné, le notaire se saisit ensuite d’un verre pour frapper l’autre. Il aurait voulu fuir, n’y serait pas parvenu. Dans le box des accusés, il se lance dans une longue explication sur le fonctionnement très complexe de la porte d’entrée, ce soir-là fermée de l’intérieur. Bertrand Bilger le rattrape dans le hall d’entrée avec un couteau de cuisine. Si sur le manche du couteau seule l’ADN de la victime est présente, dans la cuisine il n’y a que celle de l’accusé. Une goutte de sang sur le tiroir à couverts.

Bertrand Bilger le menace dans l’entrée : « Tu ne partiras plus, maintenant tu m’appartiens. » Gilles M. aurait repoussé le notaire qui se serait auto-poignardé à plusieurs reprises dans la bousculade. Des blessures profondes, nettes, parfois dans le dos. La juge le questionne. Il reste muet, sanglote un peu.

« Je ne sais pas, cela s’est passé très vite… Je tente de trouver la vérité moi aussi. »

Il poursuit son récit, le calme serait revenu dans l’appartement. La juge demande si Bertrand Bilger saignait beaucoup.

« Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la situation dans laquelle j’étais. Comment voulez-vous que je me rappelle ? »

Il dit avoir appelé à l’aide. Ce cri que les voisins ont entendu, c’était lui. « Mais le blessé, c’était qui ? », interroge la juge.

Après la bagarre, la douche

Sur ces entre-faits, les deux hommes auraient pris une douche. Gilles M. a même aidé son amant à se rincer. La juge ne lâche pas : « Doucher quelqu’un qui saigne abondamment cela atténue les saignements ? » Après la douche, la cigarette. Quand l’accusé revient dans la chambre, Bertrand Bilger l’attend, caché derrière la porte et se jette sur lui pour l’étrangler. Impossible, dira l’expert en morpho-analyse (les traces de sang) : Bertrand Bilger, qui perdait abondamment du sang, ne pouvait se tenir à cet endroit sans tâcher le mur qui est resté immaculé. Par ailleurs, des traces dans le couloir attestent qu’un corps a été traîné jusqu’à la chambre, qu’il s’est retenu aux portants de la porte pour ne pas être entraîné dans la chambre. Les hommes auraient lutté au sol.

« Pour la première fois, il m’a dit des mots forts et passionnés. Il m’a dit aussi que je m’étais bien foutu de sa gueule et que je m’en fichais de ses sentiments. »

Gilles M. mord Bertrand Bilger pour se dégager puis saisit l’haltère de 4 kilos posé au sol et frappe son amant à la tête. « Combien de coups ?» Il ne sait plus, « un, deux ou trois ». L’accusé parle lentement. Les parties civiles, les sœurs de la victime, quittent la salle. Bertrand Bilger est allongé, inconscient.

« J’ai entendu un râle sortir de sa gorge, je l’ai embrassé, il y avait un couteau au pied du lit et… »

Il s’interrompt, s’arrête, la juge insiste. « Je lui ai tranché la gorge. » « Pourquoi ? » demande la juge. « Je pense que je l’ai fait pour lui, pour l’aider. »

Guignol et la tournée de la rapine

« Scandalisé » par ces propos, l’avocat des parties civiles, maître Francis Metzger, lit un passage de la lettre que Gilles M. a adressée au juge d’instruction :

« Croyez-moi madame le juge, mon dernier geste était un geste d’amour. Vous ne pouvez laisser l’homme que vous aimez à l’agonie. »

L’avocat l’interroge : « Vous avez achevé Bertrand Bilger par amour ? » L’accusé : « Je ne répondrai pas parce que vous faites du spectacle. » Me Metzger, du tac-au-tac : « Dans le genre guignol, vous n’êtes pas mal non plus. »

Gilles M. se reprend ensuite, face au procureur préférant parler d’un « geste d’aide » :

« A ce moment-là je n’ai pas pensé à moi, j’ai pensé à lui, c’est clair. »

En février 2012, il dira devant le juge d’instruction : « Je crois qu’on est en train d’oublier ce qui m’est arrivé ce soir-là. Je crois qu’il a eu plus de chances que moi. » La procureure demande qui est la victime, en fin de compte, dans cette affaire. Longues minutes de silence. Et du bout des lèvres : « C’est lui », Bertrand Bilger.

« Béat de bonheur »

L’avocat enchaîne avec ce qu’il nomme la « tournée de la rapine » : le vol des cartes de crédit, du chéquier, de la Rolex, de la Mercedes.

« Pendant que vous voliez, pensiez-vous qu’il y avait un homme en train de mourir à côté ? Et cerise sur le très vilain gâteau, vous vouliez offrir la voiture à votre petit-ami ! »

Le « petit-ami », c’est un étudiant lillois de 20 ans qu’il a rejoint après le meurtre. Aujourd’hui, il continue de lui écrire de longues lettres d’amour. C’est avec lui que Gilles M. est allé « faire la fête à Paris ». Au Ritz, sur les images de vidéo-surveillance, l’accusé apparaît « béat de bonheur », déplore Me Metzger. Il « cherchait à se faire arrêter », expliquera l’accusé. Il le sera, quatre jours après le meurtre. L’accusé va jusqu’à regretter :

« Je pensais que Bertrand serait retrouvé beaucoup plus vite, que ses sœurs allaient s’inquiéter un peu plus rapidement. »

Le verdict est attendu aujourd’hui mercredi.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : La personnalité trouble de l’amant, le compte-rendu de la première journée d’audience

Sur Rue89 Strasbourg : 18 ans de prison pour le meurtrier du notaire


#Bertrand Bilger

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