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Le Printemps, chronique des grandes heures du magasin à sa fermeture

Archives vivantes – Magasin historique du centre-ville de Strasbourg, le Printemps devrait fermer ses portes début 2022, laissant derrière lui près de 180 salariés. Retour sur un siècle d’histoire et de reprises, plus ou moins fructueuses.

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Avec ses verrières et son bardage en métal couleur « champagne », le Printemps est une enseigne emblématique du centre-ville. Situé place de l’Homme-de-Fer à proximité immédiate de deux arrêts de tram, ce grand magasin, ouvert en 1906, a traversé les âges.

Mardi 10 novembre, la direction du groupe a annoncé sa fermeture, avec six autres magasins en France.

Les investisseurs qataris, actuels propriétaires de la chaîne, expliquent leur décision par des difficultés financières croissantes dues au mouvement des Gilets jaunes, au contexte attentats et à la crise sanitaire. Localement, les syndicats pointent plutôt plusieurs erreurs stratégiques, à l’image de Yolande Fischbach, secrétaire CGT du Comité social et économique du Printemps Strasbourg :

« Le magasin ne se portait pas bien depuis 2013. Le tournant mode, luxe, beauté pris lors du dernier rachat n’était pas adapté à la clientèle. Les Alsaciens ne se retrouvaient plus dans ce luxe affiché sans complexe et nous n’attirions pas pour autant de riches clients étrangers qu’espéré. »

Yolande Fischbach a débuté sa carrière aux Grande Galeries, ancêtre du Printemps en 1975. Elle était alors âgée de 16 ans (Photo remise)

Un élégant bâtiment Jugendstil

Si l’on regarde dans le rétroviseur, le premier établissement de ce grand magasin a vu le jour à Strasbourg en 1906. Installé dans un élégant bâtiment Jugendstil (Art nouveau allemand), ce grand bazar appelé « Louvre » vendait toutes sortes d’objets : charrettes, brouettes, corseterie, vêtements pour hommes…

Aperçu du magasin au début du siècle (document Archi-wiki / auteur inconnu / cc)
Esquisse du Louvre en 1910. Le tramway passait déjà devant. (document Archi-wiki / Jocelyne Boes / cc)

Le Louvre devient « Grandes Galeries » en 1927, avant d’être repris en 1935 par Robert Jung qui sera son directeur pendant près de 40 ans. À part pendant l’Occupation, les Grandes Galeries conserveront leur nom jusqu’en 1979, date à laquelle le groupe Printemps acquiert l’enseigne.

Salariée du magasin depuis 1975, Yolande Fischbach a connu ce premier changement majeur de gouvernance :

« J’ai côtoyé M. Jung qui était le patron des Grandes Galeries. À l’époque, c’était un magasin très paternaliste, mais le concept du grand magasin est resté le même. On y trouvait tout : de la mercerie, des livres, des disques… Il y avait aussi un café-bar, ainsi qu’un restaurant au 8e étage. »

Rétrospective pour les 100 ans, en 2006

Un virage « luxe et élégance »

Le café et le restaurant panoramique ont depuis fermé leurs portes en 2011, tout comme l’impressionnant parking en silo qui a été transformé en logements d’habitation. Avant cela, en 1992, Printemps est racheté par le groupe PPR (Printemps Pinault Redoute), devenu Kering. Puis il est cédé à son tour en 2006 à RREEF, un fonds immobilier associé au groupe italien Borletti.

La devanture en 2008, avant les derniers travaux (Photo Archi-wiki / Fabien Romary / cc)

Jusqu’aux débuts des années 2000, le grand magasin de la place de l’Homme-de-Fer résiste bien. Il réalise encore, selon la conseillère de vente, quelque 45 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.

Finalement, le virage qui sera fatal au magasin sera le mot d’ordre « luxe et élégance », choisi par les investisseurs qataris pour accompagner en 2013 une rénovation de fonds en combes du bâtiment, un investissement de 22 millions d’euros. Première grosse erreur, celle de vendre les murs. « Une idiotie sans nom » pour Yolande Fischbach, puisque le loyer du Printemps « pèse aujourd’hui lourd dans les comptes d’exploitation ».

Le Printemps de retour en 2013

« Des sacs à main à 3 000 € »

Autre non-sens, toujours selon la vendeuse de 61 ans, l’aménagement d’une boutique « Printemps luxe » dans le hall d’entrée. « On y vendait des sacs à main à 3 000€. Évidemment à ce prix là, les gens terminaient vite leur tour », s’agace-t-elle. « Les Gilets jaunes et les mouvements sociaux ont bon dos pour expliquer les difficultés économiques. La direction ne veut pas regarder ses erreurs en face. »

Embauchée pour un contrat d’intérim de deux mois au Printemps en 2016, Anne-Sophie Puls a travaillé à l’espace montres. Cette animatrice commerciale pour L’Oréal se définit comme une top vendeuse. « Si un produit me plaît, j’arrive à le vendre », argumente-t-elle. De sa courte expérience non-renouvelée pour « manque de savoir-être », la quinquagénaire retiendra un manque de dynamisme général :

« J’ai fait deux très belles ventes, des montres à 2 000 €, alors j’étais fière. J’en ai parlé à mes collègues pour les stimuler, mais on me l’a reproché. Le personnel était découragé. Selon moi, la direction a fait quelques erreurs commerciales. Notamment de déménager la parfumerie au sous-sol du magasin. Il n’y avait pas de fenêtre, c’était étouffant et peu mis en valeur. »

À Strasbourg, les premiers licenciements débuteront en novembre 2021. Au total, ce sont quelque 180 employés (salariés de Printemps, animateurs commerciaux des marques et prestataires extérieurs) qui vont perdre leur emploi. Contacté, le directeur du Printemps de Strasbourg Alexandre Vaillant a indiqué ne pas vouloir communiquer « en raison du contexte actuel ».

Considéré comme commerce non essentiel, le Printemps est fermé pour ce second confinement (Photo Robin Dussenne / Rue89 Strasbourg)

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