« Comment tu la sens cette primaire ? » C’est la question sur toutes les lèvres lorsque les élus et militants de droite se retrouvent en cette rentrée 2016. Chacun y va de son pronostic, mais une certaine prudence règne, car c’est une grande première pour le parti « Les Républicains » (ex-UMP ; RPR ; etc.).
Depuis cet été, la présidentielle de 2017 écrase tous les sujets de discussion, dont les dossiers locaux. Mais avant cela, les militants et sympathisants de la droite et du centre sont invité à élire leur candidat dans une élection dite « primaire », dimanches 20 et 27 novembre. Sur la ligne de départ, ils seront 7 candidats.
Maudits sondages
Beaucoup de soutiens et de commentaires journalistiques se basent sur les sondages. Ils n’ont pourtant pas prouvé leur grande efficacité ces dernières années. Lors des élections régionales, aucun sondage dans le Grand Est n’avait prévu le résultat, même en tenant compte de la marge d’erreur. En Grande-Bretagne, citons la sortie de l’Union européenne ou les résultats des élections générales de 2015 qui n’avaient pas été pronostiqués. Et les sondages de la primaire sont encore plus incertains que pour une élection classique. D’une part, la liste des candidats n’est pas arrêtée, de l’autre les votants sont inconnus.
Le désaveu de la politique peut se poursuivre et une campagne morne déboucher sur une mobilisation faible de quelques centaines de milliers de personnes, à peine plus large que le cercle de militants. Ou au contraire, la campagne peut intéresser au-delà des milieux politiques habituels et dépasser les 2,9 millions de votants de la première primaire ouverte du PS en 2011. Des sympathisants de centre-gauche voire de gauche, convaincus que c’est à cette élection que l’on risque de choisir le futur président (ou que l’on élimine un des candidats de droite) pourraient même faire le déplacement. À moins que finalement, signer une charte de valeurs et se retrouver dans une file d’électeurs de droite les décourage… Cela, aucun institut, ni journaliste ne le sait au moment de constituer un échantillon à interroger.
Convictions et stratégie
Pour se présenter, les candidats ont besoin des parrainages de 2 500 adhérents, 250 élus dont 20 parlementaires (sénateurs, députés et députés européens, soit 247 personnes au total), ce qui pousse la majorité des élus alsaciens à se positionner en faveur d’un candidat. En Alsace, 342 bureaux de vote seront ouverts en novembre dont 54 dans les trois circonscriptions de Strasbourg et environs (Illkirch au sud, Schiltigheim Bischeim, Reichstett et Mundolsheim)
Les élus de droite ont donc choisi selon leurs affinités personnelles, mais aussi selon les sondages en se plaçant soit aux côtés d’un favori, soit d’un candidat moins coté mais qui permet d’avancer ses pions dans le cadre d’un futur soutien négocié ou d’une surprise. Ce n’est pas tellement qu’un « grand électeur » influence ou non l’issue finale du vote, mais cela permet de se placer au sein de sa famille politique, avec parfois le rêve de rejoindre ministère, mais aussi de rebattre les cartes au niveau local.
Pas sûr pour autant qu’il y ait de la place pour un élu alsacien dans un futur gouvernement de droite. Tous les candidats se disent favorable à un gouvernement resserré, soit une dizaine de ministres et autant de secrétaires d’État. Dans le Grand Est, Benoist Apparu, François Baroin voire la sarkozyste Valérie Debord semblent taillés pour la fonction, notamment si Nicolas Sarkozy l’emporte.
Peu de Sarkozystes
Bien accueilli par une partie importante des militants bas-rhinois en juillet à la fête champêtre du parti, Nicolas Sarkozy ne compte qu’un soutien de parlementaire alsacien, celui de René Darnesi, sénateur du Haut-Rhin. Un autre soutien a néanmoins détonné, celui de Philippe Richert, président de la nouvelle Région Grand Est. Philippe Richert avait déjà participé à un gouvernement de Nicolas Sarkozy, mais se revendique « centriste » et surtout a expliqué que la politique devait se pratiquer « autrement » après son élection en décembre 2015.
Lors d’un déjeuner de presse lundi 29 août, Philippe Richert s’est justifié :
« J’étais filloniste depuis le début, mais il ne sera pas au second tour. Chaque fois que j’ai rencontré Nicolas Sarkozy, j’ai toujours eu raison dans mes demandes. Mais quel que soit le vainqueur, il faudra le soutenir. Alain Juppé me convient aussi. Je sais que je ne suis pas majoritaire dans l’équipe mais Nicolas Sarkozy saura être à l’écoute. Il a géré des crises internationales comme la Géorgie en 2008, il a une expérience que n’a pas Alain Juppé. »
Parmi les arbitrages qu’il a remporté auprès de Nicolas Sarkozy, celui de ne plus avoir Nadine Morano après ses propos sur la « race blanche » sur sa liste aux régionales, dans un scrutin où il devait convaincre une partie des électeurs de gauche de voter pour lui. Et d’après lui, d’être un peu plus mesuré sur ses promesses de revenir au découpage de l’Alsace de 2015 :
« [Avant d’être candidat aux régionales] J’ai dit à l’époque à Nicolas Sarkozy, qu’il faut arrêter de promettre tout et n’importe quoi. Cela ne veut pas dire que l’on garde les délimitations indéfiniment, mais les intéressés auront leurs mots à dire. Si l’ensemble des parlementaires arrivent à se décider, alors on pourra procéder à des ajustements. »
Quand on se rappelle des divisions de la droite alsacienne lors du référendum sur la collectivité unique en 2013 et la bataille pour la prise de leadership actuel, pas sûr que le Grand Est soit donc menacé à court terme si tout se passe comme Philippe Richert espère.
Sur son soutien à Nicolas Sarkozy, Philippe Richert a été rejoint par son vice-président à la Région, Jean Rottner (49 ans), fidèle sarkozyste. Le maire de Mulhouse se retrouve néanmoins pris en étau entre la défense de l’Alsace – il avait pris la tête de la contestation anti-fusion en 2014 – et la loyauté envers l’équipe régionale du Grand Est. Dans un entretien à l’Alsace où il prend position pour Nicolas Sarkozy et propose aux deux départements alsaciens de fusionner, il dit néanmoins :
« Depuis 1975, d’autres régions comme la Bretagne et le sud de la France ne cessent de progresser, alors que nous, on chute. Si on ne change rien, on va dans le mur ! »
Son président, actif en politique depuis les années 1980 et président de l’ex-Région Alsace depuis 2010 appréciera. On peut donc soutenir le même candidat et ne pas avoir le même horizon.
- René Darnesi, sénateur du Haut-Rhin
- Catherine Troendlé, sénatrice du Haut-Rhin
- Philippe Richert, président de la Région Grand Est
- Jean Rottner, maire de Mulhouse et vice-président de la Région Grand Est
Un seul député pour Alain Juppé, mais deux sénateurs
L’ancienne maire et actuelle sénatrice de Strasbourg Fabienne Keller a très vite pris parti pour Alain Juppé. Battue deux fois à la mairie de Strasbourg, cela peut être un nouveau tremplin vers des responsabilités nationales. Elle a été suivie par un autre sénateur, André Reichardt. En dehors de cela, une seul député, dans les premiers soutiens alors que la droite alsacienne s’est toujours revendiquée tournée vers le centre, n’hésitant pas à s’affranchir de la consigne de « ni-ni » de Nicolas Sarkozy, lorsqu’un second tour opposait le PS au Front national.
À noter que le maire UDI de Schiltigheim, Jean-Marie Kutner, nous a indiqué avoir apporté un parrainage à l’ancien Premier ministre (1995-1997), ce qui est autorisé par son parti (voir plus bas), mais dont la position officielle est de ne pas prendre position. « C’est un parrainage à titre strictement personnel. C’est le candidat le plus proche de mes convictions personnelles et qui a le plus de chances de gagner d’après moi », a expliqué Jean-Marie Kutner à Rue89 Strasbourg.
- Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin
- André Reichardt, sénateur du Bas-Rhin
- Jean-Luc Reitzer, député du Haut-Rhin
- Yves Bur, maire de Lingolsheim et premier vice-président de l’Eurométropole de Strasbourg
- Bernard Fischer, maire d’Obernai et premier vice-président du Bas-Rhin
- Jean-Marie Kutner, maire de Schiltigheim (UDI)
- Arlette Grosskost, député du Haut-Rhin, seule parlementaire alsacienne qui avait parrainé Hervé Mariton « pour la diversité des candidatures », mais ce dernier a été recalé par la Haute autorité de la primaire, certains des soutiens étant des doublons.
Pour ceux qui ne soutiennent pas un candidat présenté comme un favori, cela permet d’envisager (négocier ?) un éventuel nouveau soutien en cas de deuxième tour, voir d’être en position de force si leur candidat fétiche s’y qualifie ou même réalise un bon score.
Un gros bataillon de députés Filloniste
D’après un décompte du journal Le Monde l’ex-premier ministre de Nicolas Sarkozy a obtenu le plus de parrainages de parlementaires (74). En Alsace, il ne déroge pas à la règle avec 4 soutiens dans le Bas-Rhin (sur 7 possibles) et 1 dans le Haut-Rhin. Député de Paris, François Fillon avait tissé un large réseau auprès des députés, notamment en Alsace, lors de sa candidature à la présidence présidence à de l’UMP en 2012.
Il l’avait emporté en Alsace (60,38 %), mais son concurrent Jean-François Copé – vainqueur après un psychodrame qui a marqué la droite – l’avait malgré cela devancé de 18 voix dans le Bas-Rhin. Globalement, se sont des députés plutôt discrets qui soutiennent ce candidat, dont les propositions ont du mal à trouver un écho.
- Sophie Rohfritsch, député et maire de Lampertheim
- Frédéric Reiss, député du Bas-Rhin
- Claude Sturni, député et maire d’Haguenau
- Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin
- Michel Sordi, député du Haut-Rhin
- Gilbert Meyer, maire de Colmar
Bruno Le Maire, parti pour durer
Plus jeune que Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, Bruno Le Maire (47 ans) veut incarner un renouveau politique à droite, bien qu’il ait déjà été ministre de l’Agriculture (2009-2012). Fort d’un score intéressant lors de l’élection à la présidence du parti en 2014 (29,18%), il peut espérer un bon score. Parmi ses soutiens, tous ne l’imaginent pourtant pas au second tour ni l’emporter. Cependant, contrairement au perdant entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, l’avenir du député de l’Eure ne devrait pas s’arrêter en 2016, bien au contraire. S’il ne se qualifie pas au second tour, il pourrait au moins être courtisé lors de futures négociations. Un bon pari, peu risqué.
Au niveau local, il a plaidé pour que Strasbourg devienne la capitale d’une future zone euro et d’encourager des coopérations entre les deux départements s’ils le souhaitaient. Entre ses positions et une campagne davantage sur le terrain qu’en meeting , il a su séduire des élus de différents types.
On remarque que les présidents de deux départements le soutiennent. Dans son discours de rentrée au Vaisseau, le bas-rhinois Frédéric Bierry, a dévoilé sa priorité politique :
« Ma priorité, c’est que nous étudions collectivement dès les prochaines semaines, et avant les présidentielles, toutes les options qui peuvent s’ouvrir à nous, sans tabous, pour que l’Alsace redevienne une réalité institutionnelle et politique. »
Dans son discours, l’élu de la vallée de la Bruche n’a pas cité une seule fois Philippe Richert, qu’il ne semble pas associer à ce projet. Pourtant, une réforme institutionnelle n’est pas la priorité de Bruno Le Maire. Souvent questionné sur le sujet, son homolgue Éric Straumann, se dit pour le principe d’une fusion « par la loi, comme en Corse », mais à condition de récupérer d’abord les pouvoirs d’une Région. C’est là qu’avec un Jean Rottner les avis divergent…
- Anne Sander, députée européenne
- Antoine Herth, député du Bas-Rhin
- Guy-Dominique Kennel, sénateur du Bas-Rhin
- Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin
- Éric Straumann, président du conseil départemental du Haut-Rhin
Deux soutiens à Jean-François Copé
Pas forcément populaire dans l’opinion, Jean-François Copé jouit pourtant d’un très bon sens relationnel auprès des députés, ce qui lui a permis d’obtenir des parrainages. Il a ainsi récolté deux soutiens parmi les sept députés bas-rhinois. Ironie de la situation, les deux hommes ne s’apprécient pas forcément et là encore c’est à cause de l’Alsace. À l’université d’été de « Les Républicains » le député de Strasbourg Nord, André Schneider, qui ne se représentera pas, s’est dit « choqué » que le président du parti Laurent Furst lance une pétition « Rendez-nous l’Alsace » et qu’il faudrait soutenir Philippe Richert « quel que soit le périmètre de la Région ».
Une partie de la droite alsacienne, dont Laurent Furst fait partie essaie justement de reprendre la main, en capitalisant sur l’image de l’alsacianisme et en attaquant Philippe Richert sur ce front. Au point d’inviter le sujet dans la primaire de la droite. Effet voulu ou non, ce type de déclarations braquent les projecteurs à nouveau sur la pétitions, passée inaperçue au début car lancée l’été et au moment des attentats à Nice. Le site affiche désormais plus de 9 000 signatures, dont celle de 150 maires (sur 900 communes) et de plusieurs élus des deux départements, mais peu d’élus influents.
- Laurent Furst, président de « Les Républicains » du Bas-Rhin et député-maire de Molsheim
- André Schneider, député de Strasbourg Nord
D’autres personnalités politiques sont officiellement candidats à la primaire. Jean-Frédéric Poisson, qui n’a pas besoin de parrainages car il préside le parti chrétien-démocrate (PCD), n’a pas de soutiens officiels connus en Alsace. Parmi les autres, ils sont selon les dernières informations à la recherche des derniers parrainages
Les thèmes inhabituels de Nathalie Kosciuzko-Morizet
Nathalie Kosciuzko-Morizet a plusieurs fois été vue aux côté de Fabienne Keller à Strasbourg. Proches politiquement (de centre droit, en faveur du mariage pour tous par exemple) les deux femmes sont toutes deux polytechniciennes.
La candidate malheureuse à la mairie de Paris lle fait souvent campagne sur des thèmes de fond assez délaissés par sa famille politique : le numérique, l’économie collaborative, l’Europe, l’Université, l’Écologie…
Une manière de se démarquer mais qui n’assure pas beaucoup de visibilité dans le climat politique actuel. En Alsace, on ne lui compte qu’un soutien de parlementaire.
- Jean-Louis Christ, sénateur du Haut-Rhin
Les élus UDI se positionnent peu
L’UDI a voté en juin de ne pas participer à la primaire et de décider selon le vainqueur si elle le soutiendra ou si elle présentera un autre candidat. Cela explique que le sénateur-maire de Gries, Claude Kern n’ait pas pris position, pas plus que le sénateur mulhousien Jean-Marie Bockel ainsi que le député haut-rhinois Francis Hillmeyer. Une candidature de l’ex-ministre de l’Économie Emmanuel Macron pourrait aussi bouleverser les plans si des convergences sont possibles. Son discours a en tout cas eu un écho certain au sein du parti de centre-droit.
Néanmoins, certains élus UDI ou Modem en France ont apporté un soutien public à des candidats. En plus de Jean-Marie Kutner, citons aussi en Alsace Laurent Burckel, 1er adjoint au maire à Saverne et conseiller régional.
L’Alsace éternelle, sujet de campagne pour certains
Pas de doute, tous les candidats seront questionnés sur leur position vis-à-vis du découpage des régions lors de leur passage en Alsace. Un problème qui semble plus important que les réformes économiques ou les enjeux sociétaux pour une partie de la classe politique alsacienne. Ou un moyen de surjouer les différences pour occuper l’attention, surtout à l’heure où plusieurs candidats promettent de réduire le nombre d’élus.
Le problème est qu’il sera difficile de contredire Philippe Richert, secoué au niveau local mais qui préside l’association des régions de France (ARF), de dire certaines choses en Alsace et l’inverse en Lorraine et Champage-Ardenne, d’expliquer aux Français que re-découper les régions va régler les problèmes de la France, ou de se mettre à dos les électeurs de droite alsaciens en ne tenant pas une promesse une fois à l’Élysée. Il faut donc s’attendre à des prises de position prudentes ou ambiguës.
Mais d’après les élus locaux alsaciens cela reste une question importante auprès de leur électorat traditionnel. Une situation qui a permis l’émergence du parti régionaliste Unser Land (11% en Alsace), ou détourné des électeurs vers l’abstention ou le Front national qui promet aussi de revenir sur la réforme. « Cette présidentielle est la la seule fenêtre de tir pour encore changer les choses », explique un militant du parti.
Ce papier sera mis à jour en fonction des derniers soutiens et éventuels ralliements. N’hésitez pas à nous les signaler en commentaire.
Aller plus loin
Sur Le Monde.fr : Primaire de la droite et du centre : qui sera vraiment candidat ?
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