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Présidentielle : malgré un « challenge citoyen » en 2017, la participation au Neuhof « repart de zéro »

En 2017, le centre social du Neuhof avait mené une large opération de mobilisation des quartiers populaires pour inviter leurs habitants à participer à l’élection présidentielle. Mais cette initiative est retombée et l’abstention de masse est de nouveau à craindre dans ce quartier dont les habitants « n’attendent rien » de la future ou du futur président.

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Devant l’emblématique bâtiment de la Demi-lune au Neuhof, un jeune homme en survêtement promène d’un pas pressé un petit chien. « Moi, personne ne m’a jamais écrit pour aller voter. Allez peut-être demander à des personnes âgées, il y en a qui votent… » À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, le scrutin n’est pas dans toutes les têtes.

En 2017 pourtant, le Neuhof avait fait parler de lui en France et même à l’étranger. Pendant des mois, le centre socioculturel du Neuhof, et notamment son emblématique animatrice Jamila Haddoum, avait mis au défi les différents quartiers d’inscrire leurs habitants sur les listes électorales lors d’une opération appelée « Challenge citoyen ». Une tournée et un succès d’image dans 35 villes et 50 quartiers. En avril 2017, certains bureaux de vote du Neuhof avaient affiché une participation d’environ 80%, conforme à la moyenne strasbourgeoise. Mais cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette mobilisation exemplaire ? Les souvenirs sont diffus et les préoccupations ont changé.

Voter blanc ou ne pas voter ?

Dans un parc de jeux, deux jeunes femmes surveillent leurs enfants. Le nom du Challenge citoyen n’évoque rien à Mégane, 26 ans et habitante du quartier depuis sa naissance. Néanmoins, elle a vaguement « vu des posts de Jamila sur Snapchat », le réseau social d’images éphémères utilisé par les plus jeunes, qui incitent à voter. Elle suit de loin la campagne présidentielle. « J’ai quelques échos, mais avec mes deux petits je ne suis pas trop. » De toute façon, « tout ce qui se passe est catastrophique », juge-t-elle en mentionnant le Covid et la guerre en Ukraine même si « tout n’est pas la faute de Macron ». Plus près d’ici, elle remarque que le quartier « ne s’améliore pas ». Cette salariée avec des enfants insiste sur le fait qu’elle n’a « aucune aide de l’État ».

Au sujet des élections, même si elle confesse en avoir « raté quelques unes », Mégane pense néanmoins que c’est un devoir de voter, y compris avec un bulletin blanc. Son amie Belinda, plus jeune, désapprouve. « Ça sert à quoi ? » Elle n’ira pas voter. « Faudrait que ce soit Le Pen pour que ça change », tente son amie, un brin provocante. Bélinda hausse les épaules. « Tout le monde est un peu raciste à sa manière », conclut-elle. « Passez le message à Macron, qu’il reste chez les riches, on ne veut plus de lui », lance Bélinda, en fermant le coffre de sa voiture.

Autour du grand bâtiment de la Demi-lune, l’élection présidentielle anime peu les discussions. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg

« L’essence à 2€, c’est très grave »

Assise sur une table de pique-nique, Inès, 19 ans, discute avec des amis. Le Challenge citoyen lui évoque aussi un vague souvenir. « Ma tante avait voté suite à ça », se rappelle-t-elle. Mais elle ne pense pas que cela suscitera une participation similaire en 2022. « On n’est tellement plus en accord avec cette société, qu’on ne va plus voter », explique cette employée d’un tabac du quartier. Elle note que « Mélenchon a de bonnes idées », comme un certain… « Emmanuel Macron qui a fait pleins de promesses », mais dont les gens sont « très déçus » selon elle. À l’écouter, sa mère ne votera pas non plus, car elle a des préoccupations plus concrètes : « Elle n’en peut plus de l’essence à 2€, c’est très grave ». Quant à elle, habitante du Port-du-Rhin, elle se projette difficilement sur ses futurs déplacements : « D’ici que j’ai le permis, le litre sera à 3€ ! Si ça se trouve, je vais me déplacer en trottinette ! »

Le rejet d’Emmanuel Macron revient souvent dans les paroles des habitants de ce quartier populaire. Sur l’avenue du Neuhof, le président compte cependant au moins un soutien. « J’aime bien tout ce qu’il a fait. J’ai voté pour lui en 2017 et je revoterai pour lui en 2022 », fait savoir Boualem, 63 ans, qui cite par exemple la gestion du Covid et le « quoi qu’il en coûte ». Boualem n’est pourtant pas le portrait-robot des riches que rejette Bélinda. Ce salarié dans la logistique n’est « pas encore à la retraite ». Actuellement arrêté, il soigne des douleurs articulaires. Qu’attend-il de plus du président en cas de second mandat ? « Faire peut-être un peu plus pour l’emploi des jeunes. Il y en a beaucoup qui cherchent sans trouver ».

L’impossibilité de s’inscrire en dernière minute

À première vue, la lassitude, le rejet, semble augurer d’une abstention bien plus massive qu’en 2017. Mais il y a aussi des personnes qui n’avaient pas voté et qui ont changé d’avis. Sur un banc ensoleillé près du tram, Mohammed, 36 ans, ne s’est pas déplacé cinq ans plus tôt. « On avait l’impression que c’était soit Macron, soit Le Pen ». Mais le quinquennat l’a décidé. « Ça a été dur économiquement ces 5 ans et là encore plus ces derniers mois. Les salaires, eux, n’ont pas bougé », relate cet assistant d’éducation. Cette fois-ci, il pense voter Jean-Luc Mélenchon. « Même si on n’est jamais sûr », tempère-t-il. Comme beaucoup de jeunes personnes, le nom de Jamila et ses prises de position pour inciter à voter lui évoquent quelque chose, sans forcément se rappeler du nom du « challenge citoyen ».

Mohammed n’avait pas voté en 2017, mais compte se mobiliser en 2022. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg

Attablée à une terrasse avec un café, Djamela, 59 ans, ne connait pas non plus le challenge mais votera et « incite ses enfants à voter ». Pour elle, le problème de l’abstention des quartiers vient des difficultés du quotidien. Ainsi, le rapport au temps pour s’intéresser à la campagne est différent, analyse-t-elle : « Ici, les gens n’anticipent pas trop. Si c’était possible de s’inscrire sur les listes le jour-même, juste avec une carte d’identité, davantage de personnes voteraient ».

Les inscriptions sont closes depuis le 4 mars et elle est elle-même préoccupée par son avenir à court terme. En ce jour où elle sort de l’hôpital, elle est sans emploi après avoir travaillé un an dans le centre de vaccination d’une clinique de Strasbourg. Elle recherchera un emploi à partir de mai, avec l’aide d’une association. Elle ne sait pas s’il est possible de voter « juste avec une carte d’identité » ou s’il faut une carte électorale. Il y a 5 ans, elle se rappelle avoir raté le jour du vote et que Macron avait été « élu par défaut ». Mais cette année, elle a pris ses dispositions avec une procuration et ne votera « pas blanc, c’est sûr ». Elle pencherait aussi pour Jean-Luc Mélenchon, en qui elle a « un peu plus confiance » même si « ça fait longtemps qu’on n’attend plus rien ici ».

Le centre social beaucoup moins engagé

Du côté du centre socioculturel (CSC), la structure ne déploie pas autant d’énergie qu’en 2017. Il faut dire que les lendemains n’ont pas été faciles à gérer. « Lors du mouvement des Gilets jaunes, des personnes qui s’étaient inscrites et avaient voté suite au Challenge étaient mécontentes et nous ont en quelque sorte demandé de nous justifier… Or, on n’a jamais appelé à voter pour un candidat, mais simplement à s’inscrire et voter pour la voix des habitants compte », se souvient Jamila Haddoum. Mais pour l’animatrice jeunesse, qui a aussi un groupe de musique avec ses enfants, la lutte contre l’abstention reste un impératif. Après l’abstention record aux élections départementales et régionales de 2021, le service jeunesse du CSC réalise des émissions pour une webTV appelée « Tous à bord ». La petite chaîne dispose d’un studio dans un gymnase mis à disposition par le collège. Pour d’autres enregistrements des politiques locaux échangeront avec le public.

Le plateau de la WebTv de « Tous à bord », où le CSC tente de faire débattre des personnes du vote. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

À quelques semaines du premier tour, la webTV tente de faire débattre des personnes de différents quartiers. Ceux qui pensent voter, avec d’autres qui ne veulent plus le faire. Derrière les caméras, Jamila Haddoum donne les consignes aux différents bénévoles pour le lancement, la technique et le ton à adopter. Sur le plateau un vendredi soir, les premiers arguments s’échangent. « Voter blanc, ça exprime au moins qu’on n’est pas représenté. Alors que l’abstention on ne sait pas », tente un invité. Voter quand on vit dans un quartier, « au-delà de faire basculer une élection, c’est représenter ceux qui n’ont pas de carte électorale », plaide Sitana, coach en insertion, en référence aux plus jeunes ou aux étrangers, plus nombreux dans un quartier comme le Neuhof.

« L’affaire Fillon m’a choquée »

Parmi les invités, Lina, demandeuse d’emploi de 24 ans, a certes voté une fois, en 2017. Mais désormais, elle pense « ne plus jamais voter ». En dehors du plateau, elle détaille l’argument qu’elle s’apprêtait à développer :

« L’affaire Fillon, ça m’a choquée. On paie tous des impôts ou des amendes et c’est celui qui a été Premier ministre qui prenait dans la caisse ! Pour moi, si on en prend un, c’est qu’ils le font tous. C’est peut-être injuste de penser comme ça, mais je m’en fiche. Je vois les politiciens comme des personnes corrompues qui n’écoutent pas assez et les gens ni ne s’intéressent pas aux vraies problématiques. »

Dégoutée par les affaires, Lina ne pense plus voter. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Et pourtant, elle vient d’une famille où elle est « la seule à ne pas voter ». Au contraire d’Achraf, 19 ans, dont les « parents n’ont pas la culture d’aller voter ». Cet étudiant, qui a passé le Bafa dans l’animation de rue à l’été 2020, fait partie de ceux qui pensent que davantage de personnes iront voter en 2022 qu’en 2017 :

« Avec tout ce qu’on a traversé avec le Covid, les gens se sont rendus compte qu’il y a des gens qui prennent des décisions importantes pour nous, qui peuvent être différentes d’une personne à l’autre. L’arrivée d’Éric Zemmour va aussi mobiliser, elle amène à prendre position. »

Achraf vient d’une famille où personne ne vote. Mais lui votera pour la première fois le 10 avril 2022. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Une fois les convives repartis, Djamila Haddoum prend le temps de revenir sur ses souvenirs d’il y a cinq ans. Des images qu’elle aurait aimé voir se répéter :

« Il y avait une énergie folle, partout où on est allés, dans les QPV (Quartiers prioritaires de la Ville, NDLR) de Marseille, Paris ou Lille, le logo était partout. Même le Time ou la BBC se sont intéressés à nous ! Ça a renvoyé une image positive du quartier. Le jour du vote, c’était comme un jour de fête. Alors que d’habitude, les jeunes aiment mettre en avant les drapeaux de leurs origines, ce jour-là, il y avait des drapeaux français sur les scooters. On disait aux personnes d’être fières de leurs richesses. Les plus jeunes allaient chercher des gens pour les motiver à aller au bureau de vote et remporter le challenge. Cette année, c’est deux fois plus dur, c’est comme si on repartait de zéro… »

Djamila Haddoum pilote le lancement de l’enregistrement. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

« On pensait enclencher un mouvement pérenne »

Khoutir Kechab, le directeur du CSC se rappelle notamment avoir généré « 4 000 inscriptions en pied d’immeuble ». En dépit de règles strictes qui empêchaient « d’aller dans le domicile » ou de remplir un formulaire à la place de personnes, même si elles sont mal à l’aise avec le Français.

C’est la suite qui suscite un peu d’amertume pour Khoutir Kechab :

« C’était beaucoup d’énergie et des heures non-payées. Pour ce type d’opération, il faut des moyens. On pensait qu’on enclencherait quelque chose de pérenne et qu’on intéresserait les hommes politiques aux quartiers. Les bases étaient là avec des CSC de toute la France qui avaient participé. On a déposé un dossier à La France s’engage, mais on n’a pas été retenu, sans savoir pourquoi. C’est comme si ce problème de l’abstention dans les quartiers, que ce soit chez les jeunes ou les personnes âgées, ne semblait déranger personne. »

Pour Jamila Haddoum, la mobilisation est une question de volonté des pouvoirs publics. « Pour les gestes barrières, l’État a su communiquer efficacement et rapidement », compare-t-elle.

Koutir Kechab et Jamila Haddoum gardent un souvenir intense du Challenge Citoyen de 2017, mais auraient aimé que l’opération engage un changement durable qui intéresse les hommes et femmes politiques. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Lors des scrutins suivants, l’intérêt pour la démarche est retombé. Aux élections municipales à Strasbourg, Khoutir Kechab se rappelle tout de même, à beaucoup plus petite échelle, des « world café » dans les différents centres socioculturels de la ville. Et sur la forme, d’avoir modifié le rapport habituel entre habitants et candidats. « Ce n’était pas un débat particulier, les candidats s’installaient à une table, ils étaient juste à l’écoute et n’avaient que quelques minutes pour conclure ». Mais le jour du vote, en pleine vague Covid, les quartiers ont très peu voté. La campagne s’est jouée dans les quartiers centraux et du nord de Strasbourg.

Seul élément durable de l’opération de 2017 : les personnes inscrites sur les listes pourront bien voter dimanche. Même si elles se décident le jour-même.


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