« Il n’a pas été réservé de suite favorable à votre demande. » Les journalistes de Rue89 Strasbourg connaissent cette réponse de la préfecture du Bas-Rhin par cœur. À chaque demande d’information envoyée au service communication des services de l’Etat, c’est le même retour : négatif, sans explication. Depuis mi-2021, le dialogue est rompu entre notre média d’investigation locale et l’institution représentante de l’État dans la région.
Aucune réponse puis aucun communiqué
Depuis janvier 2022, notre journaliste Thibault Vetter compte ainsi 18 sollicitations écrites et restées sans réponse de la part de la communication préfectorale. Sur huit demandes presse, Pierre France n’a obtenu qu’une seule réponse de la préfecture. Pour Maud de Carpentier, depuis septembre 2022, aucune réponse du service communication malgré trois demandes. De même pour Camille Balzinger, qui n’a jamais obtenu de renseignements malgré quatre sollicitations en 2022 et en 2023.
Fin septembre 2022, la préfecture du Bas-Rhin a carrément décidé de boycotter l’unique média d’investigation indépendant d’Alsace, en retirant Rue89 Strasbourg de la liste des destinataires de ses communiqués et invitations de presse. Rue89 Strasbourg ne fait guère le relais de l’activité préfectorale, mais lorsque la préfecture communique sur le Grand contournement ouest, les catastrophes naturelles ou les vigilances canicule ou autres plans grand froid, c’est plus gênant.
Un obstacle de taille pour notre travail
Le boycott préfectoral est d’autant plus néfaste à notre travail qu’il contamine les administrations décentralisées de l’Etat, du moins celles qui estiment devoir transmettre toutes les demandes presse à la préfecture. Ainsi lorsque notre journaliste stagiaire Axelle Auvray a travaillé sur la pollution de l’eau par les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) n’a pas pu répondre sur son rôle, sa vigilance et son plan d’action, sur une question majeure de pollution affectant le grand public, en raison du silence imposé par la préfecture du Bas-Rhin…
Plus récemment, mercredi 24 mai, notre journaliste Camille Balzinger a couvert l’évacuation du squat Bourgogne dans le quartier de la Meinau. Peu après 6h, face à un cordon de forces de l’ordre, elle a été interdite d’accès au bâtiment. Un gendarme lui a indiqué que « Rue89 Strasbourg n’était pas autorisé à passer le cordon des forces de l’ordre », alors que d’autres journalistes étaient autorisés à pénétrer le squat. Il a fallu toute la ruse de notre consœur pour contourner quelques buissons et cette désolante interdiction.
Un boycott sans explication
À plusieurs reprises, par téléphone, nous avons tenté d’obtenir des explications sur cette situation ubuesque où une institution d’État choisit de mettre à l’écart un média d’information. Sans résultat. La direction de la communication renvoyait vers la préfète et conseillait d’échanger avec elle à l’issue d’une conférence de presse. La démarche étant d’autant plus compliquée que nous ne recevons plus les invitations à ces conférences de presse…
Mais au-delà de cet obstacle pratique, ce conseil nous gênait d’un point de vue déontologique : devons-nous rencontrer la préfète pour lui demander de mettre fin au boycott ? Si Josiane Chevalier avait des reproches à faire à un article ou l’autre, n’était-ce pas à elle ou son service communication de nous solliciter pour échanger sur le sujet ?
Un ancien agent de la préfecture a accepté de répondre à nos questions sur cette stratégie de la préfète. Ce dernier n’est pas étonné de ce boycott :
« Josiane Chevalier n’aime pas du tout être critiquée. Donc les enquêtes à la Médiapart, elle déteste. C’est une préfète qui attend des journalistes qu’ils écoutent lors des conférences de presse et transmettent le discours de la préfecture. Au-delà de son rapport aux journalistes, c’est une préfète qui se permet des sorties très politiques, contre la maire de Strasbourg notamment. Je pense que c’est lié à des consignes du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui a lancé une guerre de communication contre les municipalités écologistes. »
Depuis 2020 effectivement, Josiane Chevalier est plusieurs fois entrée en conflit avec la municipalité strasbourgeoise, notamment lors des critiques du ministre de l’Intérieur sur le financement de la mosquée Eyyub Sultan.
Josiane Chevalier : « On souhaite avoir quelque chose de plus équilibré »
Jeudi 25 mai, Rue89 Strasbourg s’est rendu à l’hôtel préfectoral à l’occasion d’une conférence de presse sur le Service national universel (SNU). Autorisés à pénétrer l’enceinte du bâtiment historique, nous avons demandé à la préfète pourquoi elle refusait de travailler avec Rue89 Strasbourg. La représentante de l’Etat a accepté de saisir cette occasion pour s’expliquer :
« Rue89 Strasbourg n’a pas toujours été correct avec nous, nous n’avons pas été traités de manière équitable. Je prends le cas du camp de l’Étoile qui n’est plus un sujet puisque le tribunal administratif a tranché en faveur de l’Etat. Je me fais épingler par des titres qui ne sont pas acceptables alors que, la preuve, j’étais dans mon droit. Il y a eu des choses comme ça, notamment au sujet des migrants, laisser croire que l’État ne fait rien alors que c’est l’État qui finance l’essentiel des dépenses. Nous ce qu’on souhaite, c’est avoir quelque chose de plus équilibré. Si on trouve des choses plus équilibrées, moi j’ai pas de souci. »
Au cours d’un échange d’une dizaine de minutes, Josiane Chevalier a nié avoir donné des consignes d’interdiction spécifiques à Rue89 Strasbourg lors de l’opération d’évacuation du squat de la veille. Affirmant agir pour protéger les fonctionnaires, elle rappelle que ses services et ceux de l’Etat « ne sont pas là pour se faire matraquer » et précise :
« Il y a eu des excès de la part de Rue89 Strasbourg, je dois marquer le coup. (…) Sur les sujets polémiques, je n’ai pas la même liberté de parole qu’un élu, je dois communiquer de façon équilibrée. Jamais je ne chasserai un journaliste mais je parle à qui je veux, et je communique de la manière dont je le souhaite… Et d’ailleurs je communique beaucoup par les réseaux sociaux. »
Josiane Chevalier a néanmoins considéré que cet échange avait permis « une explication » et « considère que le lien est renoué » avec Rue89 Strasbourg. Espérons le, car depuis plus d’un an, notre liste de questions à adresser à l’Etat n’a cessé de s’allonger…
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