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Pourquoi les fruits et légumes alsaciens sont rares dans les hypermarchés

Consommer local. Un beau projet auquel personne ne semble opposé. Mais dans les rayons des magasins, les fruits et légumes alsaciens sont rares. Qu’est-ce qui explique qu’un produit se retrouve sur un étalage plutôt qu’un autre ? Éléments de réponse.

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D’une enseigne à l’autre, chacun a sa politique vis-à-vis des produits locaux. (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Au téléphone, un responsable national des produits frais pour le compte d’un groupe d’hypermarchés éructe :

« Une enquête sur les fruits et légumes en Alsace ? Encore un papier à charge ? Attention, si je retrouve mon nom dans la presse ça va barder ! »

Pas de surprise, le sujet est brûlant. Le 24 juillet, une vingtaine d’agriculteurs en colère se sont rendus au magasin Auchan à Hautepierre, pour remplacer les tomates espagnoles par leurs invendus. Des marges trop élevées et le manque de soutien à l’agriculture locale sont dénoncés. Un peu calmé, cet ancien directeur de grande surface à Colmar tient quand même à préciser son regard sur les choses :

« À plusieurs reprises nous mettons en avant les produits locaux. Nous avons même organisé des concours, mais quoi que l’on fasse ce n’est jamais assez pour les agriculteurs. À écouter une minorité agissante, il faudrait tout acheter, quel que soit le prix ou la qualité. Si les endives du Nord sont meilleures que celles d’Alsace, pourquoi devrait-on acheter local ? Nous aussi nous sommes en concurrence, nous aussi nous avons des charges. D’ailleurs quand les agriculteurs se mettent à commercialiser eux-mêmes leur production, les prix sont proches des nôtres. Sur l’Europe, on n’a le droit de rien dire, sur les agriculteurs non plus, du coup on tape sur l’hyper du coin. C’est toujours plus facile. »

Malgré les apparences, la production alsacienne résiste

Fabien Digel, est directeur de l’interprofession des fruits et légumes d’Alsace. Cette association regroupe à la fois les producteurs, les intermédiaires (coopératives, négociants, grossistes, conditionneurs et transformateurs), ainsi que la distribution et les commerçants. Le rôle de la structure est justement d’éviter les événements comme celui du 24 juillet. Fabien Digel tient à tempérer ce climat houleux en apparence :

« Le rôle d’un syndicat c’est de dire quand ça ne va pas. Il a parfois raison de la faire. Cependant toutes les filières, comme les asperges, n’ont pas les difficultés des tomates. En 20 ans, la production nationale de fruits et légumes a été divisée par deux, tandis qu’elle a légèrement augmenté en Alsace. Ici, les consommateurs sont assez chauvins et c’est toujours un argument commercial d’avoir des produits locaux, mais certains magasins y croient plus que d’autres. Parmi les neuf enseignes de distribution présentes dans l’interprofession, il n’y en a aucune qui est irréprochable et aucune qui est complètement insensible aux produits locaux. Même au sein d’un même groupe, il y a parfois des disparités d’un magasin à l’autre. C’est une politique d’entreprise et parfois des questions d’opportunité. »

L’origine alsacienne des produits est parfois indiqué par un petit logo rouge (photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Une forte concurrence internationale

Pour Fabien Digel, également chef de service à la chambre d’agriculture de région Alsace, une des difficultés est structurelle :

« Le coût de la main d’œuvre et des cotisations sont variables d’un pays à l’autre en Europe, alors que les produits sont en concurrence. Cela pousse les prix vers le bas. »

Là aussi, une critique en creux sur la concurrence européenne revient, mais les reproches restent feutrés, car l’Union européenne c’est aussi les subventions de la PAC. Alors qu’un SMIC européen, ne serait-ce que dans certaines branches concurrentielles, n’est pas d’actualité, difficile de lutter face à des exploitations allemandes ou espagnoles où les employés sont payés 2 à 4 euros de l’heure (contre 9,43€ minimum en France). Pierre Maurer, agriculteur à Dorlisheim, raconte comment la compétition internationale permet de mettre en concurrence les producteurs :

« Quand les prix sont jugés trop élevés, les responsables de centrales d’achat nous rappellent la concurrence au niveau national, puis après avec l’Allemagne. Le niveau ultime c’est avec les exploitations de Pologne et leurs tomates à 20 centimes le kilo. Quand on en arrive là, c’est qu’on est mal. »

Sur cet étal, une seule variété de pommes semble venir de la région (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

À titre de comparaison, lors de l’opération du 24 juillet, le syndicat des fruits et légumes d’Alsace estimait que le prix minimal pour qu’un agriculteur alsacien rentre dans ses frais est de 1€10 le kilo de tomates. Pierre Maurer constate que depuis l’événement, la centrale d’achat de l’hypermarché commande 1 000 caisses par semaines, contre 50 auparavant (!). « Pour le moment, ça tient. C’est dommage d’en arriver là ».  Pour lui, le client profite peu de la guerre des prix :

« Pour un magasin strasbourgeois, qui a d’ailleurs fermé depuis, nous avons déjà fait un prix pour écouler 40 caisses d’un coup dans le cadre d’une opération promotionnelle sur deux jours. Sauf qu’après, il n’y a plus eu aucune commande pendant 10 jours, alors que d’habitude plusieurs cagettes quotidiennes sont demandées. Seules 4 ou 5 étaient rayon le temps de l’opération, puis les autres vendues en dehors de l’opération, au tarif habituel. »

Une mauvaise conjoncture

Une concurrence internationale certes, mais cela n’explique pas en quoi les exploitants locaux souffrent face à leurs homologues français. Certains produits alsaciens n’ont pas autant la cote que les asperges ou les pommes de terre. Fabien Digel y voit une conjoncture peu favorable :

« Cet été est particulièrement compliqué pour les producteurs, car les prix ont à nouveau baissé. La météo n’a pas été favorable et beaucoup de produits sont arrivés plus tard en Alsace que dans le Sud, ce qui provoque effondrement des cours agricoles. La tomate est un exemple emblématique. L’Alsace n’est pas un territoire de production de tomates. On n’en sort de terre que deux mois dans l’année. D’autres régions comme la Bretagne arrivent à en produire 10 mois dans l’année. Du coup, les centrales ou les distributeurs ne voient pas pourquoi elles changeraient leurs habitudes deux mois par an. »

Quand les marchandises ne trouvent pas preneur auprès des centrales d’achat, elles aussi tenues de réaliser des bénéfices, les coopératives d’agriculteurs, voire les exploitants eux-mêmes se mettent alors à négocier avec certains magasins.

Elles ont pourtant l’air d’avoir plus de succès ces pommes alsaciennes (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Des supermarchés volontaires pour le local, mais dépendants des centrales d’achat

La responsable du supermarché U Express à la Robertsau, Angélique Klein, passe ses commandes au fur et à mesure de ses besoins à la centrale d’achat du groupe à Mulhouse. Certains produits locaux y sont sélectionnés car cela correspond à la politique du groupe, mais ni elle, ni son chef de rayon ne peuvent exiger un produit de tel ou telle provenance. En revanche, elle est amenée à traiter individuellement avec des agriculteurs locaux :

« À la centrale, c’est premier arrivé, premier servi. Beaucoup de plus grands magasins de la marque sont prioritaires sur nous, ce qui est normal car ils ont de plus gros volumes. Alors il faut trouver d’autres moyens de remplir les rayons et c’est là que nous développons des relations avec des exploitants. Par exemple ici, nous travaillons avec un producteur de framboises, qui nous livre trois fois par semaine à Strasbourg et nous ne passons plus par la centrale car cela fonctionne très bien. Pareil pour les mûres. En saison, nous prenons des mirabelles, des cerises, des quetsches ou des pommes de terre toute l’année. Cela ne peut pas marcher pour tous les produits : parfois les volumes ne suivent pas. »

L’aspect des légumes est parfois aussi important que leur qualité pour les acheteurs (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Même son de cloche pour Jean Koch, responsable fruits et légumes à Cora Mundolsheim. Le local a ses avantages, mais il ne peut pas être la seule solution, notamment car l’offre du producteur ne correspond pas toujours à la demande en magasin :

« Pour choisir nos produits, on recherche toujours le meilleur rapport qualité/prix. La centrale d’achat nous propose un assortiment et là fait notre choix dedans selon nos besoins en magasin. Pour le local, nous passons par des coopératives d’agriculteurs. L’avantage c’est de pouvoir traiter en direct, sans intermédiaire. C’est souvent un peu plus cher, mais ça permet de soutenir l’économie de la région et les produits sont de bonne qualité. La question des volumes ne justifie pas de ne pas travailler avec des producteurs locaux. Quand ils ont les produits que l’on souhaite on les achète et sinon on compense avec ce qui est produit ailleurs. »

Entre la direction et le rayon, beaucoup de personnes dont l’intérêt n’est pas toujours celui du local

Pour les chefs de rayon, le message est clair : dans les centrales, c’est « à prendre ou à laisser », mais eux sont ouverts pour traiter directement avec un producteur. Cependant, il n’est pas toujours possible pour un agriculteur de fournir au compte-goutte chaque point de vente selon les besoins du jour. Alors les centrales d’achat fossoyeuses de l’agriculture alsacienne ? Fabien Digel relativise :

« Beaucoup d’agriculteurs trouvent leur compte grâce aux centrales d’achat. Ce système n’est pas près de disparaître car il permet d’écouler des volumes plus importants en une fois et prend en charge la logistique. »

Les centrales s’occupent aussi du contrôle de la qualité de produits. Plusieurs centrales d’achat contactées ont décliné nos sollicitations, mais la Société de commercialisation de fruits et légumes (SCOFEL), qui regroupe les achats pour les hypermarchés Auchan a apporté quelques précisions sur sa manière de travailler :

« Notre objectif est de mettre à la disposition de nos clients des produits frais, de saison, répondant au meilleur rapport qualité – prix du moment. Nous recherchons majoritairement des fruits et légumes récoltés en France, et favorisant, au travers des pratiques culturales, une approche “intelligente” de l’environnement. Notre première règle en matière d’achats consiste à mettre en place un cadre de fonctionnement qui favorisera l’épanouissement de partenariats locaux et régionaux. Nous pratiquons un achat “cours du jour”, cela signifie que nous tentons en permanence de faire en sorte que nos besoins trouvent une réponse adéquate au plus près de nos plates-formes d’approvisionnement. »

Et pourtant, tout le monde veut du local

La centrale estime à 36% la part moyenne des produits locaux dans ses assortiments. Alors que tout le monde semble vouloir travailler ensemble, Pierre Maurer identifie ce qui coince :

« Les chefs de rayon sont souvent des jeunes salariés. Ils veulent faire leurs preuves. S’ils arrivent à trouver un produit un peu moins cher et gagner un peu plus, ça ouvre des perspectives de carrière. En grandes surfaces, la clientèle est peu exigeante au produit, mais très attentive sur les prix. Souvent des personnes un peu plus expérimentées savent reconnaître un produit pour sa qualité. À la tête de l’entreprise, on est toujours pour plus de produits locaux, mais entre la direction et le rayon, il y a beaucoup de personnes et chacun a un petit intérêt, qui n’est pas forcément celui des produits locaux. Si un chef de rayon d’un grand magasin commence à dire à sa centrale qu’il veut plus de produits locaux, là ça peut faire bouger les choses. »

Fabien Digel reconnait qu’avec un jeune chef de rayon, l’incompréhension existe :

« Il y a un problème d’éducation et de formation. Plusieurs salariés sont baladés d’un rayon à l’autre et peuvent ne pas bien connaître les produits et leur valeur. Avec l’interprofession, nous organisons des rencontres entre fournisseurs et distributeurs pour qu’il y ait une meilleure compréhension entre les deux mondes. »

Les produits locaux prêts à déserter les hyper et supermarchés ?

Lassés par ces difficultés, certains agriculteurs sont tentés de passer par d’autres voies pour écouler leurs marchandises. Thomas Diemer, agriculteur et membre de Jeunes Agriculteurs du Bas-Rhin, n’a par exemple aucune intention de produire pour la grande distribution. Il préfère vendre ses produits sur les marchés et avoir un contact direct avec le client. Son cas n’est pas isolé. Le paiement direct et non avec un délai de 70 jours est une autre source de motivation. Pour Fabien Digel, la tendance pourrait s’accentuer :

« Il y a un risque que certains quelques alsaciens n’arrivent que sur les marchés, voire qu’ils disparaissent si on n’arrive pas à les placer sur des étals. C’est dommage car la dernière étude de consommateurs sur les fraises et tomates indique que les clients des grandes surfaces sont déçus de la qualité des produits (l’enquête porte sur 25 départements mais aucun en Alsace, ndlr). On a tenté de relancer des variétés rares et de bonnes qualités, mais si aucun magasin ne croit dans ces produits, ça ne peut pas marcher. »

« La grande distribution a besoin de l’agriculture locale et réciproquement » pour Fabien Digel (Photo JFG/ Rue89 Strasbourg)

Pierre Maurer pense, lui, que l’avenir passe par la mise en commun des moyens, comme des clients :

« Les Amap, c’est quelque chose qui s’adresse davantage aux initiés, c’est très bien, mais ce n’est pas une solution pour toute la profession. Il faut que certains agriculteurs se regroupent et qu’ensemble on fixe des prix par caisse et non plus au kilo. Sur mon exploitation, on écoule désormais plus de volumes que certains groupes de distribution. Les clients viennent pour des achats en grande quantité. Ils clients achètent pour leurs voisins, leurs enfants et la semaine suivante, c’est le tour des voisins. Après il ne faut pas crois qu’il y a de la place pour tout le monde. Nous avons appris le métier d’agriculteur, pas de commerçant. Certains ne sont pas doués pour ça. »

Se passer de la grande distribution ? « Impossible » pour Fabien Digel, car les besoins sont réciproques, en Alsace encore plus qu’ailleurs. Certains agriculteurs ont cependant choisi de s’en émanciper comme avec la coopérative hoplà. Dans ce type de structure, on ne trouve que des produits de saison et locaux. Ce type de structure est censé être complémentaire de la distribution, mais la démarche n’est pas toujours bien vue par les grands groupes. De peur d’être boycotté à l’avenir par les centrales d’achats, des exploitants commercialisent leur produit sous un autre nom.


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