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Pourquoi la Maison de l’Alsace à Paris est à vendre

Joyau sur les Champs-Élysées, la Maison de l’Alsace à Paris est mise en vente par ses propriétaires, les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Les deux collectivités, exsangues, ne veulent plus lâcher des millions pour un établissement aux retombées hasardeuses.

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La Maison de l’Alsace à Paris devrait rouvrir début 2016 (Photo Éric Senet)

L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre : la Maison de l’Alsace à Paris, splendide immeuble sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris, est à vendre. Acquis en 1968 par le Département du Bas-Rhin, l’annonce demande aux personnes intéressées de faire une offre pour ce bien « au cœur du quartier central des affaires », 2 200 m² sur « 7 étages et 3 niveaux de sous-sol », avec « au sommet, un espace événementiel de très grande qualité avec une vue unique sur l’Arc de Triomphe et la Tour Eiffel ».

Comment en est-on arrivé là ? Tout débute lorsqu’en 2012, d’importants travaux de rénovation sont engagés par les collectivités propriétaires, les deux conseils départementaux alsaciens. Des autorisations de programmes pour une douzaine de millions d’euros, supportés par les deux conseils généraux, sont votées. Les collectivités ne pouvaient plus attendre, la façade de ce bel ensemble haussmannien sis au 39 de l’avenue la plus chère d’Europe montrait d’inquiétants signes de délabrement et les bureaux n’étaient plus aux goûts du jour.

Une verrière au dernier étage… et de l’amiante

On en profite pour installer une verrière au dernier étage et mettre aux normes les cuisines du restaurant du rez-de-chaussée, L’Alsace, qui pourra doubler sa surface d’exploitation, sur 4 étages. Le loyer du restaurant, géré par les Frères Blanc, doit passer de 400 000€ par an à près d’un million d’euros. Mais alors que les travaux pour installer un monte-charge progressent, les ouvriers découvrent que le béton des fondations d’un immeuble voisin a débordé dans la cave.

Stupeur, constat et puisque nous sommes sur les Champs-Élysées, huissiers et cabinets d’avocats… Le chantier s’arrête et les complications commencent avec une bataille procédurière infinie pour laquelle les Départements votent, lors de plusieurs délibérations, le choix d’un cabinet d’avocats commun et des provisions financières. Autre détail imprévu : de l’amiante est découvert à proximité de l’espace de repos qui avait été aménagé pour les ouvriers dans les combles.

La Maison de l’Alsace en novembre 2012… Derrière les échafaudages, la galère. (Photo Greg Matter / MDAP)

Entre les délais des expertises nécessitées par les procédures juridiques et le désamiantage, les travaux, prévus pour durer un an, ne devraient finalement être achevés qu’au premier trimestre 2016, soit plus de trois années de retard. La facture prévisible pour les Départements grimpe à « plus de vingt de millions d’euros » et encore, tout n’est pas compté dans ce chiffre, communiqué à la louche par le Bas-Rhin.

Pire, ces délais ont généré… de nouvelles procédures judiciaires. Le restaurant conteste le montant de son nouveau loyer et demande des indemnités, arguant que les travaux ont pénalisé son activité plus longtemps que prévu. D’autres enseignes voisines pourraient également initier des procédures similaires.

Les trous de la fermière

Mais ce n’est pas tout. La Maison de l’Alsace est gérée par une « société fermière », devenue une société d’économie mixte locale (SEML). Cette société vend des prestations aux entreprises, domiciliations, l’organisation de séminaires, de la location de salles ou de bureaux… Son chiffre d’affaire en 2011 était de près d’un million d’euros, des recettes abondées par les Conseils généraux, qui chaque année, votent entre 400 et 600 000€ de subventions.

À cause des travaux, la SEM n’a pu continuer son activité de location, se concentrant sur ses missions de rayonnement. Et il a fallu lui payer un loyer, pour ses bureaux « temporaires » rue de Marignan. Résultat : elle est devenue déficitaire et malgré un effectif réduit de 8 à 5 personnes, les Départements ont dû compenser ces pertes par de nouvelles subventions.

En septembre 2012 : « Prochainement » une nouvelle Maison de l’Alsace (Photo Greg Matter / MDAP)

« Elle a manqué à qui la Maison de l’Alsace ? »

Lorsque le nouveau président du conseil départemental du Bas-Rhin, Frédéric Bierry (LR), découvre cette situation, il s’inquiète :

« On récupère chaque euro possible dans tous les services, j’ai l’intention de placer mon mandat sous le signe de la sobriété financière, ce n’est pas pour financer à fonds perdus un immeuble clinquant sur les Champs-Élysées ! On me dit que c’est un élément du rayonnement de l’Alsace, mais elle est indisponible depuis trois ans et personne n’est venu s’en plaindre. Elle n’a pas manqué au tourisme ni aux entreprises alsaciennes. Donc, je m’interroge sur son avenir, comme je dois le faire pour chaque denier public dépensé. S’il suffit de louer un centre d’affaires sur Paris, on règle la question avec un million par an. »

C’est le nouveau président du conseil départemental du Haut-Rhin et futur président du conseil d’administration de la Maison de l’Alsace, Éric Straumann (LR), qui a l’idée de mettre une annonce pour la vente de la Maison de l’Alsace :

« On a hérité d’une situation pour laquelle on ne maîtrise pas les coûts et il n’est plus question de continuer à dépenser autant d’argent. Donc on s’interroge sur son avenir et parmi les options, il y a la vente. Mais on ne sait même pas à combien peut se chiffrer le prix d’un tel immeuble… Sur ce type de bien, c’est la demande qui fixe le montant. C’est pourquoi on a publié cette annonce. »

La nouvelle Maison de l’Alsace est dotée d’une impressionnante verrière au sommet (Cabinet DRLW architectes)

Une vente à la surprise générale

Sauf qu’elle a été publiée un peu vite. Aucun des membres du conseil d’administration n’était au courant. Même son président, démissionnaire, le maire d’Obernai Bernard Fischer (LR) s’avoue surpris :

« On a été maladroits. La Maison de l’Alsace n’est pas vraiment à vendre… On s’interroge sur trois scénarios pour la suite, la vente n’est que la dernière option. Donc soit on garde la SEML avec un plan pour qu’elle devienne autofinancée, soit on externalise la gestion, via une délégation de service public (DSP). »

L’option DSP a été testée en 2014. Mais une seule offre a été déposée : celle de l’actuelle SEML avec son actuel directeur, Bernard Kuentz, qui avait fait jouer son carnet d’adresses pour demander à des entrepreneurs alsaciens d’investir. Dominique Formhals, P-DG d’Aquatic Show, était partant mais l’offre ne répondait pas à tous les critères de la DSP et surtout… c’était la seule, ce qui rendait délicat la légalité de l’opération.

La solution pour que la Maison de l’Alsace ne soit plus un centre de coûts n’est donc pas encore trouvée. De son côté, pour l’ancien président du conseil général du Bas-Rhin, le sénateur Guy-Dominique Kennel (LR), ce n’est pas l’important :

« La Maison de l’Alsace est un patrimoine qui appartient à tous les Alsaciens, il faut la gérer à long terme. Ce n’est pas un immeuble de rapport, mais on peut emprunter sur cet actif, qui vaut facilement 70 millions d’euros. Mais si on le vend, on fait quoi avec ? On paie une année d’allocations individuelles de solidarité (le RSA, ndlr) et l’année suivante, il faut vendre autre chose ? Sur l’ensemble de mon mandat, c’est un milliard d’euros de prestations qui n’ont pas été compensées par l’État, alors le Département doit mettre la pression sur l’État plutôt que vendre les bijoux de famille. »

À Paris, des visites de livraison de travaux doivent avoir lieu en novembre. Inutile de préciser que les deux conseils départementaux espèrent que cette fois, il n’y aura pas de surprise.


#Bernard Fischer

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