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« Si des Géorgiens viennent à Strasbourg, souvent, c’est pour ne pas mourir »

Léna était journaliste en Géorgie. Elle affirme avoir été « menacée par le gouvernement pro-russe » et demande l’asile en France. Léna raconte les raisons politiques qui poussent ses compatriotes à migrer. Entretien.

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Les Géorgiens sont nombreux à demander des titres de séjour à Strasbourg. Ils sont aussi nombreux dans des situations de précarité extrême, au camp de l’Étoile ou dans des squats de la capitale alsacienne. La Géorgie est pourtant sur la liste des pays « sûrs » selon la France. « Cela signifie que les procédures administratives peuvent être accélérées et c’est un argument pour refuser l’obtention de titres de séjour aux Géorgiens », explique Christiane Horvat, coordinatrice à l’association d’aide aux demandeurs d’asile Casas Strasbourg.

Ces trois femmes sont Géorgiennes, et n’avaient pas d’autre solution que d’occuper le squat Bourgogne pour se loger. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Les atteintes aux libertés semblent pourtant récurrentes en Géorgie. En juillet 2021, 50 journalistes ont été attaqués par des militants d’extrême droite, en marge de manifestations contre la tenue d’une marche anti LGBTQ. Après avoir été lynché, l’un d’entre eux est décédé quelques heures plus tard. L’ONG Reporters sans Frontières avait accusé le gouvernement d’une « culpabilité passive » et considérait que la police n’avait pas protégé les journalistes.

Amnesty International repère des atteintes aux droits humains en Géorgie

Dans son rapport sur les droits humains en Géorgie, Amnesty International évoque « des actes d’intimidation, des mises sur écoute téléphonique, des attaques » ou encore un « manque d’indépendance de la magistrature ». Selon Christiane Horvat, les Géorgiens sont parmi les plus nombreux à migrer vers Strasbourg : « En 2021, nous avons accompagné 80 Géorgiens dans des recours suite à des rejets de demande d’asile par la France. La majorité vient pour des problèmes de santé », expose t-elle.

La camp place de l’Étoile regroupe 200 personnes dont de nombreux Géorgiens. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Ancienne journaliste géorgienne, Léna (prénom modifié) tient à ne pas divulguer trop de détails sur elle-même, afin de préserver son anonymat, tant elle craint des représailles à cause de son opposition au gouvernement de ce pays « pro-russe » à ses yeux. Elle raconte les raisons qui poussent ses compatriotes à quitter leur pays.

Rue89 Strasbourg : Pourquoi avez-vous quitté la Géorgie ?

Léna : J’ai écrit des articles contre Rêve Géorgien, le parti du chef du gouvernement, Irakli Garibachvili. Nous étions beaucoup de journalistes et de militants des droits de l’Homme à dénoncer la ligne violente et autoritaire du pouvoir, qui emprisonne ses opposants. Moi je suis plutôt favorable à l’ancien président et chef de l’opposition, Mikhaïl Saakachvili, (qui a une ligne pro-europe, NDLR). Il est aujourd’hui en prison.

Beaucoup de personnes viennent pour des raisons médicales

Un jour, j’ai retrouvé ma voiture criblée de balles devant chez moi (elle montre une douille de cartouche d’arme à feu qu’elle a gardée suite à cet épisode, NDLR). C’était une menace, pour me montrer que j’étais vulnérable. Parfois c’est la police, parfois ce sont des partisans du pouvoir qui attaquent les gens comme moi. J’ai aussi été arrêtée dans la rue par des hommes qui m’ont dit qu’ils allaient me tuer. Après ça, j’ai décidé de quitter le pays, comme le font d’autres journalistes, militants et opposants politiques.

Pendant la conversation, Léna sort une douille de cartouche d’arme à feu qu’elle a retrouvée à proximité de sa voiture selon elle. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Quelle est la raison principale pour laquelle les Géorgiens viennent en France ?

La majorité des personnes viennent pour des raisons médicales. La plupart des traitements sont disponibles en Géorgie, sauf pour le cancer, les problèmes rénaux ou le diabète. Le souci principal, c’est qu’il n’y a pas de sécurité sociale comme en France. Seuls les soins basiques sont remboursés, et sinon il faut souscrire à des assurances privées et onéreuses pour se soigner. Tout le monde ne peut pas le faire. Donc, si beaucoup de Géorgiens viennent en France, à Strasbourg, et essayent d’obtenir un titre de séjour pour raison de santé, c’est tout simplement pour ne pas mourir. Ce sont parfois des médecins qui leur conseillent de partir.

Connaissez-vous d’autres situations ?

Il faut comprendre qu’en Géorgie, il y a des groupes de militants liés au pouvoir qui sont très violents. Donc il peut y avoir des problèmes de sécurité pour plein de personnes. Par exemple, les homosexuels peuvent être en danger (le gouvernement est accusé de tolérer des violences contre les LGBT, NDLR). Il y a aussi des femmes battues qui viennent, car il n’y a pas de dispositif pour les défendre et elles peuvent être en danger de mort si elles fuient leur mari.

« Quitter son pays, c’est énormément de souffrance »

Au nord, les régions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud sont particulièrement sous tension parce qu’occupées militairement par les Russes (Amnesty International signale des cas récents de torture dans ces régions, NDLR). Beaucoup de Géorgiens fuient ces zones devenues très dangereuses. Et plus généralement, la Géorgie est pauvre, il y a du chômage, et beaucoup de jeunes n’ont aucun avenir là-bas. Les raisons économiques peuvent aussi être un motif, même si c’est plus rare.

Léna (prénom modifié), ne veut pas être identifiable mais tient tout de même à livrer son témoignage. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Quelle est votre situation maintenant ?

Malheureusement, la France a refusé ma première demande d’asile. J’ai fait un recours pour une deuxième demande, et si elle est à nouveau refusée, j’aimerais que ma situation soit examinée par la Cour nationale du droit d’asile. De toute façon je ne retournerai pas en Géorgie avec cette situation politique, ce serait trop dangereux. Le jour où ça ira mieux, je le ferai. De manière générale, il ne faut pas croire que les Géorgiens viennent en France pour le plaisir, quitter son pays, c’est énormément de souffrance.


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