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« Pour mobiliser les gens, toujours pas de baguette magique », en débat au Shadok

Les outils numériques permettent de se connecter les uns aux autres, de s’organiser, de se compter… Annoncent-ils un nouvel âge des mobilisations, de la militance, de l’engagement ? Pour Valentin Chaput, cofondateur d’Open Source Politics, les outils numériques, utiles à condition bien paramétrés, ne remplacent pas la sincérité des démarches et le temps investi. Il est l’invité de Rue89 Strasbourg et du Shadok, mercredi 30 mai à 19h, avec Esther Valencic de Voxe.org, pour une soirée d’échanges sur les engagements citoyens à l’heure du numérique.

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Au moment des révolutions du Printemps arabe, l’usage actif des réseaux sociaux avait été relevé dans les organisations et les mouvements révolutionnaires. Aujourd’hui, plus une pétition n’est imaginable sans une certaine viralité numérique… Des sites comme mesopinions.com ou change.org sont parvenus à transformer chaque action militante en véritables campagnes activistes, et parfois avec un certain succès. On parle de « clicktivism » pour désigner cette nouvelle forme de militance assise.

Le Shadok et Rue89 Strasbourg organisent mercredi 30 mai une soirée sur les mobilisations à l’heure des outils numériques, dans le cadre du cycle « Tous connectés et après ? ». Les invités sont Esther Valencic, chargée de projets citoyens pour Voxe.org, un espace de réflexion sur l’engagement et la démocratie et Valentin Chaput, cofondateur d’Open Source Politics, une entreprise qui accompagne collectivités et institutions dans leurs démarches participatives.

Rue89 Strasbourg : depuis trois ans que vous êtes dans les technologies civiques (civic tech), qu’est-ce qui fonctionne et qu’est-ce qui ne marche pas ?

Valentin Chaput : Le principal constat, c’est que c’est la démarche qui décidera de la qualité d’une consultation, pas les outils utilisés. Autrement dit, on pourra avoir des cartes participatives et des outils de mesures extrêmement performants, mais si les enjeux ne sont pas clairement posés, si les décideurs ne sont pas prêts à partager un peu de pouvoir, ça ne fonctionnera pas ou alors ce sera de l’affichage. Il n’y a plus de problème avec les outils ou avec la technologie de nos jours. Dans l’univers de l’open source (dont le code est accessible, ndlr), nous disposons de toutes les applications et ressources dont nous avons besoin.

Le véritable noeud est de parvenir à mobiliser dans toutes les strates de la société. Il ne s’agit pas de passer de 5% de participation à 10%… Il s’agit de lisser les possibilités d’expressions citoyennes et de permettre à la démocratie, au sens large, de s’exercer en dehors des élections ou des manifestations.

Le numérique n’est d’aucun secours pour dépasser les réunions publiques ?

Si bien sûr, les outils numériques comme les pétitions en ligne ou le financement participatif, permettent de rapidement mettre en place des outils de collecte et de mesure, ils permettent de s’affranchir dans une certaine mesure des contraintes d’espace et de temps. Mais dans une démarche de concertation publique par exemple, ce serait une erreur de considérer les outils numériques comme suffisants. Ils permettent d’accueillir une parole en dehors d’horaires contraignants, mais ils rebutent nombre de personnes qui, à tort ou à raison, n’ont aucune confiance dans le numérique ou d’autres qui ne sont pas équipés ou ne se sentent pas assez légitimes pour s’exprimer.

Donc encore aujourd’hui, toute démarche de concertation, participative ou de co-construction doit allier des outils numériques à une présence physique, s’il s’agit de cibler l’ensemble des gens et pas seulement une fraction. Il n’y a pas de baguette magique : il faut aller sur les marchés, à la sortie des écoles, etc.

Valentin Chaput, cofondateur d’Open Source Politics (Photo Gaetan Clement / doc remis)

Mais le numérique permet de mesurer les impacts d’une mobilisation…

C’est exact que les traces laissées par les outils numériques permettent assez facilement de reprendre l’historique d’une partie de l’engagement, pour une cause ou dans le cadre d’une démarche participative. Mais là encore, ça demande que les outils soient bien paramétrés et c’est pour ça que nous ne fonctionnons qu’avec des applications libres, dont le code source est téléchargeable et éditable. « Code is law » a écrit fort justement Lawrence Lessig et particulièrement dans les outils civiques. Il est donc extrêmement important que le code soit vérifiable et auditable pour s’assurer que l’historique d’une mobilisation ou d’une participation ne soit pas corrompu, ni évidemment les résultats tronqués ou modifiés.

Est-ce que les élus sont prêts pour accepter des outils qui les privent d’une partie de leur pouvoir et en outre, mesurent l’impact ?

Avant toute démarche, il faut cerner les contours et vérifier qu’elle est sincère. Lorsqu’il s’agit de déléguer une décision à un groupe de personnes par exemple, il faut que ce soit une vraie décision et qu’on doit prêt à accepter le résultat… C’est ce qu’on appelle l’échelle de la participation, tout en bas il y a la manipulation et tout en haut la démarche construite en coopération avec les citoyens. Et ça, c’est très rare et long. Donc on aura toujours besoin de décideurs, il faut aussi sortir du mythe de la démocratie directe permanente.

Pour l’instant, les élus et décideurs délèguent à petites doses. Les budgets participatifs exemple ne concernent qu’un ou 2% du budget d’investissement d’une ville. Mais déjà sur ces montants, ils permettent de répondre à des besoins directement exprimés par les citoyens. Et ce changement est tellement efficace qu’on ne pourra que progresser, les élus aussi progressent mais de toutes façons, lorsque les citoyens se mobilisent eux-mêmes, les élus ne peuvent y rester insensibles…


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