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Pour les étudiants précaires à Strasbourg, une course au logement toujours plus angoissante

Confrontés à une offre insuffisante et à une hausse continuelle du prix des loyers, les étudiants s’arrachent les rares appartements disponibles à Strasbourg. Des recherches longues qui mènent parfois à des situations dramatiques.

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Une quarantaine d’étudiants attendent dans la rue pour visiter un studio.

Visuellement, la file d’attente ressemble à la queue devant un club berlinois. 38 jeunes, en rang d’oignons, attendent d’un air anxieux dans la rue des Bouchers, mardi 10 septembre. Avec les minutes, d’autres têtes se rajoutent à l’étrange procession qui s’allonge jusque dans les escaliers d’un immeuble. Au 4e étage, après plus d’une heure d’attente, le sésame : cinq minutes pour visiter un studio. « C’est juste aberrant, souffle Ismaël en arrivant dans la file, je pensais au début que c’était pour la venue d’un Youtubeur, ou le magasin de donuts d’à côté… »

Arrivé de Paris pour étudier, Ismaël multiplie les prises de contact depuis des mois en prévision de son installation. Pour 100 annonces auxquelles il a postulées, il a obtenu 10 visites et 10 refus. « À force de faire des allers-retours, ça commence à te dégoûter de la ville. Je m’attendais à ce que ce soit quand même plus simple, mais même en faisant monter mon budget de 450 à 600 euros, je ne trouve rien. »

Entre Paris et Strasbourg, Ismaël multiplie les allers-retours en train pour trouver un logement.

Devant lui, la file est pleine d’histoires similaires. Des étudiants et étudiantes en détresse qui continuent d’attendre en désespoir de cause, malgré les maigres chances d’obtenir l’appartement. Pour le rush de septembre – qui commence, en réalité, dès le début de l’été – les quelques annonces d’appartements en ligne sont prises d’assaut par des centaines d’étudiants aux aguets. Et à chaque rentrée, cette course angoissante recommence.

L’offre toujours trop faible

Au bout de la file, la propriétaire de l’appartement, Karine, s’étonne de l’affluence à son rendez-vous. « J’ai ouvert un créneau en mettant le lieu et l’heure directement sur l’annonce, pour une heure initialement. Finalement, je suis restée là deux heures et demie, pour que tout le monde puisse visiter. » Possédant une « dizaine » d’appartements étudiants, Karine confirme que le même phénomène se répète tous les ans, estimant tout de même que la situation s’est dégradée depuis « au moins cinq ans, avec beaucoup d’étudiants surpris de se retrouver affectés à Strasbourg (la rentrée 2019 coïncide avec l’entrée en vigueur de la plateforme Parcoursup, NDLR).« 

Au final, la propriétaire se décide sur la situation personnelle :

« On a pris la personne qui avait la situation la plus compliquée puisqu’elle devait faire des allers-retours entre Mulhouse et Strasbourg. À l’inverse on n’aurait pas pris quelqu’un vivant avec ses parents à la Robertsau ou à l’Orangerie, souhaitant simplement se rapprocher de sa fac. »

Même expérience pour Michel, propriétaire d’un appartement en lisière du campus transformé en colocation. Dès qu’il poste sa publication, il est assailli : « J’ai eu une quarantaine de mails en moins d’une heure, alors que j’ai fait ma publication en fin de journée. » Tout en parlant, le quinquagénaire montre son portable et fait défiler une dizaine de SMS, tous rédigés avec la même prose : « Bonjour, je suis très intéressé par votre appartement… » Comme Karine, le degré d’urgence sera son premier critère.

Angoisse du logement

Mais quelques exemples d’empathie affichée n’effacent pas la logique du marché, où les enfants de garants aisés restent en position de force. Les discussions entre candidats et propriétaires ne s’embarrassent d’ailleurs pas de politesse. Les échanges se résument à des chiffres : les montants des salaires de ses parents.

« Même en cherchant des mois, en passant des heures tous les jours à chercher, je ne trouve rien », commente Pablo. L’étudiant colombien, qui vit à Nice depuis quatre ans, comptait se rendre à Strasbourg pour son master. « Je ne trouve rien. Je n’ai aucune solution pour vivre ici. Franchement ça me fait beaucoup stresser. Je pense que je vais abandonner, rester à Nice et faire un boulot alimentaire pour cette année. »

Pour Inès (prénom modifié), la situation est plus grave encore. Tout commence pour elle en avril 2023, lorsqu’elle reçoit une offre de renouvellement pour sa chambre. Elle hésite, puis finit par se convaincre de ne pas renouveler tout de suite. Sans grande expérience des logements étudiants, Inès pense qu’elle pourra reprendre une chambre plus tard, en fin d’été. « Quand je commence à regarder sur le site du Crous, en août, il n’y avait plus rien, aucune chambre. Et en dehors, dans les annonces du privé, je n’ai aucune réponse non plus, à part des arnaques. » Le directeur de la résidence finit par l’informer de son départ, en venant directement dans sa chambre.

L’ancienne résidence universitaire Paul Appell, toute proche du campus.

En tant qu’étudiante algérienne, son titre de séjour expire le 18 novembre, et elle doit attester qu’elle occupe un logement. « Cette situation est horrible, je ne suis pas bien. J’essaye vraiment de faire de mon mieux pour continuer de suivre mes études et trouver une solution sur mon temps libre, mais c’est très stressant à vivre. »

Alertée, la section strasbourgeoise de la Fédération syndicale étudiante (FSE) tente de contacter le Crous et échange avec la direction. « Après avoir bataillé pour obtenir un rendez-vous avec le directeur adjoint, Guillaume Kuhler, nous l’avons amené à s’engager pour trouver un logement d’urgence dans les plus brefs délais pour l’étudiante, et pour les autres dans une situation similaire. Puis, dans un second temps, à trouver une solution d’hébergement pérenne », rapporte Bertille, l’une des membres du syndicat, qui relate des négociations interminables. Elle reste très sceptique sur la volonté du Crous de se mobiliser.

Prix en hausse constante

La tension est semblable dans toutes les résidences étudiantes, privées et publiques, constate Mathilde Huault, de l’Observatoire territorial du logement étudiant. « On constate dans notre recensement que presque la totalité des résidences sont remplies. » Concernant leurs prix, tout dépend du bailleur : « Pour les résidences privées, on a des tarifs compris entre 500 et 600€ en général. Pour celles construites par des bailleurs sociaux, on se situe plutôt autour de 500€. Au maximum, on peut avoir des loyers allant jusqu’à 700€. »

Sans être membre d’un observatoire, Jessica arrive aux mêmes conclusions sur les prix du marché en écumant pour sa fille les plateformes locatives. « C’est une galère, on cherche à trois avec son papa et les prix sont exorbitants. Même en allant jusqu’à 700€ on ne trouve pas. Je suis aide-soignante et son père est maçon, pour nous c’est déjà beaucoup, sans compter les autres frais qui s’ajoutent. »

Conséquence logique de cette tension locative, le prix des loyers augmente continuellement à Strasbourg. Selon une étude sur le marché locatif étudiant du site LocService.fr, basé sur 5 000 annonces dans le Grand Est, il y aurait 2,17 fois plus de demandes à Strasbourg que de logements disponibles. Le prix médian proposé pour un studio serait de 547€ à Strasbourg contre 435€ à Nancy ou 419€ à Mulhouse. En 2023, le loyer médian à Strasbourg était de 523€, augmentant ainsi de 4,4% en une année.


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