Le projet emblématique de production de spiruline développé par la société Algae natural food, en utilisant le CO2, les eaux de germination et la chaleur fatale (non utilisée) produits par la malterie Cargill, peine ainsi à passer au stade industriel. La demande est pourtant là, issue des secteurs de la cosmétique, de l’alimentation humaine et animale, pour ces micro-algues certifiées bio et produites localement, à forte teneur en protéines.
Depuis l’annonce, en 2015, de son partenariat avec l’enseigne américaine, tissé grâce à la démarche d’économie circulaire lancée par le PAS, la start-up multiplie les projets. En France et à l’étranger, elle s’active pour utiliser la chaleur fatale d’une usine d’incinération, produire une micro-algue dans de l’eau de choucroute bio ou encore développer une production en aquaponie à Lutzelbourg, dans la vallée des éclusiers, en utilisant l’ancien canal de la Marne-au-Rhin. Mais elle a du mal à trouver les fonds et les compétences qui lui permettrait de concrétiser ces dossiers.
Spiruline : de la qualité, mais pas encore de volume
Sur le site de la malterie, au port du Rhin, seule une petite serre est pour l’instant visible. Elle abrite un photobioréacteur, qui permet d’accélérer la production des algues vertes. Prévu au départ en mars 2018, le démarrage des installations industrielles ne devrait finalement intervenir que cette année. Faute de financement, leur achèvement a été reporté au printemps 2019, pour peaufiner les derniers réglages de l’outil et démarrer la culture de l’algue à une période propice en termes de luminosité. Dans un premier temps, cinq bassins de culture fermés permettront la production de 60 tonnes de spiruline par an. Le projet porte à terme sur l’exploitation de 18 bassins.
Francis Kurz, co-fondateur de la société, reconnaît qu’il a été très difficile de passer des essais à la phase industrielle :
« Il ne s’agit pas d’une question de taille, ni de moyens financiers. Mais les compétences dont nous avons besoin ne sont pas les mêmes entre un développement en laboratoire et une production à grande échelle. 50% de l’équipe a dû être changée pour des profils plus expérimentés. Et comme en Europe, la production industrielle de spiruline n’en est qu’à ses balbutiements, ils ont dû être trouvés dans d’autres secteurs. »
Une levée de fonds de 750 000 euros a été réalisée en mai 2018, vite absorbée par les frais liés aux changements de personnel. Une nouvelle levée de 10 millions d’euros.
Gazéifier du bois : plus compliqué qu’il n’y paraît
L’autre innovation développée dans le cadre de la démarche écologie industrielle du port de Strasbourg vise à transformer le bois… en gaz. Une idée lancée par le fabricant de produits d’étanchéité Soprema. Il cherchait une solution locale pour alimenter la chaudière chauffant le bitume incorporé dans ses membranes. Or, contrairement aux plaquettes forestières qu’il comptait utiliser au départ, les déchets de bois produits par les industriels voisins, en particulier les palettes endommagées, n’ont pas besoin d’être séchés pour être gazéifiés. Soprema éviterait ainsi une dépense de 200 000 euros, en plus des gains permis par la proximité de la ressource livrée, évalués à 75 000 euros par an.
Mais là encore, les premiers résultats sont loin de ceux espérés. Sur une année, seules 500 tonnes de biomasse ont été gazéifiées, représentant 20% de la consommation de la chaudière. Cet approvisionnement ultra-locale est encore loin des 4 000 tonnes espérées à terme, comme l’explique Olivier Weymann, directeur stratégie et performance environnementale de Soprema :
« Ce n’était pas simple à mettre en route, on manquait d’expérience sur le sujet. Un travail doit encore être fait sur la qualité de la biomasse, par exemple. Celle employée aujourd’hui contient trop de poussière. La société qui collecte et trie ces déchets de bois doit elle-même trouver la technique lui permettant de se rapprocher de notre cahier des charges. »
À terme, Soprema souhaite également utiliser du bois agglomérés issus de la production de meubles. Ces rebuts sont disponibles en grande quantité en Alsace. Les fabricants de panneaux en recyclent une partie, mais ne peuvent pas utiliser toute cette ressource, qui fini en centre d’enfouissement. Olivier Weymann précise :
« L’idée est de traiter ce que la filière n’utilise pas. Mais nous n’avons pas encore obtenu d’autorisation pour développer cette utilisation à grande échelle. Il y a un vide juridique, ces matériaux n’ont pas encore de classification réglementaire bien définie. »
3 500 tonnes de CO2 évitées… et 400 000€
Au total, sur les 24 synergies identifiées dans le cadre du programme d’écologie industrielle du port du Rhin, près de la moitié a été ou est en cours de mise en œuvre. Cela va de la collecte des vieux cartons pour le compte de Blue Paper à la réparation de palettes, en passant par la négociation commune de contrats de fourniture d’électricité, l’ouverture d’une station de lavage de camion recyclant la majorité de l’eau utilisée, l’organisation de formations inter-entreprises ou le prêt d’engins. Avec à la clé, près de 400 000 euros d’économies par an réparties entre les 24 entreprises participantes. C’est aussi 3 500 tonnes de rejets de CO2 évités.
Un bilan que défend Olivier Weymann :
« Il doit y avoir un avantage environnemental. Ce principe est ancré dans les décisions, c’est le lien entre les différents membres de la démarche ».
Acteur initial de celle-ci, il revient sur les premières réunions de travail, regroupant les responsables d’une dizaine d’industries de la zone portuaire :
« Ce qui nous a tous surpris, c’est que l’on ne se connaissait pas, alors qu’on était voisins. La démarche d’écologie industrielle a permis de créer des liens sur des valeurs communes, qui simplifient les discussions entre sociétés. Elle facilite aussi la communication sur la question de la transition écologique, parce qu’elle apporte quelque chose de positif face aux discours anxiogènes sur le changement climatique. »
Un passage de relai est nécessaire
De nouvelles idées ont ainsi émergé au fur et à mesure des discussions, comme celle de mutualiser des équipements sportifs. Le responsable de Soprema précise :
« Plusieurs entreprises poursuivent une démarche de sport en entreprise. Dans ce cadre il s’est bien vite avéré qu’il pouvait être intéressant de partager les mêmes équipements. L’initiative a également permis de parler mobilité, avec un enjeu de limitation des déplacements individuels. »
Depuis 2017, la démarche d’écologie industrielle est portée par la communauté portuaire, rassemblée au sein du Groupement des usagers des ports (GUP) de Strasbourg. Son animation, réalisée par l’association Idée Alsace, est cependant financée à 60 % sur fonds publics. Une part que l’autorité portuaire souhaiterait voir diminuer au profit de celle des entreprises. Comme il n’est pas prévu d’augmenter les cotisations, les entreprises partenaires vont ainsi devoir faire des émules.
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