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Le Port autonome accusé de réserver l’Ill à Batorama

Le « Charles Frey », un bateau-restaurant aimerait naviguer sur l’Ill strasbourgeoise, mais il doit négocier ses passages aux écluses avec le Port autonome. Problème : les premiers utilisateurs de ces écluses sont les navettes de Batorama, une marque… du Port autonome.

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Le trafic à l’écluse A de la Petite-France à Strasbourg est presqu’exclusivement composé par les navettes Batorama (Photo Detlef Krause / FlickR / cc)

A Strasbourg, l’Ill est-elle la chasse gardée de Batorama et du Port autonome de Strasbourg ? On pourrait le croire, à suivre les mésaventures de Quentin Monnier, récent capitaine du « Charles Frey », un bateau-restaurant qu’il tente de faire naviguer sur les canaux de cet affluent du Rhin. Durant l’été 2011, Quentin Monnier achète cette solide vedette hollandaise de 1957 à Ludovic Ragot, qui possédait en outre « L’Atlantico », amarré quai des Pêcheurs.

Ce dernier prévient l’acquéreur qu’il sera difficile de négocier les passages aux écluses avec le Port autonome de Strasbourg (PAS) et l’accès aux pontons. Mais Quentin Monnier est décidé, il écrit au PAS et aux Voies Navigables de France (VNF) en mai 2011 avec comme objectif de négocier des passages aux écluses strasbourgeoises et un accès aux pontons sur l’Ill intérieure. Il reçoit des réponses en… janvier et février 2012.

L’écluse de la Petite-France très sollicitée

Verdict du Port : pas d’accès aux pontons place de l’Étoile ou du Parlement et encore moins au Palais Rohan ; seul un droit de dépose et de prise de passagers est consenti au ponton du Conseil de l’Europe. Quant aux créneaux de passage par l’écluse A de la Petite-France, celle avec le petit pont tournant, le PAS octroie quatre horaires de passages quotidiens sur les cinq demandés.

Entre temps, Quentin Monnier a acheté son bateau, lui a ajouté une terrasse et l’a doté d’une cuisine professionnelle. En tout, 300 000€ d’investissements financés pour un tiers par un emprunt personnel. Du coup, il a peu goûté les silences du Port pendant 10 mois et encore moins sa réponse. Il s’interroge :

« Je soupçonne le Port Autonome d’avoir tardé à me répondre pour donner le temps à Batorama d’adapter son offre événementielle. Batorama a acquis la « Nymphe de l’Ill », une navette hollandaise qui peut servir de restaurant et l’a dotée d’une terrasse pendant que le Port me faisait poireauter… Je n’ai jamais voulu concurrencer les navettes touristiques de Batorama, mais s’ils se mettent à proposer une restauration sur l’eau, comment dois-je prendre leur refus de m’accorder un créneau de passage ? Dans cette affaire, le Port est juge et partie, c’est intolérable. »

Batorama, 16% du chiffre d’affaires du Port

De fait, Quentin Monnier est contraint de négocier des horaires avec le Port, un « établissement public à caractère administratif », rareté juridique héritée de l’histoire, mais également une entreprise exploitant entre autres les navettes touristiques sous la marque Batorama, grandes consommatrices de créneaux de passage aux écluses de l’Ill. L’activité « transport public de passagers » représente 16 à 17% du chiffre d’affaires du PAS (soit environ 4,8 M€) et 800 000 clients par an.

Lorsque le Port a refusé à Quentin Monnier le créneau de 16h15, c’est au motif que « cela ferait perdre à Batorama une tournée de 130 passagers par jour ». Pourtant, le Port n’a aucune autorité juridique sur les canaux de l’Ill, qui sont gérés par les Voies Navigables de France (VNF).

Mais VNF n’a guère envie de jouer les régulateurs de passages aux écluses. A la subdivision des canaux de l’Ill, on avoue qu’il aurait été plus simple que le Port et Quentin Monnier s’entendent. Jérémie Leymarie, responsable de la subdivision, détaille :

« VNF a deux impératifs, que la circulation sur l’Ill soit aussi fluide que possible et en l’espèce, il est nécessaire de réguler les passages sur l’écluse A de la Petite-France, et qu’il existe une concurrence libre et saine. Le Port est un client comme les autres, même si évidemment, il a l’antériorité et des besoins en passages importants. On a essayé de mettre tout le monde autour d’une table pour que les créneaux de passage soient discutés mais je crois qu’il faudra qu’on s’y intéresse de plus près… Ça nous pose un problème car on ne sait pas à ce jour si VNF est juridiquement légitime pour réguler ces créneaux de passage. »

Qui décide quoi et où ?

L’arrivée du bateau de Quentin Monnier contraint donc VNF et le PAS à s’interroger sur leurs domaines de compétences respectifs, une interrogation qui survient alors que l’an dernier, les deux établissements publics partageaient la même direction, à savoir celle de Jean-Louis Jérôme, actuel directeur du PAS. Une situation qui n’a pas aidé Quentin Monnier à y voir clair dans les attributions des uns et des autres et sur leurs droits à lui octroyer des passages ou des accès aux pontons…

Jean-Louis Jérôme ne cache pas son agacement quant à cette situation :

« Au Port, on a tout fait pour que M. Monnier puisse s’installer. On lui a permis d’utiliser 4 créneaux sur 5 demandés et ce alors qu’il n’a qu’un seul bateau et qu’il n’avait encore pas transporté le moindre passager ! Un créneau de passage sur l’écluse A, c’est un peu comme un sillon ferroviaire… Toute notre organisation industrielle est chronométrée pour permettre l’écoulement de centaines de milliers de touristes par an. Quinze minutes de retard et c’est une tournée qu’on doit annuler. Alors effectivement, c’est délicat d’y insérer de nouveaux passages et M. Monnier doit le comprendre. Harceler nos collaborateurs ou nos administrateurs n’y changera rien. »

Relations tendues

Car entre le Port et les Bâteaux de l’Ill, la société de Quentin Monnier, les relations sont devenues très tendues, surtout depuis que Batorama s’est lancé dans l’événementiel avec un bateau-restaurant. Quentin Monnier affirme que Batorama a bénéficié d’avantages indus, grâce à sa proximité avec les autorités du Port :

« Je devais assurer une croisière sur l’Ill pour des parlementaires danois. J’ai demandé au Port un créneau à l’écluse de la Petite-France entre 19h et 20h, par exemple 19h10 ou 19h25. Un mois plus tard, refus du Port car ils sont utilisés. Je demande alors 19h40 ou 19h55, aucune réponse. J’informe mes clients de mon incapacité à obtenir un créneau de passage. Ces derniers se tournent vers Batorama, qui assure la prestation grâce à un créneau débloqué en moins d’une semaine ! »

Interrogé sur cette affaire, Jean-Louis Jérôme n’a pas souhaité la commenter précisément. Réservant sans doute sa réponse à ses services juridiques, puisque ce différend prend la direction du tribunal administratif. Le tribunal devra aussi se pencher sur l’accès aux pontons, actuellement propriétés exclusives du Port mais construits en partie grâce à de l’argent public puisque les comptes entre les activités portuaires et celles du transport de passagers ne sont pas séparés, malgré une recommandation de la Cour des comptes de 2003.


#Batorama

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