Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Doucement, des industriels du port se convertissent à l’économie circulaire

Une petite révolution anime les industriels installés au port de Strasbourg. Habitués à se focaliser sur leur entreprise, une vingtaine d’entre eux se convertit doucement aux principes de l’économie circulaire. Aussi appelée écologie industrielle, cette pratique propose de favoriser les échanges entre voisins. Objectif, réduire sa consommation, voire gagner de l’argent.

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Le port fluvial de Strasbourg est le deuxième le plus important de France, après Paris (photo PF / Rue89 Strasbourg)

Les entreprises ont toutes des cartons à jeter ? Cela tombe bien, Blue Paper les recycle. Soprema a une chaufferie hybride qui brûle du bois ? Ses voisins lui revendront leurs morceaux inutilisés. Tout le monde a des palettes cassées ? Simply Market dispose d’un atelier et va en faire profiter tout le monde.

Voilà le quotidien que veut développer le Port autonome de Strasbourg (PAS) pour les entreprises qu’il héberge. Il n’est pas question d’altruisme, les échanges se déroulent dans le cadre de contrats, mais d’amélioration d’image et même de compétitivité. Étonnées au début, méfiantes, les entreprises ont vite compris leur intérêt.

Au port, on s’inquiétait des projets urbanistiques

L’idée vient de l’association Idée Alsace (financée par la Région Alsace), dont le but est de favoriser le développement durable des entreprises. À l’époque, la structure fait encore partie d’Alsace qualité (les deux associations ont été séparées pour plus de visibilité en 2012). Guillaume Kauffmann, chargé de mission à Idée Alsace, se souvient que le déclic s’est opéré en novembre 2012 :

« L’idée de mettre en place un système d’économie circulaire remonte à plus longtemps, mais à l’échelle de l’Alsace on n’y arrivait pas car les entreprises étaient trop éparpillées. Lors de notre forum du développement durable, on s’est rencontré avec le responsable de l’économie verte de l’Eurométropole (à l’époque CUS) et par relations, l’idée est remontée au port autonome. »

À la fin des années 2000, les projets de constructions de logements par la municipalité vers le Rhin se précise. Du côté des industries du port, on se demande si leurs jours ne sont pas en train d’être comptés. En 2009, le groupement des usagers du port (GUP), sorte de syndicat des entreprises du Port, produit un cahier d’espérance où il détaille des pistes pour rester attractif et s’intégrer à la ville de demain.

Un peu d’inquiétude commence à poindre. Les nouveaux habitants vont-ils accepter de vivre près des industries, avec leur lot d’odeurs, de bruit, de pollution (3% de l’ensemble des émissions de CO2 de l’Eurométropole) ou des bâtiments parfois peu attrayants ?

25 entreprises sur plus de 300 sont associées à l’économie circulaire dans le port de Strasbourg. Il s’agit des plus grosses industries (doc. remis)

C’est un début…

À travers le GUP, Idée Alsace et le Port autonome approchent alors une quinzaine d’entreprises pour mettre en place l’économie circulaire, qui doit améliorer l’image des industries. Guillaume Kauffmann se rappelle :

« Cela nous a beaucoup aidé de passer par le GUP. Si l’on avait dû démarcher chaque entreprise cela aurait pris beaucoup plus de temps et ce n’est pas sûr qu’elles auraient toutes compris si vite ce qu’on leur voulait et leur intérêt. »

Le projet en est à sa troisième phase. Pendant la première, de 2013 à 2014, une quinzaine d’entreprises ont été associées. Idée Alsace, avec l’aide du bureau d’études suisse Sofies, a cartographié l’ensemble des flux, c’est-à-dire toutes les matières ou fluides qui entrent et ressortent des entreprises du PAS. Sur le millier recensé, l’association estime qu’une vingtaine est échangeable entre les entreprises.

En 2014-2015, la deuxième phase a travaillé sur deux flux : l’achat en commun d’énergie et le recyclage de carton. Depuis 
février 2015, Punch Powerglide, SIL Fala et Soprema revendent leurs déchets de carton à Blue Paper, ce qui limite les trajets routiers. Pour Olivier Weymann directeur d’usine de Soprema, ces premiers projets sur des points parfois secondaires doivent amorcer des futures collaborations plus ambitieuses :

« Les échanges sont encadrés par une charte du recyclage. C’est l’entreprise Schroll qui collecte les cartons, qui doivent être rétribués au prix du marché, donc cela revient au même prix pour Blue Paper que de s’approvisionner en Chine. Cela parait du bons sens, mais quand on est soumis à la concurrence, on peut-être tenté d’aller au moins cher et sur le terrain il y a toujours des détails pratiques à mettre en place qui font renoncer. Avec ce cadre, personne ne peut être perdant. Les retombées pour nous sont surtout en termes d’image, mais si on n’arrive à s’entendre sur ça, on peut y arriver sur des domaines plus stratégiques à l’avenir. »

Le projet déjà à sa troisième phase

En effet, la quantité de papier récupérée par Blue Paper auprès de ses voisins ne représente que quelques centaines de tonnes sur les 300 000 qu’elle utilise chaque année. Cinq entreprises ont aussi groupé leur achat d’électricité. Cette fois-ci, l’économie est plus convaincante : 120 000 euros au total, soit près 24 000€ chacun, grâce à un meilleur rapport de force. Lorsque le contrat d’autres industriels sera échu, ils rejoindront ce groupement.

Cet automne, s’ouvre la troisième phase. Il faudra organiser les coopérations sur cinq nouveaux flux : les résidus organiques, à revendre pour de la méthanisation pour Soli’vers, les déchets en bois secs, qui intéressent la chaufferie par gazéification de biomasse de Soprema, la mutualisation des réparations de palettes dans l’atelier de Simply Market, l’achats en commun de services et consommables allant de la garderie aux ramettes de papier et permettre l’accès à l’atelier de maintenance de camions

L’approfondissement plutôt que l’élargissement

Les retombées sont encore difficiles à chiffrer, mais d’après Idée Alsace elles pourraient atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros sur 3-4 ans. Car au-délà des principes écologiques et d’image, le port autonome comme ses usagers souhaitent que l’économie circulaire renforce la compétitivité de ses entreprises.

Désormais, 25 entreprises sont associées à la démarche. Sur plus de 300 sur le site, ce total peu paraître faible. Mais pour Émilie Gravier, directrice du développement du Port autonome de Strasbourg, le plus important est désormais l’approfondissement plutôt que l’élargissement :

« Sur les autres sites, c’est souvent un gros industriel, comme Alstom à Dunkerque depuis 2001, qui a organisé une économie circulaire autour de son activité. Ici, nous sommes plutôt dans une démarche collective. Nous avons réuni les plus grosses entreprises du port, donc nous ne sommes plus en démarchage actif, mais si d’autres entreprises se manifestent, elles sont les bienvenues. »

Les industriels désormais mis à contribution

Il y a encore quelques années, les échanges entre dirigeants étaient rares, pour ne pas dire nuls. Chacun était convaincu d’avoir la meilleure optimisation et on ne s’échangeait pas ces informations, qui peuvent vite se révéler stratégiques. Désormais, le port demande une cotisation d’environ 1 000 euros par entreprises pour continuer à financer les réunions de travail. Vingt entreprises sont à jour de cotisation. Pour Olivier Weymann de Soprema, il est important de mieux se connaître :

« À part cafés Reck et cafés Sati (qui tous deux ne font pas partie des 25 entreprises du projet ndlr), il n’y a pas de concurrents directs sur le port, ce qui a facilité les premiers échanges. Maintenant, on se connait, on a nos coordonnées. Entre industriels, on voit qu’en échangeant des informations, chacun peut y trouver son intérêt. Et surtout, le port connait nos besoins désormais, ce qui n’était pas vraiment le cas avant. À plus long terme, on pourrait développer la question des énergies. »

Trouver une énergie à partager

Trouver une énergie à partager fait en effet partie des travaux à long terme du PAS et d’Idée Alsace. Mais les synergies semblent plus difficiles. Les entreprises ont des besoins en électricité ou en chaleur, mais ne rejettent pas grand chose d’utilisable.

Le projet de géothermie devait permettre à tout le monde d’avoir une source de chaleur et d’électricité. Mais face à l’opposition d’habitants de Kehl ou de Strasbourg, qui trouvaient le lieu inapproprié car soumis à un plan de protection des risques technologiques (PPRT), la société Fonroche à décidé de retirer son projet. Émilie Gravier comme Olivier Weymann pensent que pour développer une énergie commune, il faudra un engagement des acteurs publics.


#écologie

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