L’emploi à Strasbourg est-il en panne ? Les chiffres issus des recoupements de l’Urssaf ne sont en tout cas pas flatteurs pour l’agglomération alsacienne. Compilés par Laurent Davezies, professeur en économie urbaine à l’université de Paris XII, dans le cadre d’une étude pour le think-tank progressiste Terra Nova, ils révèlent que 57% des créations nettes d’emplois des territoires en croissance sont captées par cinq métropoles : Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lyon et Montpellier. Strasbourg en revanche a perdu 5 165 emplois salariés entre 2008 et 2012 et 3 806 dans la CUS.
Comment en est-on arrivé là ? La question était évidemment sur les lèvres des patrons présents à l’université d’été du Medef Alsace, jeudi à l’École de Management de Strasbourg. Parmi les présents, Pascal Tromp, ancien directeur général de Lidl France et qui pointe un problème d’attractivité de la métropole alsacienne :
« Parmi les raisons qui ont poussé Lidl à déplacer son siège français de Strasbourg à Paris l’an dernier, il y avait les difficultés à recruter des cadres. Ceux qui sortaient des grandes écoles type HEC, Essec, etc. ne voulaient pas s’installer à Strasbourg car il y a trop peu de grandes entreprises susceptibles de les accueillir au cours de leur carrière. Ils craignaient d’être contraints à rester chez Lidl. Et puis tout se décide à Paris, surtout dans cet univers très réglementé qu’est la grande distribution. Nous avions besoin de faire entendre notre voix dans les centres de décision d’une manière plus constante que ne le permettait le TGV. »
Le siège social de Lidl France représentait 480 emplois à Hautepierre, dans la banlieue de Strasbourg. Aujourd’hui, la plate-forme administrative ne compte plus que 200 postes. Ce déménagement a étoffé la liste des entreprises qui ont quitté Strasbourg ou ont sévèrement réduit leurs effectifs : Steelcase, Laminoirs de Strasbourg devenus NLMK et passés d’un millier de salariés à 150 en 2014, General Motors passée de 1 300 en 2009 à 1 000 employés environ, après avoir culminé à 3 000 au début des années 2000, Alcatel employait 1 500 personnes en 2002 à Illkirch-Graffenstaden, 650 aujourd’hui, Stracel a perdu environ 250 emplois sur 500, Clestra dont le siège à Illkirch-Graffenstaden est passé de 650 postes à 423 en 2013 et évidemment la Coop, dont les effectifs strasbourgeois ont suivi la fonte de ses effectifs alsaciens…
« Strasbourg s’est reposée sur ses lauriers »
Dans le tableau ci-dessus, Toulouse semble avoir profité de sa spécialisation dans l’aéronautique, avec Airbus comme locomotive du secteur. Nantes s’est fait une religion des industries numériques. Mais quelle est la spécificité de Strasbourg ? Pour Philippe Cotleur, président de la Sogex, un cabinet d’experts-comptables de Colmar, Strasbourg s’est endormie sur ses lauriers :
« Comme l’Alsace, Strasbourg disposait d’une tradition industrielle qui lui a temporairement permis d’afficher un taux de chômage deux fois inférieur à celui de la moyenne nationale. Mais beaucoup de ces entreprises ont des capitaux allemands, et leurs investissements de ces dernières années ont plutôt été tournées vers l’Europe de l’Est. On n’a pas vraiment vu venir la crise, on s’est reposé sur nos lauriers. Aujourd’hui, Strasbourg manque de dynamisme. »
Le clip Strasbourg Europtimist
Philippe Cotleur ne croit pas non plus à l’effet « capitale européenne » :
« Les institutions européennes ne sont pas forcément porteuses en termes d’emplois. Mais elles consomment des ressources et peuvent paradoxalement réduire l’attractivité économique d’une ville. Il nous manque un vrai secteur porteur, comme Bâle a l’industrie pharmaceutique. On pourrait peut-être positionner Strasbourg comme une capitale du tertiaire, avec le Crédit Mutuel en vaisseau amiral, mais je n’ai pas l’impression que ce soit l’ambition de l’équipe aux commandes de la métropole. »
Les technologies médicales, oui mais…
Autre possibilité, faire de Strasbourg une capitale des technologies médicales. L’excellence de l’Université de Strasbourg dans ces domaines et Lilly à Fegersheim pourraient servir de locomotives. Président d’Alsace capital, un fonds d’investissement semi-public, Jean-Lin Bergé y croit mais… pas pour tout de suite :
« Les pertes d’emplois issues des choix des grandes entreprises industrielles ne seront pas compensées rapidement… Certes, il y a des start-ups prometteuses dans l’univers de la santé et nous en accompagnons quelques unes. Mais pour créer 100 emplois, il faut une vingtaine d’entre elles ! Et toutes n’aboutiront pas. »
Pour Jean-Jacques Leguay, président du Medef Alsace, il est temps que Strasbourg arrête de se regarder le nombril :
« On n’a plus vraiment le choix. À l’université d’été du Medef, le maire de Lyon Gérard Collomb a détaillé sa stratégie d’une politique territoriale économique. C’était très éclairant comment cette agglomération est parvenue à fédérer les énergies et à faire qu’entrepreneurs, artistes, institutions travaillent ensemble. À Strasbourg, chacun travaille encore un peu dans son coin. Les entreprises d’ici n’imaginent pas qu’elles peuvent gagner à discuter de l’aménagement du territoire avec les élus. Avec l’arrivée de Robert Herrmann, on sent une volonté mais alors que les autres métropoles ont trouvé une stratégie, la nôtre reste à construire. »
Trop d’Europe ou pas assez ?
Pour Fabienne Keller, ancienne maire de Strasbourg et sénatrice UMP du Bas-Rhin, Strasbourg devrait se servir de son positionnement européen comme un tremplin économique :
« On a une université excellente, qui recrute à l’international, nous sommes sur une frontière, nous avons la capacité de dépasser les différences entre les peuples, entre les religions, pour vivre ensemble et construire, et nous avons la réputation d’être travailleurs et de produire un travail de qualité. Ça a une valeur économique que nous ne mettons pas assez en valeur. On n’a pas fait assez pour le rayonnement européen de Strasbourg, quand on voit le lieu d’Europe et sa véranda digne d’une maison individuelle… On manque d’ambition. En revanche, je ne pense pas qu’il faille spécialiser la métropole sur une filière ou un secteur, que se passe-t-il quand ce secteur entre en crise ? »
Intervenant devant les patrons alsaciens, le président (PS) de la CUS Robert Herrmann, qui ne s’est toujours pas remis de la perte du synchroton à la faveur de Grenoble en 1983 (400 emplois, 2 000 chercheurs), reconnaît que Strasbourg a un problème de positionnement :
« Certes nous manquons de marqueurs. Et doublement frappés par la crise économique de part notre tradition industrielle, nous n’avons pas une image suffisamment positive, accueillante. Mais nous avons des atouts, que nous allons nous attacher à populariser. Outre son université, Strasbourg est une plate-forme de formation pour le secteur tertiaire unique en Europe, avec l’ENA, l’Inet, le Pôle européen de gestion et l’Erage en tête de file et également avec l’institut de recherche du Pr Jacques Marescaux. Avec les forces économiques, nous allons nous accorder pour définir un certain nombre de priorités, renforcer nos liens à l’international et nous concentrer sur ces objectifs. »
Technologies médicales, formation internationale, faudra-t-il choisir d’autant que, comme toutes les autres agglomérations françaises ou presque, Strasbourg est candidate avec Mulhouse à une labellisation « French Tech« , pour doper les industries numériques.
Aller plus loin
Sur AlsaÉco : la liste des principaux employeurs d’Alsace
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