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Politique culturelle : le boulet de Roland Ries

Ce lundi, les conseillers municipaux de Strasbourg voteront 93 000€ de budget pour la mise en place d’une œuvre sonore place du Marché à Neudorf. L’occasion pour certains de poser la question de la stratégie culturelle de la ville de Strasbourg, dont le maire s’est fait le VRP la semaine dernière devant la presse. « Inexistante », « atone », « sans ambition »… Les gentillesses fusent pourtant, sous cape, pour la qualifier.

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Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg (Photo Flick / Hoosadork)

A 18 mois des élections municipales, les acteurs de la culture, responsables associatifs, artistes, élus, amorcent déjà le bilan de la mandature socialiste. Et, de l’avis de la plupart de ces acteurs, il n’est pas brillant. Si nous avons réussi à lister quelques-uns des sujets qui fâchent, la totalité ou presque de nos interlocuteurs a souhaité s’exprimer anonymement. La raison est simple : le secteur est très largement dépendant des subventions publiques.

1- La culture : un gros budget, mais une faible marge de manoeuvre

La culture, c’est 75 millions d’euros annuels, soit près de 25% du budget de fonctionnement de la ville de Strasbourg. Mais attention : ce pourcentage, s’il semble important, couvre à 99% les dépenses de fonctionnement d’institutions culturelles très installées dans le paysage, comme l’Opéra du Rhin, le festival Musica ou le théâtre du Maillon, dont les zones de chalandise vont bien au-delà des frontières de la commune, voire même de la communauté urbaine. Si elles pèsent encore autant sur le budget municipal, contrairement à la lecture publique (médiathèques) qui a pu être transférée à la CUS lors du mandat précédent, « il faudrait une volonté politique », selon Souad El Maysour, vice-présidente de la CUS en charge de la culture, pour imposer aux autres municipalités de l’agglomération un pareil fardeau.

Si bien que sur ces 75M€, seul 1,3 millions est reparti entre une myriade d’acteurs dans tous les secteurs, musique, danse, théâtre, arts visuels… L’adjoint au maire en charge de la culture Daniel Payot a indiqué jeudi 18 octobre avoir abaissé les financements de ces grandes structures d’1%, afin de « mieux répartir » les budgets et dégager des marges de manœuvre pour soutenir des projets pour la jeunesse et favoriser les cultures émergentes. Une « annonce conforme à l’impression de vague et d’imprécision générales », commentait dans la foulée Robert Grossmann, conseiller municipal d’opposition et ancien président de la CUS en charge de la culture.

Quant aux têtes de pont qui portent le projet culturel à la ville, ils apparaissent aux yeux de certains comme en stand by : depuis près d’un an, le directeur des affaires culturelles, suspendu puis licencié, n’a pas été remplacé. C’est son supérieur Yves Aubert, directeur général adjoint des services de la ville et de la CUS qui assurait jusqu’à cet été la fonction par intérim. « Il a désormais la culture de plein exercice », assurait vendredi le directeur général des services Pierre Laplane. Mais en plus des « territoires et de la démocratie locale » alors que la direction de la culture à la Ville encadre plus de 1000 agents…

Quant à l’élu en charge de l’action culturelle, l’universitaire Daniel Payot, des collègues élus le disent « invisible », ayant « jeté l’éponge », ou encore faisant partie de ceux « qui attendent la fin du mandat, mais qui ne repartiront pas ». Conséquences : des acteurs du secteur dénoncent une direction de la culture « inexistante ». C’est le cas de Jérémie, responsable associatif dans le milieu de l’art, et de Laurent, notamment administrateur d’un équipement culturel (les prénoms ont été changés). Tous deux sont en liens étroits avec les décideurs comme avec les agents de la CUS :

« Comparé à d’autres villes de province, Strasbourg bénéficie d’un tissu culturel d’une grande vitalité. Seulement, les forteresses culturelles pompent tous les budgets ! Ce qui empêche tout renouvellement de l’offre. Notre sentiment, qui se confirme aujourd’hui, c’est que de nombreux agents en contact avec le terrain ont baissé les bras…

D’ailleurs, les assises de la culture en 2009 sont symptomatiques de tout ça. La municipalité a fait plancher tout le monde pendant des mois et le discours final de Roland Ries était une coquille vide. Il nous a sorti du chapeau un opéra sur le Rhin, dont personne n’avait discuté avant…

Roland Ries ne maîtrise pas les écosystèmes de la culture à Strasbourg. Et qui dit méconnaissance, dit absence d’intérêt. Robert Grossmann avait une danseuse, l’art contemporain. Celle de Ries, à part les transports, on ne la connait pas. »

Exemple souvent cité par les acteurs du monde de la musique, Roland Ries avait indiqué dans son discours de clôture des Assises de la Culture :

« Pour ce qui concerne les musiques nouvelles, en plus de la Laiterie, nous sommes à la recherche de lieux nouveaux, tant pour les répétitions que pour la production des spectacles. »

Ils attendent toujours… Déçus, dans l’attente de signaux et d’une reconnaissance qui ne viennent pas, ces acteurs sont pourtant loin d’écarter la possibilité de voter pour le camp adverse en mars 2014.

2 – Des dossiers symboliques épineux

Comme beaucoup, Jérémie et Laurent regrettent « un manque de vision » en matière culturelle. Selon eux, des lieux cristallisent ce vide criant : l’Ancienne douane, l’Odyssée, l’entrepôt Seegmuller ou encore les Docks Malraux cet été. Concernant l’Odyssée, les deux hommes, comme certains élus de la majorité, déplorent cette « incapacité à renouveler l’offre ».

Si la future intégration de l’entrepôt Seegmuller (livré en 2014) dans le maillage culturel strasbourgeois reste encore floue, les salles d’exposition de l’Ancienne douane transformées en marché bio ne cessent d’attirer les critiques. Et celles de Robert Grossmann en particulier. Réagissant au contenu du livret présentant le bilan culturel des 4 ans écoulés communiqué à la presse jeudi 18 octobre, l’ex-président de la CUS s’agace :

« Dans les prestations communicationnelles du maire, on ne perçoit guère que la culture soit une préoccupation majeure de la municipalité. Conférence de presse et document sommaire n’effaceront d’ailleurs pas le triste symbole de l’effacement et de la soustraction d’un haut lieu des arts, l’Ancienne douane, au bénéfice des produits agricoles, et ce au moment même où on se vante d’obtenir le label «Ville d’art et d’histoire». »

Par ailleurs, l’auteur de « Culture en Alsace : la panne ? » aux éditions du Verger (2011) note encore, acide :

« La lecture du fascicule jaune [toujours celui communiqué à la presse] laisse entrevoir une énumération fastidieuse de l’existant, par exemple « le centre chorégraphique de Pôle sud » ou « le programme des résidences artistiques », « des tournées de l’OPS en Europe »… Je note des annonces creuses, qui ne mangent pas de pain comme «concevoir un événement participatif de début de saison», «promouvoir les cultures régionales», «animer les journées du patrimoine mondial de l’Unesco»…

Enfin on y inclut des projets que les réalités imposent, comme « rénover le Palais des fêtes » ou « programmer le chantiers de rénovation de l’Opéra ». Et d’ailleurs, où est la construction d’un nouvel opéra pourtant annoncée en divers lieux de la ville comme le long du Rhin ? »

Pas de nouvel opéra, pas de grand événement qui émerge et fasse un peu d’ombre au marché de Noël pour faire rayonner la ville sur le plan culturel, une critique diffuse des initiatives à mi-chemin entre culture et animation (comme les Europhonies, ouverture carnavalesque de la saison culturelle) et des financements d’œuvres vivement critiqués (exemple plusieurs fois cité : la décoration du socle d’un plan en relief de la ville par Raymond-Emile Waydelich place d’Austerlitz)…

3 – L’héritage de Denise René : encore un boulet

Dernier rebondissement : la galeriste Denise René, spécialisée dans l’abstraction géométrique, décédée le 9 juillet 2012, lègue 1 000 à 1 500 œuvres à la ville de Strasbourg. Ce legs inespéré est néanmoins conditionné par l’exposition de 25% du cadeau à l’Aubette. Une nouvelle épine dans le pied du maire puisque « le rez-de-chaussée est occupé par des commerces, remarque-t-il, les salles du Ciné-bal sont des œuvres d’art en elles-mêmes et que seule la grande salle pourrait accueillir des œuvres, mais elle a déjà d’autres fonctions… »

Alors qu’il est « trop tôt » de l’avis de la directrice des musées Joëlle Pijaudier-Cabot pour parler d’affectation des œuvres à l’Aubette, au Musée d’art moderne et contemporain ou ailleurs, Marc Merger, conseiller municipal d’opposition s’inquiète néanmoins :

« Strasbourg ne peut se permettre de passer à côté de l’opportunité de rayonnement culturel et artistique que constitue ce legs de Denise René. C’est pourquoi une réflexion globale sur les capacités et synergies des équipements du centre-ville doit être menée. Pourquoi ne pas faire de l’Aubette un lieu de référence internationale entièrement dévoué à l’abstraction géométrique et l’art cinétique et reporter sur l’Ancienne douane, entièrement réaménagée à cet effet, les fonctions socioculturelles d’exposition et d’accueil d’évènements, rencontres et conférences jusqu’à présent assumées par l’Aubette ?

Avec ces deux pôles, proches géographiquement et prestigieux, Strasbourg pourrait dynamiser son cœur historique et culturel. L’ensemble serait plus cohérent et utile que l’implantation dans ce bâtiment historique d’un marché bio qui pourrait parfaitement être créé à un autre endroit. »

A la Manufacture des tabacs peut-être, où se sont déroulées ce week-end les premières 24 heures de l’architecture ? Peu probable. Alors qu’il devrait également y être question du budget 2013 et de l’aménagement du quartier Wacken-Europe, le conseil municipal de Strasbourg se déroulera ce lundi au centre administratif à partir de 15 heures.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : suivre le conseil municipal en direct (à partir de 15h)

Sur VousAussi.org : les archives des Assises de la culture


#culture

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