En 2013, la société allemande de supermarchés « hard-discount » Lidl déménage une grande partie de ses services opérationnels alors basés à Strasbourg (580 salariés à l’époque), près du parc des Poteries à Koenigshoffen vers un nouveau site à Rungis, en région parisienne (Val de Marne).
Un siège séparé en deux
Depuis, le siège social de Lidl France reste officiellement à Strasbourg. Mais la gérance, le développement commercial et la centrale d’achats sont domiciliés en Ile-de-France au « siège opérationnel ».
Les fonctions administratives informatiques et de support restent au siège « historique » de Strasbourg. La récente manifestation de salariés pour réclamer une augmentation de salaire s’est par exemple déroulée à Rungis, appelé parfois à tort « siège social ».
Un PSE pour 169 personnes
Pour cette réorganisation stratégique, Lidl prévoit de déplacer 244 salariés à qui l’on propose des avenants individuels à leur contrat. Le déménagement est accepté par 76 personnes. Pour les autres, la société met en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), ce que l’on appelle couramment un plan social, pour reclasser les 169 personnes qui refusent de migrer de l’Alsace vers la région parisienne. Un PSE est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins 10 salariés en un mois.
Les propositions ne satisfont pas le syndicat de la CGT, mais qui ne peut bloquer le PSE, car il est minoritaire au comité d’entreprise. Après les négociations, il dépose un recours en justice en septembre 2013. Il estime que les propositions de reclassement ne sont pas « suffisantes et sérieuses », selon les termes vagues que prévoient le Code du travail. « Les exigences envers un groupe comme Lidl ou un petit artisan ne vont pas être les mêmes », explique Me Binantifame Tabiou qui représente la CGT dans de ce conflit.
112 propositions, plus de 130 licenciements
Des propositions sont formulées pour 112 personnes (sur 168 salariés) que seules 41 acceptent. Les autres déclinent pour des raisons géographiques ou financières. Et encore, 12 auraient utilisées leur « droit de repentir » tout comme 14 des salariés qui avaient initialement accepté d’aller à Paris et qui sont revenus à leur ancien poste à Strasbourg.
L’opération débouche sur plus de 130 licenciements économiques, le chiffre exact n’aurait pas été dévoilé par Lidl lors de l’audience selon le syndicat et son avocat.
Une réintégration ou une indemnité possibles
Dans son recours, la CGT a ensuite été rejointe par le syndicat l’Unsa en 2014. Le 3 octobre 2016, le tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg a annulé le PSE, estimant que les propositions de Lidl n’étaient pas « suffisantes », suivant donc la position des syndicats. L’annulation prend effet immédiatement.
Selon la page sur les PSE de service-public.fr : « le juge peut […] prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié (s’il la demande) ou […] l’employeur doit lui verser une indemnité ». Pour les personnes qui ont accepté le déménagement avant le PSE, il faudra voir au cas par cas si cette décision change leur situation.
Lidl, reconnu comme groupe européen et non une entreprise française
L’avocat de la CGT, maître Binantifame Tabiou estime que ce sont les arguments économiques qui ont permis d’invalider les licenciements :
« Nous avons démontré que Lidl France appartient bien au groupe allemand Schwartz. Si Lidl France ne peut proposer de reclassement, il existe des possiilités dans d’autres sociétés du groupe comme Kaufland. La croissance économique du groupe était de 13,1% entre 2013 et 2012 ou de 6,6% sur la période 2007/2012. Avec un chiffre d’affaire de 98 milliards de dollars, il s’agit du quatrième groupe mondial dans la grande distribution selon le ministère de l’Économie. Il avait donc des marges de manœuvre économiques. Si la CGT n’avait pas contesté ce PSE, il aurait été définitif. »
Pour Thierry Chantrenne, délégué central de la CGT-Lidl, les personnes concernées doivent maintenant se manifester :
« Nous sommes allés au bout de notre conviction. Que Lidl soit reconnu dans le groupe va changer les choses pour les personnes mises en inaptitude. Jusqu’ici, Lidl ne proposait pas de postes dans le groupe Schwartz, mais seulement en France. Les personnes licenciées font ce qu’elles veulent, mais elles ont intérêt à se faire connaitre pour faire valoir leurs droits. »
Un plan accepté par les représentants du personnel en 2013
En 2013, les syndicats de la CFDT, majoritaire et de la CFTC avaient avalisées ce plan. Christophe Pierre, délégué syndical de la CFDT se rappelle que son syndicat avait jugé qu’un recours serait inutile :
« On s’était battu pour qu’un maximum de personnes soient reclassées. Aux dernières nouvelles, plus de 90% des salariés licenciés ont retrouvé un emploi. »
« Faux », rétorque l’avocat, « c’est un élément de langage de la direction que l’on a aussi eu lors du procès. J’ai moi même plus de 6 personnes qui n’ont pas retrouvé d’emplois. »
Vers un appel non-suspensif
Contactée, la société Lidl a répondu via son responsable de la communication Nicolas Calo :
« Nous prenons acte de cette décision. Nous observons qu’elle admet le bien-fondé économique du déménagement d’une partie des activités du siège à Rungis et que le plan de sauvegarde de l’emploi ne relève d’aucune fraude à la loi. Selon toute vraisemblance, nous devrions faire appel. »
Un appel n’est pas suspensif (de l’annulation du PSE donc), à moins d’adjoindre une demande de sursis à exécution provisoire, qui doit être motivée.
Lidl relève la question de la « fraude à la loi », car le juge n’a pas suivi la CGT sur ce point. Lidl a justifié son déménagement par le fait d’être excentré des centres de décisions parisiens. La CGT et son avocat estiment que cette raison n’était pas suffisante compte tenu de la desserte de Strasbourg par le TGV et les moyens de communication modernes. Cet aspect est lourd en incidences, car une condamnation entraînerait un éventuel remboursement des aides perçues lors de l’implantation en Ile-de-France.
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