Cette nouvelle saison au Maillon est la première dont la programmation est signée Frédéric Simon. Que ce soit à travers le spectacle de Pinocchio, ou au creux des caravanes de Lupovino et des cabanes des Chateaux en l’air qui accompagnent cette ouverture, tout invite au voyage, à l’enfance, à l’initiation. Et cette invitation se joue à guichet fermé, ou presque. Pourtant la pièce de Joël Pommerat a été créée en 2008 et présentée au TNS en 2009. Qu’importe, puisqu’il s’agit du genre de pièce que l’on revoit, comme c’est le cas de plusieurs personnes dans la salle : deux fois, ou même plus.
Dans sa manière d’aborder les contes pour enfants, Joël Pommerat touche à une sorte d’essentiel. On retrouve dans Pinocchio le même esprit qui l’a animé pour Le Petit Chaperon Rouge. Une féérie totale sur un plateau souvent presque nu. Un objet, un son, une lumière évoquent un monde immense. On traverse ces univers, comme tenu par la main, au rythme de l’histoire que l’on nous raconte. Une façon formidable de solliciter l’imaginaire avec une précision chirurgicale, élégante et sobre.
Pensé comme une partition, une chorégraphie virtuose, le spectacle raconte une histoire familière et pourtant inédite. C’est sans doute, comme l’explique Frédéric Simon, parce que Joël Pommerat n’est pas « dans la commémoration du texte. C’est un spectacle feuilleté sur des milliers de niveaux de lecture. »
Du bois à la chair
Pinocchio c’est bien sûr l’histoire écrite par Carlo Collodi dans les années 1880. Proposée sous forme d’épisodes dans un journal, cette aventure regorge d’épreuves, de personnages, d’obstacles. L’enfance n’est pas tant le monde de l’innocence que celui de la naïveté, de la curiosité et d’un esprit si libre qu’aucun cadre ne le soutient. La marionnette créée par son père est presque indestructible, et c’est tant mieux au regard des épreuves qu’elle traverse. Joël Pommerat, qui signe le texte de cette adaptation, le souligne et fait dire à l’un de ses personnages au sujet de Pinocchio, fort maltraité : « Heureusement qu’il était un peu en bois, quand même. »
L’histoire originale présente un aspect plutôt moraliste, suivant l’idée que c’est parce qu’il désobéit que Pinocchio se retrouve dans des situations innommables. La version de Pommerat est assez différente. Si la fée représente, d’une certaine façon, la morale, elle est justement la preuve que l’on peut grandir autrement, en se frottant à d’autres sentiers. La marionnette peut devenir un garçon malgré, ou peut-être grâce, à ses aventures fantastiques et souvent douloureuses.
Clair obscur
La scène de Joël Pommerat, comme la scénographie d’Eric Soyer, est une terre de contrastes. Les noirs sont profonds, les blancs éblouissants. Il y a une véritable puissance cinématographique dans le travail de la lumière et du son. Comme devant l’écran de cinéma, l’on se retrouve happé dans une histoire qui semble émerger des ténèbres par instants fugaces pour y replonger aussitôt. Philippe Carbonneaux, collaborateur artistique de Joël Pommerat sur ce spectacle, explique :
« Pinocchio c’est une métaphore de la peur de l’engagement dans la vie. La peur est un outil qui sert à avancer. »
Il est vrai cependant que même dans les scènes les plus dures il y a une douceur insoupçonnée. Un aspect fondant, bienveillant, qui vient compenser la mécanique implacable d’univers sonores et visuels magistraux.
Sortir du cadre
Myriam Assouline donne à ce Pinocchio une voix et une démarche singulières, mystérieuses. C’est une créature, un être qu’on ne sait pas qualifier. A travers le jeu, mais aussi à travers le maquillage et les costumes, on trouve à ce Pinocchio comme à ses compères quelque chose de fantastique – au sens surnaturel du terme. Philippe Carbonneaux qualifie cette sensation :
« Joël Pommerat a beaucoup travaillé sur un Pinocchio qui serait à l’intérieur de l’image et qui voudrait en sortir. »
Un personnage coincé dans un corps de bois, qui dès le départ exige autre chose. Une bouche, des yeux. Des moyens de sortir de lui-même. Il devra passer par plusieurs autres corps, un âne, une baleine, pour pouvoir s’échapper du sien et réussir sa mue. Quel soulagement donc lorsque Pinocchio retrouve son père et accomplit une sorte de passage à la raison en lui disant : « Je ne vais pas être exactement comme tu voudras que je soies. Je vais être encore mieux. » Et c’est ainsi que le petit garçon pourra quitter sa peau de marionnette, inerte, comme un cocon vide, en la laissant sur une chaise au milieu de la scène.
Cachettes, cabanes et caravanes
L’exploration de petits univers clos continue en dehors du plateau à travers les caravanes de Lupovino, placées à l’entrée du Maillon comme à l’orée d’un chapiteau. Puis dans le hall contigu, où les artistes Ramona Poenaru et Gaël Chaillat, de la compagnie Des Châteaux en l’air, invitent les spectateurs, les soirs de spectacles, à une « installation expansive », architecture collective et mouvante dont le carton est la pierre angulaire. Et ce jusqu’à début décembre. Un projet pour « chercher un sens avec ses mains, enfreindre les règles, inventer des usages », à suivre en continu sur le site dédié de la compagnie.
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