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« Phénomènes », une exposition sensiblement poétique au Frac Alsace

Le Frac Alsace a depuis peu une nouvelle directrice et ça se sent : une bouffée d’air frais pour cette nouvelle exposition qui présente des œuvres issues de la collection sous le prisme des liens entre matières(s), nature et culture. Une thématique parfaite pour observer avec un peu plus de bienveillance cette fin d’hiver aux accents sibériens.

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Un dimanche de février, je me décide à  braver le froid strasbourgeois pour prendre le train jusque Sélestat, où une fine neige m’attend le long du court chemin vers ma destination. Cette condition météorologique si particulière tombe à pic, au vu du thème de l’exposition que je m’apprête à découvrir.

“Phénomènes” est le nom de la première démonstration du travail curatorial de Felizitas Diering au sein du Fond Régional d’Art Contemporain d’Alsace. La nature et ses manifestations sont au cœur de toutes les œuvres présentées, l’exposition offrant un panorama des différentes appropriations de ces phénomènes par les artistes.

Des œuvres sensorielles et narratives

Aile de Faucon, (1988),  (Photo B. Burkhard / archive)

Le premier objet sur lequel se fixe mon regard se trouve à proximité de l’entrée : une photographie argentique de Balthasar Burkhard. Les grandes dimensions de l’œuvre (114×117 cm) transforment le sujet de l’image en motif contrasté. Ma perception se trouble : s’agit-il plutôt d’un papillon, d’un poisson ou d’un volatile ? Seule la nature organique de l’objet reste certaine. Un coup d’œil au titre de l’œuvre, Aile de Faucon, (1988) et me voilà fixée. Pourtant l’étrange beauté de cet élément sorti de son contexte reste entière.

Après cette première expérience visuelle, mon œil est attiré par un photogramme de Pierre Savatier, spécialiste de cette technique sans appareil photographique : le sujet est directement mis en contact avec du papier photosensible. Créée en 2002, l’œuvre Gouttes d’eau (grande) #2, semble m’offrir un paysage long de plus de deux mètres. Les gouttes d’eau deviennent lumières et ombres, et m’emmènent dans des contrées lunaires faites de noir et de blanc. Une fois encore, le titre de l’œuvre renvoie au matériau premier, ici l’eau. Ces simples gouttes sont sublimées par l’artiste, jusqu’à les rendre objets d’une grande force évocatrice.

Une vue de l’exposition, avec l’oeuvre de Pierre Savatier au premier plan. crédits photographiques: Klaus Stöber

Histoire(s) (sur)naturelles

Toujours éveillée par la poésie des matières, je m’avance vers une série de dix lithographies et collages, intitulée Natural History Part I – Mushrooms (1974). Cette oeuvre de Cy Twombly associe deux techniques : la lithographie laissant intact le trait rapide et expressif caractéristique de l’artiste, et le collage qui vient “composer” l’espace de la feuille à partir de formes imprimées et photographiées.

Planche n°8 de Natural History Part I- Mushrooms, (Photo SP / Rue89 Strasbourg)

La multiplicité des éléments déclinés et croqués par l’artiste, mêlés à des photographies de “non-lieux” et à différents papiers griffonnés de mots et de signes, me plonge dans un univers qui évoque des carnets de recherche, similaires à des indices disséminés sur le papier. Comme si c’était à moi de tisser les liens entre les éléments, je tente de décrypter ce qui semble être des repères visuels de la pensée de l’artiste. Le motif du champignon, support de narration, est présent dans chacune des planches : la simple histoire naturelle se mue en de nouveaux récits, à la fois historiques et personnels.

Les pierres sublimées de Californie

De l’autre côté de la salle d’exposition se trouve l’œuvre Sailing Stones d’Adrien Missika. Projetée au mur, l’œuvre est une vidéo d’une dizaine de minutes composée de plans fixes d’un désert, où seules des pierres noires contrastent avec le sol clair et sec. À l’horizon, se dessine un flanc de montagne du même noir de jais que les roches. Seul le vent qui souffle en continu anime les vues immobiles du film, et pourtant, d’étranges traces, manifestement dessinées par les pierres, sont visibles au sol. Ces preuves d’une animation passée renvoie à un mouvement qui eut lieu, à un récit potentiel.

vue de Sailling Stones d’Adrien Missika, crédits photographiques Klaus Stöber

Dans le lac asséché de la Death Valley (Californie, USA), ces pierres ont suscité l’intérêt des chercheurs depuis les années 1950, qui ont alors créé de nombreuses théories plus ou moins rationnelles autour d’elles. Depuis, le mystère a bel et bien été résolu, prouvant qu’il ne s’agit là que d’une manifestation rare sans être surnaturelle. Mais la poésie de ces pierres animées reste entière, d’autant plus que le générique du film personnifie avec une touche d’humour ces objets (en apparence) imperturbablement stoïques.

Le générique de Sailling Stones d’Adrien Missika (Photo SP/Rue89 Strasbourg)

Première réussie pour la directrice

Pour une première en tant que directrice du Frac, Felizitas Diering frappe juste. Contrairement à l’exposition précédente où l’unique œuvre présentée était l’impressionnante installation Pipeline Field du sculpteur Michael Beutler,  “Phénomènes” retourne à une forme d’exposition plus traditionnelle.  Celle-ci mérite le détour grâce à une sélection soignée parmi les œuvres que possède le Fonds d’Art Contemporain, qui met en valeur la collection.

Bien d’autres pièces de Jan Fabre, Edith Dekynth, Marc Couturier, Damien Cadio, Richard Monnier, Nathalie Talec, y sont à découvrir, ainsi qu’une œuvre issue de la collection du Frac Champagne Ardenne : Wellenwanne de Carsten Nicolai. À la fois sensibles et poétiques, les œuvres dialoguent entre elles tout en offrant un bel équilibre entre perception et réflexion, et je ressors avec l’impression surprenante d’avoir lu un poème sans mots.


#Art contemporain

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