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Perquisition musclée à Strasbourg pour une barbe et du bicarbonate

Le 21 novembre, les forces de l’ordre débarquent dans l’appartement d’un homme de 80 ans à Strasbourg. Choqué par la violence de l’assaut, l’homme fait un malaise et doit être hospitalisé. Son appartement est dévasté. La famille musulmane témoigne du traumatisme subi… pour une fiole de bicarbonate de sodium et une barbe.

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Trois opérations antiterroristes ont été menées au même moment à Strasbourg et Vendenheim (Capture d’écran France 3 Alsace)

Samedi 21 novembre, vers 16h, le RAID, la police judiciaire et la Brigade de recherches et d’intervention (BRI) investissent la maison d’un homme de 80 ans et de sa fille, âgée de 46 ans, déficiente mentale, dans le quartier de la Montagne Verte à Strasbourg. Ils cherchent des armes et de la drogue.

Perquisition à la Montagne Verte samedi

Opérations antiterroristes : perquisition route de Schirmeck à...Deux perquisitions ont été menées à Strasbourg et une à Vendenheim ce samedi dans le cadre des opérations antiterroristes. En video, la perquisition route de Schirmeck à Strasbourg.

Posted by France 3 Alsace on Saturday, November 21, 2015

Lorsque l’octogénaire entend les détonations faisant exploser sa porte, il se lève brusquement et s’évanouit : il revenait tout juste d’un séjour à l’hôpital pour un problème rénal et une infection pulmonaire. Mis debout par les forces de l’ordre, il est finalement menotté au sol avec sa fille. Tous deux sont ensuite confinés dans une pièce du logement, tandis que la perquisition se poursuit.

Le logement venait d'être fraîchement rénové. La famille n'espère plus un remboursement de l'assurance (Document remis).

Après cinq jours d’hospitalisation, l'homme de 80 ans reste très choqué et ne comprend toujours pas la violence de la perquisition. Les cagoules des fonctionnaires de police, les armes, le bruit et les dégradations de son appartement, l’ont fortement marqué. Diligentées par le parquet de Strasbourg, les opérations anti-terroristes menées ce jour-là ciblaient des personnes "déjà connues des services de police" et visaient également à "trouver des armes".

Au final, pas d’interpellations, ni drogues, ni armes. Restent des dégâts matériels très importants, l'appartement fraîchement rénové a été rendu inhabitable, et un choc psychologique difficilement réparable. Les membres de la famille (*) acceptent l'état d'urgence en France mais ne comprennent pas pourquoi ils ont été traités comme des terroristes, sur de simples soupçons.

Le bicarbonate de sodium pris pour de la drogue

Car l’origine de cette perquisition musclée remonte au contrôle de deux frères de cette famille à la douane tunisienne. De retour de vacances deux jours après les attentats de Paris, ils sont fouillés : une fiole de bicarbonate de sodium attire l’attention. Contrôlés une nouvelle fois en Italie, ils sont stoppés à la frontière suisse puis finalement autorisés à rentrer en France.

Seulement le plus jeune des deux frères, en instance de divorce, doit retourner en Suisse, rendre visite à sa fille qui vit à Bâle avec sa mère. Accompagné de son frère et d’un ami, ils repassent la frontière et sont arrêtés. Des traces de poudre en provenance de la fiole de bicarbonate sont retrouvées dans les rangements de la porte de la voiture. L’aîné de la fratrie raconte :

"Les douaniers ont pris le bicarbonate de sodium pour de la drogue alors que mon frère l’utilise pour des problèmes d’estomac. Ils ont été arrêtés au faciès. Mon frère et son ami portent la barbe, mon autre frère non. Mais dans le contexte actuel… Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment."

Car l’un des deux frères à bord du véhicule pratique un islam inspiré du salafisme, un choix religieux que son père et le reste de sa famille ne partage pas, mais respectent.

"Laissez-mon père tranquille"

Interrogés la journée et la nuit du vendredi, ils donnent l’adresse de leur père à Strasbourg. Ils sont relâchés le lendemain matin. Entre-temps, les autorités suisses préviennent le parquet de Strasbourg qui diligente la perquisition le samedi après-midi. Le frère aîné raconte :

"Les policiers posaient des questions à ma soeur : "qui a dormi ici ?", "où sont cachées les armes ?", etc. Ils lui ont même fait signer le procès-verbal alors qu’en raison de son handicap, ça aurait dû être à son tuteur de le faire. Elle a quand même engueulé les fonctionnaires de police qui étaient là en leur disant de laisser notre père tranquille et qu’il était malade.

Le domicile voisin d’un autre de mes frères a aussi été perquisitionné. Mais à ce moment-là, seule sa femme et ses trois enfants étaient présents. Elle s’est mise à la fenêtre pour prévenir les forces de l’ordre qu’il y avait trois enfants. Son visage était visé par des lasers rouges…"

La détonation pour ouvrir la porte d'entrée du domicile a surpris l'octogénaire qui a fait un malaise (Document remis).

Interrogée par France 3 Alsace, une autre soeur de la famille regrette le « manque de discernement au moment de la perquisition » :

"J'ai un frère salafiste mais nous avons tous grandi à l'école de la République et nous avons pris des chemins différents. J'ai un frère qui est batteur dans un groupe de blues à Strasbourg et je travaille dans l'industrie pharmaceutique... Nous sommes une famille musulmane française typique. Cette opération a été une gigantesque erreur et on se trompe radicalement en nous traitant tous de terroristes."

Au commissariat de Strasbourg : "Revenez demain"

En revenant de Suisse dans la soirée de samedi, les deux autres frères se présentent au commissariat de Strasbourg : "nous sommes là, prenez-nous", disent-ils aux policiers. Leur frère aîné raconte la suite :

"On leur a répondu "Écoutez il est tard, revenez demain". Voilà. Ils y sont retournés le lendemain, on n'a pas voulu les recevoir. L’un de mes frères, le barbu, a forcé le passage pour voir un des chefs qui leur a simplement dit qu’ils seraient bientôt convoqués."

Reste un sentiment d’incompréhension et de gâchis car les dégâts matériels causés lors de la perquisition pourront difficilement être remboursés par l’assurance de la famille : état d’urgence oblige. Quant aux deux frères, ils attendent toujours leur convocation.

D'après la préfecture du Bas-Rhin, 35 perquisitions administratives ont été effectuées dans le département depuis le début de l'état d'urgence.

À l'échelle nationale, les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur, datés du 30 novembre, font état de 2000 perquisitions administratives, 529 garde à vue (dont 317 concernant les manifestants du 29 novembre) et 300 assignations à résidence (dont 24 pour des militants écologistes).

(*) Aucun prénoms, ni noms ne sont révélés, à la demande de la famille, qui souhaite préserver sa tranquilité.


#état d'urgence

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