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Filière bilingue : recherche profs en langue allemande désespérément

Deux semaines après la rentrée, plusieurs classes bilingues d’écoles primaires de Strasbourg sont toujours sans professeur en langue allemande. Ce problème génère quelques situations ubuesques dans les écoles et remet le dispositif en question.

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L’école du Neufeld à Strasbourg (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Deux professeurs en langue française pour une classe bilingue, il y a de quoi être déçu. Pourtant, les 26 CE2-CM1 de l’école du Neufeld à Strasbourg doivent s’y faire. Depuis mercredi 9 septembre, ils n’ont plus de professeur en langue allemande. Elle a démissionné, après avoir été recrutée par l’inspection académique début juillet. Contractuelle, elle était à l’origine professeur… des religions. C’est donc un instituteur de la « voie normale » qui assure, en français, les heures en principe enseignées en allemand.

Dans ces classes primaires bilingues, dites « paritaires », la moitié de la semaine est consacrée à des matières enseignées en langue française (histoire, instruction civique) et l’autre en allemand (mathématiques, géographie, sciences). Mais pour ça, il faut des enseignants capables de soutenir un cours en allemand.

L’inspection académique en est à sa troisième session de recrutement en une semaine, mais elle n’a toujours pas réussi à trouver de candidats adéquats. Pour les parents d’élèves de l’école du Neufeld, cette situation est devenue absurde. La professeur d’allemand titulaire est en congé maternité depuis Pâques, l’inspection savait donc très bien qu’elle ne reviendrait pas en septembre. Sophie Curtius, dont le fils vient d’entrer en CE2, s’étonne que personne n’ait anticipé:

« Au moins de juin, on nous avait promis que chaque classe bilingue de l’académie aurait un professeur en langue allemande, or là, nos élèves se sont retrouvés devant quelqu’un sans formation spécifique, qui donnait les mêmes devoirs à tout le monde ou des textes à traduire du niveau secondaire. »

Des parents bientôt professeurs ?

La déraison a atteint son comble quand les parents d’élèves ont rencontré l’inspectrice du secteur jeudi dernier :

« Elle nous a même demandé si certains d’entre nous étaient prêts à occuper le poste ou si nous ne comptions pas parmi nos amis, des bonnes volontés pour venir enseigner. On en est à ce point-là ! »

Le cas du Neufeld n’est pas unique, des écoles de Reischtett et de Bischheim sont également concernées par l’absence de professeur en langue allemande. Le 2 septembre, jour de la rentrée, il en manquait déjà 13 dans le Bas-Rhin. Une pénurie qui ne risque pas de s’atténuer au fil des années puisqu’en septembre une soixantaine de classes bilingues ont ouvert, avec comme première conséquence : 777 élèves en plus dans la filière.

Or sur les 50 postes proposés en 2015 au concours de professeurs des écoles « voie régionale », censée couronner les futurs enseignants de disciplines en allemand, seuls 32 ont été pourvus. Les candidats n’étaient guère plus nombreux.

Mieux payés en Allemagne

À cette insuffisance s’ajoutent les professeurs qui ont décidé de finalement partir enseigner en Allemagne parce que c’est mieux payé, ou qui conditionnent leur affectation à la distance kilométrique depuis leur domicile, ou encore ceux qui se sentent plus à l’aise en maternelle.

C’est donc une rentrée particulièrement difficile pour l’inspection académique, réduite au « système D », comme l’admet Anita Marchal, responsable de la mission langues vivantes. Car les annonces postées sur le site de l’académie, ou encore sur celui de Pole emploi ne suffisent pas :

« Nous sommes obligés de faire appel à des contractuels, des professeurs monolingues ou des remplaçants. Dans ce cas, nous les recevons quelques heures en commission d’entretien pour tester leur niveau de langue, et pour répondre à leurs éventuelles questions. Enfin, nous essayons autant que faire se peut de leur donner une semaine d’observation dans une classe déjà en place. »

Pour arriver à cette formation express, « l’administration doit vraiment être désespérée », analyse Anne-Marie Haller, secrétaire départementale du syndicat UNSA :

« Nous avons eu vent de cas où l’entretien se résumait à un simple appel téléphonique. Un remplaçant intervenant en Zone d’intervention localisée (ZIL) nous a aussi alertés car on lui avait attribué d’office le poste en allemand, alors que ce n’était pas du tout sa spécialité. C’est sûr qu’il va falloir remettre les pendules à l’heure, surtout que les parents des enfants en classe bilingue sont souvent exigeants. »

Toute la filière est censée se développer, mais à marche forcée (Photo AF / Rue89 Strasbourg)

Des enfants qui décrochent

Le système déçoit de plus en plus de parents d’élèves justement. Patrick Bataillard, dont la fille est en CM1 à l’école du Neufeld, ne fait plus confiance aux promesses de l’Education nationale :

« Déjà l’année dernière, l’enseignement a été chaotique. Une fois que l’institutrice est partie en congé maternité, nous avons eu trois remplaçants, dont une, venue d’Allemagne, qui avait toujours eu affaire à un public adulte et n’a pas su s’adapter aux petits. C’est ridicule et malheureux pour les enfants. Je le vois bien, ma fille ne s’intéresse plus trop à l’allemand. »

Ce manque d’organisation et par ricochet d’appétence parmi les élèves a d’autres conséquences. Patrick Bataillard a pu remarquer que sur les 27 CM2 en classe bilingue sortis cette année de l’école du Neufeld, seuls 3 ont intégré une 6e bilingue. Son fils, issu de cette première promo, n’en faisait pas partie, il n’avait pas le niveau nécessaire.

Tous ces déboires confortent Anne-Marie Haller dans l’idée qu’il faut repenser le dispositif, et surtout l’évaluer, car depuis l’implantation des premières classes à la fin des années 90, cela n’a pas eu lieu :

« La filière attire de moins en moins. Les professeurs doivent inventer leurs propres outils, il n’existe par exemple pas de manuels pour enseigner la géographie en allemand. En plus, la personne doit avoir un très bon niveau en langue. »

Un affichage difficile à maintenir

Pourquoi le rectorat s’entête-il alors à ouvrir des classes s’il n’arrive pas à garantir la formation d’un nombre conséquent d’enseignants ? La syndicaliste se pose souvent la question, mais n’a toujours pas de réponse :

« C’est sûr que l’objectif est d’amener le maximum d’élèves à l’abiBac (délivrance simultanée du baccalauréat français et de la version allemande, l’Abitur), mais c’est avant tout une volonté politique. Tous les élus sont favorables à l’allemand. Mais est-ce que ça doit être une obsession pour autant ? Le bilinguisme c’est aussi une façon de faire du tri dans les écoles, ça reste une section étiquetée élitiste, je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure façon d’aller vers l’apprentissage de l’autre. »

En attendant qu’une solution globale soit apportée, chacun essaie de combler les trous à sa façon. Sophie Curtius, Patrick Bataillard et les autres parents d’élèves de classe CE2-CM1, de plus en plus remontés, ont adressé une lettre aux responsables de l’académie, les sommant de ne pas négliger ni abandonner leurs enfants inscrits en bilingue depuis la maternelle.

À l’inspection, on espère que des professeurs allemands, rentrés ce lundi, auront envie de franchir le Rhin pour transmettre leur langue à nos petits. Ils n’auront pas suivi la formation « voie régionale », tant pis, mais ils parleront allemand, il faudra peut-être s’en contenter !


#Éducation nationale

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