La philosophie de comptoir bat son plein pour suggérer l’émotion naturelle et spontanée des gens simples. Quand à la psychologie rudimentaire des personnages, elle leur colle à la peau de manière quelque fois un peu gluante.
Dans les histoires à paillettes bon marché, il n’y a ni bimbos ni botox, mais seulement des rides enduites d’un maquillage un peu grossier et des robes moulantes qui mettent en relief l’usure des corps. On n’y croise aucune star, rien que de l’humain tel qu’on le rencontre dans la rue ou à la fête de la bière.
L’ambiance de Party Girl est en apparence festive et bon enfant. Et pourtant, on perçoit très vite la tension inhérente à ces lieux où la mélancolie est comme la mauvaise musique de fond : toujours allumée en sourdine. Sous l’effet de l’alcool et des sons qui rythment l’effeuillage, les images nous parviennent en mode « 1977 » d’Instagram : rosées et délavées par un temps depuis toujours déjà fané et révolu.
L’accent est typique et les langages se mélangent. Les interlocuteurs privilégient le français pour élaborer une pensée ou un discours qui les arracherait à leur cadre, mais on sent très rapidement la force du patois reprendre le dessus. Le dialecte qui s’impose comme de lui-même devient naturellement le lieu du trivial, des passions spontanées, de la colère ou des insultes.
À la frontière entre la France et l’Allemagne, dans ce cabaret planté au milieu de nulle part, l’espoir semble avoir déserté. Tout parait condamné à la répétition, à cette linéarité qui interdit la possibilité de toute surprise et l’émergence de la moindre nouveauté.
L’histoire, l’intrigue, les drames
Angélique, reine-défraichie de la nuit, dans le déni de sa déprime de la soixantaine, devient progressivement d’autant plus fière et orgueilleuse. Elle a tendance à boire davantage et ses propos se déconnectent de la réalité qui la rattrape malgré elle : son succès n’était-il chaque fois qu’un feu de paille ? Protégeant sa dignité « d’entraineuse » par un narcissisme sur-développé, elle s’enfonce dans un égoïsme aveugle qui ne date pas d’hier. Plus jeune, Angélique avait abandonné ses enfants à eux-mêmes ou dans des familles d’accueil. Aujourd’hui sa relation avec les cadettes du cabaret et tout son entourage, devient tendue et de plus en plus agressive.
La demande en mariage que lui fait Michel la surprend. Malgré son âge, elle n’a pas forcément vu le temps passer dans cet univers coupé du monde et pétri d’irréalité. Ce cœur qui a très mal accepté de vieillir, n’imaginait pas que Le Prince Charmant ait un jour les allures d’un ancien client, bedonnant et tendre, aussi simple que bourru. Cette proposition inattendue est pourtant l’occasion de se ranger -ce qu’elle repousse de ses quatre fers- mais surtout de ramasser les morceaux éparpillés des vies qu’elles à brisées sur son parcours. En contournant savamment toutes ses failles, elle récupère avec un opportunisme un peu dérangeant, tout ce qui sera bénéfique pour redorer son blason de mère indigne.
Le « gentil » Michel, pourtant amoureux fou, n’est que le prétexte d’une réhabilitation de fortune pour cette femme au grand rire, qui n’a d’yeux que pour elle-même. Colérique, versatile et ne souffrant pas la moindre remise en question, Angélique met de l’ordre dans les mèches rebelles de son postiche, alors que sa vie toute entière n’est qu’un grand désordre. Et Michel, pas davantage que ses enfants tous là pour la soutenir, n’y pourront grand chose…
Épilogue
Party Girl est une aventure sentimentale singulière, finalement assez mal mise en valeur par l’ambiance très (trop) naturaliste du cabaret, telle que Samuel Theis et ses acolytes ont choisi de l’aborder. Ce n’est ni le tragique troublant de L’Apollonide (Bertrand Bonello – 2012), ni le sulfureux un peu violent de Dancing at the Blue Iguana (Michael Radford – 2002). La misère du cadre est une addition de trop avec le genre en définitive aussi caricatural que rudimentaire des protagonistes. L’ensemble contribue à pénaliser ce que ce scenario aurait pu avoir de réellement touchant.
Les réalisateurs de cette fiction-documentaire ont pris le parti d’affirmer le déterminisme irrémédiable des métiers de la nuit. En effet, même quand elles ne sont pas exercées dans des endroits prestigieux, ces « carrières de l’ombre » se doivent d’être vécues comme des choix délibérés. Car ce n’est certainement qu’en en les assumant avec orgueil, fierté et une forme d’aveuglement narcissique qu’elles peuvent échapper à la honte.
Party Girl, à voir à Strasbourg au Star Saint-Exupery et à l’UGC Ciné-Cité.
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