Les mercredi 29 et jeudi 30 mars, l’église protestante Saint-Guillaume de Strasbourg, dans le quartier de la Krutenau, a accueilli un spectacle de l’association Passions croisées sur le thème de la mort du Christ, mêlant chant lyrique, arts du cirque et un numéro de pole dance (des figures autour d’une barre verticale). Peu après, la paroisse a été destinataire de deux lettres contenant des menaces de mort, selon les Dernières nouvelles d’Alsace :
« Dans les enveloppes, en lettres capitales rouges sur une feuille à carreaux, il est notamment question de “décapiter les paroissiens”. Juste avant, le corbeau évoque un « cabaret » en référence au spectacle proposé. »
Choqué tout comme les responsables de la paroisse, le pasteur Daniel Boessenbacher, revient sur le sens de son engagement avec ses paroissiens en faveur de l’inclusivité des personnes LGBT et du discours interreligieux en général.
Rue89 Strasbourg : Quelles conséquences ont eu ces menaces de mort sur la vie de votre paroisse ou sur vous-même ?
Daniel Boessenbacher : Il y a déjà eu des remous lorsque mon prédécesseur Christophe Kocher a accepté de projeter L’Exorciste dans l’église en 2014 (dans le cadre d’une séance exceptionnelle du Festival du film fantastique, NDLR). Ça a aussi fait couler beaucoup d’encre mais des menaces de mort, c’est la première fois. Les responsables de la paroisse se sont demandés s’il fallait engager un service de gardiennage pendant la Semaine sainte. Finalement on ne l’a pas fait.
Avez-vous été surpris par ces menaces de mort ?
Des paroissiens m’ont dit qu’il trouvait inapproprié un spectacle de pole dance dans une église, d’autres m’ont écrit des courriers. C’est sûr que ce n’est pas habituel dans une église mais pour les menaces de mort anonymes, je ne comprends pas trop ce qui a coincé. Est-ce que c’est toute la mise en scène liée à la mort du Christ ou seulement le numéro de pole dance ? Certains ont réagi sur le mélange entre un thème religieux et une performance artistique. Auraient-ils réagi de la même manière si le seul numéro de pole dance avait eu lieu dans l’église ? Début juin, nous recevons un opéra avec chants et danses, dont du pole dance. Je ne sais pas si ça fera moins réagir parce qu’il n’y pas de thème religieux cette fois-ci…
En juin 2022, nous avions accueilli la troupe « Les 12 travelos d’Hercules ». L’église était comble et j’avais aussi reçu des courriers pour me dire que “ça ne se faisait pas dans une église”. Mais les gens ne savent pas que pour les artistes aussi, c’était étonnant de jouer dans une église… Certains ont eu des expériences négatives avec la religion. Puis, quand ils ont vu comment ça s’est passé, ils se sont dit que c’était possible. Ça a changé leur regard sur l’église. Après, je trouve que certains ont des avis un peu restrictifs. Dans la théologie protestante, l’église en tant que telle n’est pas un lieu sacré.
Est-ce que ces menaces pourraient modifier la présence de l’antenne inclusive dans la paroisse, ou sa place dans l’église ?
Il n’est pas question d’arrêter l’antenne inclusive de Saint-Guillaume, qui est assez unique. Nous avons servi de modèle pour une paroisse genevoise et une paroisse parisienne s’inspire de notre expérience. L’antenne organise surtout une réunion mensuelle, ou une conférence.
Et ce qui est important également, c’est de travailler le dialogue interreligieux. On essaye d’avoir au moins une fois par an quelqu’un issu du judaïsme et de l’islam. Nous invitons également des personnes représentant des courants ouverts parmi ces religions, comme la communauté juive libérale de Strasbourg ou du mutazilisme, une communauté où femmes et hommes peuvent prier dans la même salle et où des femmes peuvent être imams.
Depuis la création de l’antenne inclusive il y a dix ans, est-ce que vous observez une évolution des mentalités parmi vos fidèles ?
Prenons l’exemple du Mariage pour tous. Chez les protestants, le mariage n’est pas un sacrement. À partir du moment où de nouvelles personnes se sont mariées à la mairie, des couples de même sexe, la question s’est posée de la bénédiction. À l’UEPAL (Union des églises protestantes d’Alsace-Lorraine), il n’y a pas eu de consensus en 2014. D’autres églises en France ont béni des couples homosexuels. En 2019, l’UEPAL a repris la question et les bénédictions ont été acceptées. Ça montre qu’il y a une évolution.
Dans les paroisses, j’ai eu l’occasion de parler à des fidèles opposés au mariage pour les homosexuels, mais lorsqu’ils ont découvert que leur cousin était homosexuel, ils ne voyaient plus la chose de la même manière. Après, il est probable que certains fidèles soient partis de la paroisse en raison de son engagement.
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