« A la recherche du temps perdu », vu par Oxmo Puccino. L’ouvrage de Marcel Proust barré de ce bandeau d’éditeur se montre brièvement pour appuyer un peu plus encore le propos de Slow Life, ode au temps épicurien où « quelquefois gagner du temps ne vibre à rien ».
La vie est belle quand on la prend par le bon bout, quand on prend le temps de s’y balader : « Pense à l’horizon en séparant les distances […] Sors tes antennes, capte […] Respire un peu, écoute ce cœur battre ».
Brosser le tableau de cette Slow Life vient en contrepoint du mirage du star system qu’Oxmo Puccino met en lumière dans un autre morceau de son album, Star & Célébrité.
« Aujourd’hui, bien souvent, on devient célèbre pour de mauvaises raisons, c’est un peu comme une étoile filante, et être célèbre n’est plus forcément le propre des artistes. Ca concerne n’importe qui, ceux qui éclosent sur les réseaux sociaux, à la télé et ça peut devenir dangereux, surtout si on ne maîtrise pas son domaine, si on se fixe la célébrité comme unique objectif.
Là, c’est un gros problème car c’est la question de l’identité qui se pose, celle de la cellule familiale, de l’éducation, de la transmission. Aujourd’hui, quand je parle avec les jeunes, je remarque souvent qu’il n’y a plus d’échelle de valeur dans la société, on essaie de nous convaincre que le bonheur se trouve dans le matérialisme mais force est d’admettre que cela n’a jamais été vrai.
L’un des troubles qu’on connaît actuellement, c’est qu’on veut briller à tout prix, être apprécié des autres mais en oubliant un facteur essentiel : l’amour. L’amour, c’est la seule chose qu’on n’ait pas essayée aujourd’hui. Comme la poésie qui est de l’amour pur, sous forme littéraire, avec de beaux mots pour guérir les maux. Mais on ne s’en donne plus le temps aujourd’hui, tout va trop vite ! C’est pour cela que la société engendre des personnalités individualistes. Et d’après moi, cela marque la fin et les limites du capitalisme. »
« Implique-toi dans toi-même et tu trouveras ton chemin »
A 41 ans, Oxmo Puccino n’en apparaît pas pour autant blasé et désabusé. Son rap propose des solutions, des pistes d’exploration et ouvre la voie de l’optimisme à qui veut bien l’écouter ou s’en imprégner. En ouverture de son huitième album studio, La Voix Lactée, sorti en novembre 2015, le conteur lumineux propose sa vision du bonheur.
« Je suis parti de l’idée que chacun a une part de responsabilité dans son propre destin. Ce qu’on devient, on le doit à son implication, à son travail parce qu’à partir du moment où on est sur terre, on a l’obligation d’exister et on peut ainsi accomplir quelque chose. Je pense qu’on peut appréhender les obstacles qui se présentent à nous comme des étapes et non comme un mur infranchissable. Pour ça, il faut développer une certaine vision des choses mais ça pose aussi le concept du mérite, des efforts que tu vas faire, des relations sociales que tu vas nouer. Implique-toi dans toi-même, sois à ton écoute et ce sera plus simple de trouver ton chemin »
« Si on avait écouté nos textes, beaucoup de problèmes auraient pu être abordés plus tôt »
Voilà qui pose aussi la question de la place et de l’impact du rap et du rappeur dans la société. Quelle évolution le quadragénaire Oxmo observe-t-il, lui l’acteur atypique de cette scène depuis plus de 25 ans, lui qui a écrit « né le matin, majeur à midi, vieux dès 20 heures » (365 jours, album L’Arme de Paix en 2009) ?
« Je vois le rap comme le thermomètre du monde, il n’existe rien qui puisse mieux prendre la température de la société que le rap ! On n’en écoute d’ailleurs peut-être pas assez aujourd’hui, et si on avait écouté nos textes il y a déjà longtemps, beaucoup de problèmes auraient pu être abordés bien plus tôt. Les paroles des rappeurs de ma génération étaient certes abruptes, brutes de décoffrage, maladroites parfois mais elles donnaient l’alerte sur l’état de notre monde.
Le souci c’est qu’elles n’étaient comprises que comme des incitations à la violence ! Et à mon avis, aujourd’hui, l’incompréhension reste la même. Pourtant, quand j’écoute les jeunes rappeurs, je trouve plein de choses : de la violence, oui, car il y en a encore, mais beaucoup de sincérité, des sentiments à vif, de la fragilité chez beaucoup d’entre eux. Certainement parce que la pression derrière eux est très, trop importante ! Cela engendre une peur de se démarquer, d’être vraiment soi-même alors qu’ils ont toutes les qualités pour briser le moule ».
« L’échange est ma raison de vivre »
Briser les chaînes, s’affranchir des codes. Pour être soi-même ou bien surgir là où on ne l’attend pas. Artiste boulimique d’expériences et de découvertes, Oxmo Puccino vit sa vie d’artiste au pluriel en menant plusieurs projets de front. Son nouvel album, La Voix Lactée, et la tournée qui l’accompagne, mais aussi une précédente tournée en acoustique avec le guitariste Edouard Ardan et le violoncelliste Vincent Segal ou encore le superbe projet Au Pays d’Alice avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, un orchestre classique et la chorale d’enfants de la Maîtrise de Radio France.
« Je ne fais que vivre et exister, c’est tout. Et j’ai de la chance que ce soit de la musique ! Je profite des rencontres que j’ai pu faire mais ce qui me motive avant tout, c’est la scène. Je vis de ça, elle me porte. Ma vie change à chaque concert car j’estime que le plus important, c’est l’attention que l’artiste donne au public et que lui rend aussi le public.
Et puis j’accorde beaucoup d’importance au rendez-vous régulier du disque lorsque tu sors un album. Il y a de la magie là dedans, de l’émotion qui est à la fois liée à la mise nu de l’artiste et à la fébrilité de ton public qui t’attend et te découvre enfin sous un nouveau jour. C’est le moment de vérité, tu dois assumer. C’est comme un rendez-vous amoureux. Mais ce point de jonction de l’échange est une vraie raison de vivre. »
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