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Ce que l’on murmure aux oreilles des chevaux du Waldhof

Un été au club-house. – Le club-house de l’École d’Équitation du Waldhof – l’une des plus huppées de Strasbourg – est un lieu de repos et de partage. Réunis autour d’une passion commune, les cavaliers échangent de précieux conseils mais expriment aussi leurs mécontentements et leurs inquiétudes.

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Moquette au sol, nappes en tissu coloré sur les tables, grandes baies vitrées donnant sur le manège intérieur d’où l’on peut voir chevaux et cavaliers travailler, tableaux, peintures, gravures et dessins en tous genres de chevaux accrochés sur des murs en bois fraîchement peint en blanc, une collection de fer à cheval dans une valise vintage, pas de doute nous sommes bien au Relais : le club-house très cozy de l’école d’équitation du Waldhof.

Véronique, gérante du club-house Le Relais (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

Fermé durant deux ans au plus grand regret des usagers, il est redevenu un point névralgique du centre équestre de La Wantzenau. Il a fallu toute l’énergie et la motivation de Véronique David, maman de cavalière et photographe de métier, pour faire revivre ce lieu et le rendre agréable :

« J’ai fait une proposition à la ville de Strasbourg à qui appartiennent les locaux et mon projet leur a plu. Je tiens une buvette, je propose de la petite restauration rapide et un plat du jour. Je suis ouverte 5 jours dans la semaine aux horaires des reprises. »

La terrasse improvisée du club-house (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

Chiens, chevaux et cheveux

Situé au premier étage d’un grand bâtiment, seuls les chevaux ne peuvent pas monter les grands escaliers qui mènent au Relais. Les chiens, très nombreux, se courent après et viennent également se désaltérer au club-house. Un chiot renverse la gamelle d’eau mise à disposition de ces usagers à quatre pattes, mais ce n’est pas Véronique qui va s’en offusquer.

« Ce lieu est ouvert à tous. Ici, il y a quasiment autant de chiens que d’humains, car il y a peu de cavaliers sans chien. Moi aussi j’en ai un, Circus. Il vient de Roumanie, il a été sauvé par une association qui milite pour sauver les chiens des chenils roumains. »

Palefrenière, cavalière, et propriétaires réunies autour d’un verre (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

Ce samedi, c’est l’effervescence. La fille de Véronique, Léa-Marie, donne un coup de main au bar tandis que son petit frère joue aux jeux vidéo sur une tablette. Marie-Aude, une propriétaire surnommée maître Yoda, connue pour ses réflexions décalées et son franc parler s’installe au bar et discute avec une jeune palefrenière.

Au même moment, une femme qui semble plus inquiète pour les chevaux que pour leurs propriétaires, passe la tête par la porte et lance à la volée, sans ménagement et sur un air de reproche :

« Ton cheval galope dans le pré. Il doit être énervé par les moustiques »

Véro, comme l’appellent les habitués, est occupée à couper la frange de Sylvie, une coach de dressage. Toujours prête à rendre service, elle s’est improvisée coiffeuse pour libérer Sylvie de sa mèche rebelle avant son cours.

À la recherche du nouveau directeur

Dans tout ce tumulte, une question revient sur toutes les lèvres :

« Quelqu’un a-t-il vu le nouveau directeur ? »

Il doit prendre ses fonctions bientôt et serait de passage au club. La rumeur se repend comme une traînée de poudre. Le club équestre, géré sous forme associative, n’a plus eu de directeur depuis des années. Il est donc très attendu. On se questionne, on échange de rares informations. Son nom, Thierry Bonno circule, mais on ne le verra pas au club-house. Faute à la mésentente entre le président du centre équestre, Yves Tazelmati, et Véronique.

Ce samedi là, comme quasiment tous les jours depuis des années, Jacques Nicquet, est de passage. Devenu une légende vivante, le propriétaire de la jument Juvénile, enseigne bénévolement. Il rejoint son ami Patrick, et s’installe sur un des tabourets du bar :

« Je travaille pour le club depuis que je suis retraité, plutôt que de m’ennuyer chez moi. Je viens souvent le dimanche, je m’occupe des débutants, mais j’en ai un peu marre. Aujourd’hui, on demande aux moniteurs d’être des animateurs, plus des instructeurs. Et du côté des cavaliers règne le culte de l’immodestie. »

Patrick Poli, l’ex-cavalier le plus élégant du Waldhof (photo LL/ Rue89 Strasbourg/ cc)

La grande époque du Waldhof est révolue

Dignement installé au bar, Patrick, élégant dans sa rutilante chemise blanche, 35 ans d’équitation derrière lui, sirote une menthe à l’eau  et abonde dans le sens de Jacques :

« J’ai une grande idée de l’équitation. Je garde un souvenir napoléonien de mon passage à cheval. Malheureusement, l’équitation est tombée dans le domaine du loisir de masse. La FFE (Fédération Française d’Équitation) a mis en avant des disciplines comme le pony games. Les gens sont bercés dans l’illusion extraordinaire qu’ils savent monter à cheval. L’équitation devrait rester une école, pas un amusement. »

Le cavalier le plus élégant du club, toujours chaussé de belles bottes de cuir noir ciré et vêtu d’une redingote pour monter à cheval, a raccroché ses éperons il y a quelques années déjà. Il demeure un des piliers du club-house, incapable de se passer de la présence des chevaux.

L’ombre des heures sombres du club plane toujours

Autour d’une boisson fraîche – il fait très chaud ce jour-là – les deux compères Patrick et Jacques discutent chevaux mais aussi gestion. Le Comité directeur élu fin 2015 a de nombreux détracteurs, et son président est très critiqué au comptoir, même si la décision d’embaucher un directeur fait l’unanimité. L’angoisse provoquée par les mauvais souvenirs d’un club en déroute sont encore très présents dans les esprits.

2012, l’année noire, n’est pas si loin. L’association, alors sous la présidence de Patrick Mondejar, déposait le bilan à cause d’une dette de près d’un million d’euros. À l’époque, Jacques avait demandé le redressement judiciaire avant de succéder un temps à la présidence du club.

Marc et sa femme continuent de venir régulièrement déjeuner au club-house (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

À l’heure du déjeuner

Amar, palefrenier depuis 2001, mange quotidiennement sur place. Pratique et pas cher. À la table d’à côté, un couple d’habitués continue de déjeuner au club alors que leur fille ne monte plus ici. Sur les larges escaliers métalliques qui tiennent lieu de terrasse, et dans le restaurant, des cavaliers s’installent avec un sandwich tiré du sac. Le papa d’une cavalière discute avec Véro en attendant la fin de la leçon :

« On a l’impression d’être en famille ici. Véro est toujours là pour nos enfants. Souvent le mercredi, ils font même leurs devoirs ici. C’est lieu indispensable où tout le monde se retrouve. Les leçons d’équitation durent longtemps, si j’avais dû attendre deux heures dans le froid en hiver, je n’aurais certainement pas inscrit ma fille ici. »

Devant lui, sur le bar, quelques pages imprimées sont à disposition pour présenter les Hugogo. Une association pour les chevaux du club mis à la retraite au pré. La cagnotte destinée aux dons a disparu du bar car Véronique a constaté qu’elle restait vide.

« Elle était posée là, mais peu de personnes pensaient à faire des dons. J’ai donc décidé de mettre mes pourboires de côté pour l’association. Depuis que les cavaliers savent que je fais ça, ils laissent un peu plus de pourboire, et on arrive à récolter une centaine d’euros par mois. »

Léa-Marie et son jeune cheval Nadir (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

Échanges de bons procédés à la veille des vacances

Plus tard ce sont trois employés d’une ferme de la Wantzenau qui se désaltèrent après avoir déchargé des bottes de foin, tandis que des propriétaires échangent leurs numéros et notent les dernières consignes avant leur départ en vacances :

« Je suis rassurée de savoir que d’autres propriétaires veillent sur mon cheval en mon absence, qu’elles vont vérifier l’eau et qu’en cas d’urgence elles pourront tout de suite appeler le vétérinaire. Hier soir, mon fils de 11 ans était en larmes. Il s’inquiète de laisser son poney seul pendant les vacances car l’année dernière nous avons failli le perdre à cause d’une colique. »

Isabelle, propriétaire de Fürst Piccolo, en pension ici depuis quelques mois seulement a déjà noué de nombreux liens avec d’autres cavaliers avec qui elle échange de bons conseils équestres :

« Lorsqu’on s’occupe de son cheval on n’a pas le temps de discuter. On est concentré sur son cheval. C’est un atout de l’équitation, ce sport permet de se couper de ce monde hyper connecté. Au club-house on réapprend à parler, c’est un lieu qui permet de recréer du lien dans notre société de plus en plus individualiste. »

Chloé et sa famille (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

L’équitation réservé à une autre classe sociale

Malgré tout, monter au club-house n’est pas une évidence pour tous. Dans la cour, au milieu des écuries, la mamie de Chloé ne se sent pas à son aise :

« J’aide ma fille qui s’occupe seule de ses deux enfants. D’habitude, je les accompagne au judo ou au foot. J’ai l’impression qu’ici c’est un peu plus snob. On n’est pas de la même classe sociale. »

Chloé, 7 ans, rêve de pratiquer l’équitation. Accompagnée de toute sa famille : sa maman, son frère, sa tante, et sa mamie, elle est venue faire ses trois leçons d’essai qu’elle a reçu en cadeau de Noël.

« La leçon de poney était très très très (répété à minima neuf fois) bien. »

Sa maman trouve que le prix des leçons est raisonnable, mais l’organisation nécessaire pour se rendre en transport en commun de Schiltigheim à la Wantzenau reste un frein à l’inscription de sa fille.

Le retour du championnat de France de Lamotte (photo LL / Rue89 Strasbourg / cc)

Retour du championnat de France

Au début d’après-midi, des fenêtres du club-house, on aperçoit le camion qui revient du championnat de France d’équitation de Lamotte. Les jeunes cavalières déchargent leurs affaires. L’une d’elle présente avec fierté sa nouvelle selle surnommée « bébé cuir » à ses amies.

Les six cavalières, leurs six poneys, leur monitrice et deux parents accompagnateurs sont épuisés après huit jours de compétition. Coralie, monitrice d’équitation, est ravie de cette première sortie à Lamotte :

« Les parents ont vraiment joué le jeu. Ils se sont relayés pour soutenir leurs enfants mais aussi gérer les repas. C’est aussi un investissement financier. Sur place, tout est plus cher : la paille, le foin. Il faut loger cavaliers et chevaux. Louer un poney si l’on ne possède pas le sien. Il faut compter un budget d’au moins 1 300 € par cavalier. »

Les cavalières après huit jours de compétition (photo LL/ Rue89 Strasbourg / cc)

Pas de podiums pour les filles, mais des flots et surtout une très belle expérience.


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