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Opposés à la vaccination obligatoire, les soignants suspendus en errance administrative

Plusieurs dizaines de soignants suspendus ont manifesté dans la soirée du 4 novembre. Au-delà de la vaccination obligatoire, ils dénoncent une politique qui les précarise en les privant de salaire, mais aussi d’allocations chômage, et, en Alsace, sans réponse claire sur leur droit au RSA promis par le gouvernement.

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Une trentaine de personnes tout de blanc vêtues se tiennent autour de la statue du général Kléber. Jeudi 4 novembre, vers 17 heures, une enceinte diffuse une mélodie grave, presque effrayante. Sur le dos de certaines blouses, une pancarte ou quelques lettres au feutre noir indiquent : « Soignant suspendu ». Les manifestants restent silencieux. Autour, des passants s’arrêtent, curieux. Certains filment et s’en vont. Ils sont parfois rattrapés par un homme qui distribue des tracts explicitant le message de la performance :

« Soignants suspendus sans salaire. Quelle est notre situation ? Pas de salaire, pas d’indemnités chômage, pas d’indemnités maladie ni d’aide d’urgence possible. »

Sur le dos de certaines, une pancarte ou quelques lettres au feutre noir indiquent : « Soignant suspendu ».

« Je refuse de céder à ce chantage à l’emploi »

Le groupe quitte la place Kléber en file indienne. Sur des roulettes, l’enceinte continue de produire une mélodie pesante. Au niveau des Galeries Lafayette, Les notes de Gnossiennes, d’Erik Satie. La nuit tombe sur la ville. Il est 17 heures passé. La lumière bleue des gyrophares policiers éclaire par intermittence les masques blancs des manifestants. L’une d’eux porte une feuille plastifiée où l’on peut lire « Secrétaire médicale suspendue ». Salariée du Nouvel Hôpital Civil (NHC), Christine (le prénom a été modifié) attend de pouvoir réintégrer l’hôpital :

« C’est irresponsable de suspendre des gens qui veulent travailler quand l’hôpital manque de personnel. L’an dernier, on nous applaudissait et maintenant, on nous suspend. Je refuse de céder à ce chantage à l’emploi, d’autant que je ne suis même pas en contact avec la patientèle. »

« Je refuse de céder à ce chantage à l’emploi, d’autant que je ne suis même pas en contact avec la patientèle. »

« Je vis au jour le jour »

Pour tenir financièrement, Christine compte sur ses économies et le « maigre salaire » de son mari. Mais à quelques pas, la situation de Manon (le prénom a été modifié) est bien plus compliquée. Célibataire et mère de trois enfants, la soignante des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) n’a pas été suspendue le 15 septembre, mais le 27, à son retour d’un arrêt maladie. Il a suffit d’un salaire en moins, en octobre, pour plonger le foyer dans la précarité. « Sans rentrée d’argent, c’est la galère, explique-t-elle, je vis au jour le jour, parfois je vais aux Restos du cœur. Avec le collectif Soignants 67, on essaye de monter une banque alimentaire. Une personne suspendue nous a prêté un local dans son garage. On va bientôt commencer les collectes auprès de ceux qui nous soutiennent. »

« Je ne suis toujours pas fixée »

Le 28 octobre, Manon a fait une demande de Revenu de solidarité active (RSA). Le gouvernement a promis l’accès à cette aide pour les soignants suspendus. Mais la promesse tarde à se concrétiser. Premier obstacle : le portail de la Caisse d’allocations familiales (CAF) n’a pas encore été adapté pour les infirmières, aides-soignantes et autres secrétaires médicales qui refusent le vaccin :

« Sur le site internet de la CAF, j’ai dû inscrire mon salaire de juillet, août et septembre. Donc logiquement, je n’aurai pas le droit à cette aide (qui implique d’être sans activité depuis plusieurs mois, NDLR). Mais ma conseillère m’a conseillé d’écrire un mail, il semblerait qu’une procédure spéciale soit bientôt créée. En tout cas, je ne suis toujours pas fixée alors qu’une réponse sous 48 heures est promise… »

Pour Manon, il est clair qu’elle ne sera pas licenciée, « au moins j’aurais pu avoir droit au chômage, mais la direction ne le fera pas, parce qu’ils savent qu’à l’hôpital public, c’est à l’employeur de me financer l’indemnité. » À quelques pas, le manège de la place Gutenberg tourne et deux personnes comptent l’argent d’un petit seau blanc. La caisse de soutien aux soignants suspendus contient une cinquantaine d’euros.

« Quelque soit le l’interlocuteur, l’Agence régionale de santé (ARS), Pôle Emploi, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) ou la CAF… Comme notre situation est inédite, personne n’a de réponse. »

« Notre situation est inédite, personne n’a de réponse »

Coordinatrice du collectif Soignants 67, Sandra (le prénom a été modifié) se désole de la situation des soignants suspendus : « Quelque soit le l’interlocuteur, l’Agence Régionale de Santé (ARS), Pôle Emploi, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ou la CAF… Comme notre situation est inédite, personne n’a de réponse. »

Contacté par téléphone, le secrétaire général du syndicat CGT des HUS relevait 100 soignants de l’établissement public strasbourgeois suspendus au 4 novembre. Pierre Wach affirme que les demandes de démission ne devraient pas être refusées par la direction de l’hôpital : « Il en a d’ailleurs déjà acceptées cette semaine », assure le syndicaliste.

Collectivité européenne d’Alsace : « Nous allons apprécier ces situations au cas par cas. »

Le ministère des Solidarités et de la Santé a déjà assuré qu’un salarié suspendu doit pouvoir bénéficier de minima sociaux, dont le RSA. Sauf que cette aide relève de la compétence des Départements. Or, le 30 octobre, 15 présidents de conseils départementaux à majorité socialiste ont écrit au gouvernement pour refuser de financer le RSA pour les soignants suspendus : « Que le gouvernement assume jusqu’au bout et qu’il ne demande pas au département de financer les pertes de ressources des personnes qui ne sont pas vaccinées », justifie par exemple Xavier Fortinon, le président des Landes auprès de France Bleu.

Interrogée sur ce sujet, la Collectivité européenne d’Alsace nous a fait une réponse sans engagement clair :

« Le RSA n’est pas une allocation versée sans contrepartie. Il s’agit d’une allocation différentielle, faisant l’objet d’un accompagnement du bénéficiaire, formalisé par la signature d’un contrat d’engagement réciproque avec la collectivité. Les Départements étant totalement souverains pour apprécier les situations individuelles, nous allons apprécier ces situations au cas par cas. »


#collectivité européenne d'Alsace

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