Ouverte au public en 2010 à Strasbourg, la Maison Mimir a été pour la jeunesse de l’époque un haut lieu de sorties marqué par les fêtes et les événements culturels alternatifs, mais aussi un espace refuge pour les plus précaires. Après la régularisation du squat par la mairie en 2013, l’équipe s’est résolue à fermer les lieux au public en 2015, débordée par son succès et décidée à mettre aux normes le bâtiment.
S’en est suivi un long chantier de rénovation de deux ans, qui a permis de rouvrir le rez-de-chaussée aux événements, mais qui continue encore aujourd’hui dans les étages. L’une des Mimiriennes, Ophélie Meyer, a mené entre 2015 et 2018 une étude ethnologique sur cette aventure humaine et vient de sortir un livre, Les Petits riens d’une société en mouvement – Maison Mimir, espace social autogéré. Interview.
Rue89 Strasbourg : On imagine plutôt l’ethnologie dans une contrée à l’autre bout du monde, comment en êtes-vous arrivée à étudier les Mimiriens à Strasbourg ?
Ophélie Meyer : Ça a été un long processus. J’ai mis les pied pour la première fois à la Maison Mimir en 2011. J’y venais pour assister à des concerts et voir les copains. L’ambiance était festive. J’étais à l’époque étudiante à la faculté d’ethnologie de l’Université de Strasbourg. En 2015, à mon retour d’un voyage d’études au Congo, j’ai commencé à m’investir. La Maison n’était plus un squat. Après sa régularisation en 2013, plein de gens engagés étaient partis. Ils avaient gagné un combat, mais un autre commençait.
La Maison venait de fermer et revoyait son projet. Après l’effervescence, il y avait autre chose à créer. L’équipe entamait des travaux. Il y avait du travail. J’ai été invitée à une assemblée générale et je me suis inscrite dans des commissions. Je travaillais à Strasbourg pour financer la suite de mes études. Je devais donc trouver un sujet de mémoire ici. Alors je me suis dit qu’il y avait matière à faire de l’ethnologie urbaine.
Mon implication entrait dans la méthodologie de l’observation participante, du « faire avec » : tu vis ton terrain dans le corps et tu écris tes notes le soir. Je posais des questions. Je faisais des temps d’observation thème par thème, par exemple sur le chantier de fabrication des meubles de la bagagerie pour les personnes sans-abris.
« Un entre-soi et en même temps le groupe t’accueille »
J’ai rencontré très peu de méfiance. Les gens que je cite dans mon livre n’ont même pas souhaité être anonymisés. Je suis restée investie dans le collectif jusqu’en 2018. Après mon mémoire, l’idée d’en faire un bouquin est venue. En tout, ce travail s’étale sur sept ans.
Comment vous décririez votre objet d’étude ?
Je parlerais d’une micro-société un peu protégée. J’ai eu l’impression d’entrer dans une famille. Il y a un entre-soi et en même temps le groupe t’accueille. On le rejoint par de la cooptation. C’est à la fois très ouvert et aussi fermé, mais avec des gens qui viennent tous de l’extérieur. La Maison Mimir fonctionnait, et fonctionne encore, sur le principe de l’auto-gestion. On gère tous ce qu’il y a à faire par soi-même, en acceptant que ça puisse prendre plus de temps qu’avec des services extérieurs. On avance sans chef, avec les envies de chacun et de manière horizontale.
L’idée était de retaper une maison avec des gens qui ne savent pas forcément le faire. Durant cette période de fermeture au public, la Maison Mimir était dans un temps de rénovation mais aussi dans un temps d’accueil, avec des couchettes à l’étage pour accueillir jusqu’à quinze personnes parfois dans l’urgence. Il y avait aussi le « barakawa », une petite buvette quotidienne pour les passants. Le contrat social était tacite. Les membres se sont finalement entendus sur une charte écrite : « La raison d’être de la maison. »
Ce texte fixait des principes d’ouverture, de non-discrimination et une approche a-partisane. On ne fait pas de politique chez Mimir. Les prix sont libres : chacun donne ce qu’il peut et ce qu’il veut. Beaucoup de personnes venaient de la classe moyenne et se questionnaient car ils ne trouvaient pas leur compte dans notre société. Ils avaient envie d’un autre monde que celui qu’on nous proposait, après s’être confrontés à des institutions qui les bridaient. Ils n’étaient pas dans la transgression, mais plutôt dans la subversion. Mais on comptait aussi des personnes à la rue dans la collégiale, l’organe de gouvernance de l’association. Des sans-papiers aussi ont géré le quotidien.
Boeuf-bouffe et bagagerie, incarnation du « fais toi-même »
On ne faisait vraiment pas de politique à la Maison Mimir ?
On ne faisait pas de politique, mais on ne faisait que ça ! On n’était pas partisan. Beaucoup ne voulaient pas entendre parler de partis politiques. On ne collait aucune affiche, même de gauche. Mais on vivait politique. On était dans un truc social. On n’était pas là pour capitaliser. On était dans la dynamique de faire avec peu, mais faire quand même. On appliquait la simplicité volontaire : le « fais toi-même ». Je pense aux fameux bœuf-bouffe qui se tenaient tous les mercredis soir : cuisine à partir d’ingrédients récupérés le matin, pas d’alcool. Un bon gros repas avec zéro argent et une effervescence qui se crée. Les gens jouent de la musique, même s’ils ne sont pas musiciens : c’était la cacophonie !
Pour le projet de bagagerie, nous n’avions pas les moyens d’acheter des meubles. Ce n’était que de la récup’ et du bricolage. Du coup, on avançait beaucoup plus lentement, en fonction des moyens humains et financiers. Ça demandait du temps à tous ceux qui s’investissaient.
Au-delà du temps, quels sont les autres coûts d’un tel engagement ?
L’autogestion en permanence, c’est terrible. Il s’agit toujours de trouver le juste milieu entre l’individu singulier et le collectif. Cela questionne l’engagement. Tu es attendu tout le temps par le groupe. Il y a tout le temps des demandes. Et puis c’est pas évident de s’accueillir. Maintenant, il y a des formations pour ça…
« Une école du travail avec la précarité »
C’est aussi une école du travail avec la précarité. Un tel projet rassemble des gens plein de bonnes intentions, mais c’est aussi la porte ouverte à des personnes qui, sous couvert d’une casquette anarchiste, viennent titiller ce que tu essaies de construire. C’est le collectif qui est là pour dire stop. Dans un tel moment, on le voit soudé. On a rarement porté plainte contre quelqu’un.
Comment se dessinent les rapports de pouvoir dans ce fonctionnement horizontal ?
À partir de 2017, un collège de dix co-présidentes et co-présidents a été mis en place, qui permettait de questionner des endroits qui ne l’étaient plus. Mais c’est l’assemblée générale qui prenait les décisions, pas le bureau de l’association. Tout le monde avait son mot à dire. Même si on ne veut pas de hiérarchie en étant horizontal, d’autres rapports de pouvoir se révèlent.
« Les hommes prennent beaucoup plus la parole »
Il y a ceux qui ont la capacité de parler et ceux qui ne parlent pas. C’est vrai que les hommes prennent beaucoup plus la parole. Il y a la rétention d’information. Il y a la force physique de celui qui peut en faire plus que d’autres, et donc une sorte de pouvoir par le mérite, et aussi basée sur le rapport à l’ancienneté. Et puis il y a ceux qui ont le trousseau de clés…
Qu’est-ce qui permet à un tel collectif de rester soudé dans le temps ?
Les moments conviviaux, les repas surtout, et l’humour sont essentiels. Entretenir des rapports humains légers aide à prendre du recul dans les moments difficiles qui peuvent alors devenir des moments hyper-soudants. On était dans le lien de plaisanterie, avec une large place aussi pour la fantaisie et l’imagination, par exemple la cabane ou les tags dans la cour. Un enfant, ça joue avec un bâton et c’est content. C’est un peu ça Mimir. Et il y avait la fête, comme moment où l’on s’autorise à rêver.
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