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A l’Opéra : « Le Roi Arthus », un beau drame sur la trahison d’un ami

Du 14 au 25 mars, l’Opéra national du Rhin convoque de façon lyrique le compositeur Ernest Chausson sur ses tréteaux historiques. Ernest Chausson, dont c’est l’unique opéra écrit de 1886 à 1895, a rendu hexagonal un drame britannique. Une longue gestation qui est plus que centenaire, et dont nous avons le résultat devant nous, au sein de ce temple à l’acoustique idéale qu’est l’Opéra du Rhin.

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Ernest Chausson, dans son unique opéra, fait d’Arthus un héros déchu, terriblement romantique. (Alain Kaiser / Opéra National du Rhin)


Comment fait-on pour insuffler du « Made in France » dans l’âme d’un drame anglo-saxon ? Un problème musical de premier ordre qui fut posé à Ernest Chausson (1855-1899) lorsqu’il décida jadis de composer cette ode à la gloire du Monarque déchu du sceau de la fidélité. Il est amusant de constater à quel point Chausson dépeint la figure royale comme une figure respectable, s’élevant au-dessus des lois parfois injustes de l’amour dans le code civil de nos vies.

Créé pour la première fois au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles en 1903, les différents actes (3 au total) de l’opéra se situent dans un contexte qui laisse paraître une première guerre mondiale prémonitoire dont Ernest Chausson a vite dessiné les contours. L’Opéra s’ouvre sur un acte présentant Arthus triomphant, l’épée brandie, fêtant une victoire héroïque au nom de sa Bretagne chérie. Sous les hourras de ses généraux, Arthus en profita pour apporter une note individuelle à la fête, se tournant fièrement vers son fils spirituel, Lancelot, qui, fier, assuma le regard d’un roi. Lancelot, Excalibor (l’épée qui a adoubé Arthus à jamais) et Arthus lui-même formèrent le triumvirat vaillant d’un bonheur sacré.

La naissance de la haine

Dans un coin, Mordred rumina presque seul une aigre jalousie : n’a-t-il pas ferraillé aux côtés des 3 stars guerrières ? Sans compter qu’il sentait dans son dos le regard empreint d’amour d’une reine Genièvre qui n’avait d’yeux que pour un Lancelot lumineux. Une Genièvre qui continuait d’entreprendre un lent travail de séduction sur le corps sensible d’un Lancelot déjà dépeint par Chrétien de Troyes comme un chevalier solide, mais au coeur si délicat. Mordred, jaloux d’un couple adultérin dont il essayait sans cesse de surprendre les ébats, arriva à troubler profondément cet équilibre amoureux. Oui, chanter fort un amour vif ne pouvait qu’appeler un Mordred qui n’attendait que cela. Surpris, les tourtereaux antiques prirent la fuite. Il faut tout de même noter que le chant commun des deux amoureux était entouré sémantiquement du joli champ lexical de la grâce !

En fuite, donc, Genièvre, dans un décor approximatif fait de bombes et d’échelles métalliques (mon voisin m’a susurré à l’oreille que c’était « n’importe quoi »), supplia Lancelot d’assumer un adultère compliqué et de mentir auprès d’un Arthus cherchant aveuglément une promesse d’amour disparue. Lancelot se questionne : que faut-il faire ? Tout avouer ? Mentir ? Fuir ? Se tuer ? Non car, répondant seul à toutes ses craintes, le chevalier numéro 1 de la table ronde prit la décision de prendre Genièvre par la main et de fuir, transformant ainsi leur couple en Bonnie and Clyde sans le grand banditisme. Seule ombre au tableau, la tournure que prend cette fuite sent la mièvrerie sentimentale à plein nez : on aimerait y voir un danger, un halètement dans le rythme, alors qu’en fait l’ambiance générale est prévisible.

Un dénouement trop hâtif

La suite, hélas, est beaucoup trop rapide : les trois heures de ferveur, de langueur de l’Opéra se transforment en succession de saynètes où l’opérette remplace l’Opéra. Pour cause : Arthus, cherchant Genièvre et Lancelot et ne voulant pas croire aux objurgations de vengeance de ses chevaliers, demande l’aide d’un Merlin ressemblant plus à un spin-doctor écolo et vaguement comique qu’à un mage antique. Le sentiment de tristesse et de solitude du roi Arthus n’est pas assez poussé : les retranchements d’un monarque furent loin d’être explorés.

On aurait aimé voir la bataille finale, comme dans les contes de nos jeunesses, entre un Lancelot protecteur et un Arthus vengeur, il n’en fut rien. La guerre fratricide n’eut pas lieu, on entendait au loin quelques bruits de ferraillements qui nous ont plongés dans un ennui frustrant. Lancelot, quittant définitivement une Genièvre qui a pris soin de nouer ses cheveux autour de son cou pour se suicider, partit de manière coupable se jeter stupidement, sans armes, dans une bataille dont tous les spectateurs ont ignoré la teneur et la raison.

Ces mêmes spectateurs qui sont restés, pour la plupart, sur leur faim. Cette version contemporaine d’un conte légendaire qui a traversé si finement les âges dans un transport sublime a manqué sa promesse de nous emmener dans un long voyage à travers l’Histoire.

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