Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« On est des geeks, pas des délinquants ! »

À la barre. – Il y a les multi-récidivistes, habitués des prétoires et des condamnations, et ceux qui ne savent pas trop ce qu’ils font là, devant la 7ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Strasbourg. C’était le cas de deux passionnés de jeux vidéos, accusés d’escroquerie au Cash Express de Schweighouse-sur-Moder, où ils travaillaient au service achats.

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Ils sont quatre à comparaître ce jeudi-là, quatre jeunes hommes âgés de 24 à 29 ans. Ils n’ont pas tous joué le même rôle dans ce « réseau » que la gendarmerie a rapidement démonté au premier trimestre 2016, après quelques interrogatoires et SMS récupérés.

Le « dur » de la bande, un agent de sécurité aux yeux baissés et rougis

D’un côté, il y a Christophe K., Lorrain de 29 ans, le crâne blond quasi-rasé, les yeux baissés et rougis, vêtu d’une chemise à carreaux, de jeans trop larges et de lourdes chaussures noires. Père de deux enfants et « soutien de famille », l’homme a longtemps travaillé dans l’industrie, après un CAP boucherie. Il comparaît pour avoir volé 13 tablettes informatiques, alors qu’il était agent de sécurité chez Auchan, dans la galerie commerçante de Schweighouse-sur-Moder, à côté de Haguenau. Déjà condamné plusieurs fois pour vol ou usage de produits stupéfiants (un joint), quand il était mineur ou tout jeune adulte, c’est le « dur » de la bande.

À ses côtés, Alexis S., 24 ans, a tout du dandy de galerie marchande : baskets Converse aux lacets violets, pantalon chino, chemise, veste et gilet de costume près du corps, cravate et boucles d’oreilles. Lui travaillait au moment des faits chez Micromania, un magasin de jeux vidéos situé juste en face du Auchan. Ce qu’on lui reproche : avoir écoulé plusieurs des tablettes volées chez Auchan par Christophe K. dans un troisième magasin de la même galerie commerçante, Cash Express, une enseigne de reprise et revente d’appareils.

Des prix de rachat de consoles gonflés pour récupérer des jeux

Viennent ensuite Said S. et Soufian L., employés par Cash Express. Ils ont racheté les tablettes mais ce n’est pas ce qui leur est reproché par le tribunal. Ils sont en fait accusés d’une toute autre petite escroquerie, découverte à l’occasion de l’affaire des tablettes : pendant quelques mois, ils ont gonflé les prix de reprise de consoles pour se garder sous le coude quelques jeux d’importation rares. Âgés de 28 ans, les deux jeunes hommes portent des pantalons de toiles larges, des sweat-shirts gris et noir, et une certaine naïveté sur le visage. Alors que Christophe K. et Alexis S. comparaissent assistés chacun d’une avocate, Saïd et Soufian sont seuls.

On reprend du début. L’affaire commence en février 2016 par une plainte du supermarché Auchan contre son agent de sécurité, qui vient de se faire pincer en train de voler une « tablette multimédia », repérée par une caissière dans l’un de ses cabas. Ce que la caissière ne sait pas, c’est que Christophe K. n’est pas en train de voler une mais trois tablettes, dont deux qu’il confie, dans la panique, à Alexis S., dans le magasin d’en face, Micromania.

« Sous les packs d’eau, les tablettes ne sonnent pas »

Une enquête démarre et, très vite, les gendarmes se rendent compte que ce vol n’est pas une première : des jeux vidéos, divers objets (comme un peignoir) et 10 tablettes ont déjà disparu chez Auchan, « passées sous des packs d’eau pour que ça ne sonne pas ». Christophe K. assure : « C’est un truc qu’un collègue m’a montré dès mon premier jour à Auchan », une astuce qui fonctionne surtout pour les caisses automatiques, où l’on scanne soi-même ses achats.

En 6 mois environ, le jeune homme se fait rembourser certains produits sans ticket de caisse. Sur les 13 tablettes volées, promet-t-il, il en offre huit en cadeau à la famille et aux amis et deux sont écoulées par Alexis S., qui joue les intermédiaires avec Cash Express, où il revend les objets volés. Le premier aurait pu gagner au maximum 6 000€ à la revente, d’après l’enseigne Auchan, quand le second n’aurait encaissé que 50€, ayant reversé le reste de sa part dans le fonds de caisse de Micromania.

Des jeux pour la console XBox de Microsoft (Photo MHeinzel / FlickR / cc)

« Je créditais la carte de fidélité de ma femme pour pas que les points se perdent »

En creusant un peu, les gendarmes découvrent des manœuvres pas très claires, chez Micromania comme chez Cash Express. Alexis S. explique :

« Chez Micromania, on scanne des magazines au lieu de scanner des jeux du même montant, on remet des trucs en rayon pour faire plus de volume, gonfler les statistiques du magasin… On est formé à ça par le gérant [ndlr, qui n’était pas à l’audience]. Comme lui, j’ai créé une carte de fidélité au nom de ma femme et quand des clients ne voulaient pas de carte de fidélité, des Allemands par exemple, je créditais cette carte pour pas que les points se perdent. »

Le jeune homme encaisse ainsi environ 500€ de bons d’achat en 6 mois – une arnaque qui lui est reprochée par le tribunal. De leur côté, chez Cash Express, Said S. et Soufian L. rachetaient des consoles au prix fort (« pour ne pas léser les clients ») afin de conserver pour eux-mêmes des jeux en langues étrangères que le magasin ne reprenait pas. Soufian L., plus à l’aise que son ami, raconte :

« On est des collectionneurs ! Moi, par exemple, je suis fan de jeux japonais. En rachetant une console et des jeux au prix maximum de reprise de la console seule, on a pu récupérer des jeux pour nous que le magasin ne rachète pas normalement. On n’a pas le droit de racheter nous-mêmes directement un jeu, c’est interdit dans notre contrat… Et cette pratique existait déjà avant notre arrivée ! »

« Au service achats, on est sur un siège éjectable »

Les deux jeunes hommes, diplômés en informatique, n’ont pas toujours été au service achats – « un siège éjectable avant de se faire virer », note Said S., amer. Ils y ressentent une pression importante. C’est encore Soufian L. qui dénonce :

« Ce sont les acheteurs – nous – qui sont responsables si un produit est défectueux, même 3 jours ou 3 mois plus tard… On n’a pas de retenue sur salaire, mais on nous refuse des primes s’il y a trop de retours. Alors, pour ne pas trop se faire engueuler, on a réparé des ordinateurs et on les a remis en rayon. »

Un fait également montré du doigt par la justice. Et pourtant, les deux jeunes n’encaissent pas un centime pour eux-mêmes, ni dans cette histoire de rebuts remis en rayon, ni dans celle des tablettes. « On ne savait même pas qu’elles étaient volées… » Seulement quelques jeux récupérés sous le manteau. « Des objets ont été surcotés, et puis, parce qu’ils étaient invendables, leur prix a été diminué au détriment de Cash Express, accuse l’avocate de leur employeur. « Question d’image » aussi, plaide-t-elle.

« Une officine de détention d’objets d’origine plus ou moins frauduleuse »

L’image de Cash Express, la représentante du ministère public n’en fait qu’une bouchée : « Une officine de détention d’objets d’origine plus ou moins frauduleuse », juge-t-elle, pour qui les responsables de « ce joli petit trafic » doivent tous être sanctionnés. « Monsieur K. n’est pas la tête pensante d’un réseau, défend son avocate, il a juste voulu mettre du beurre dans les épinards. » Rejointe par Said S. qui lance comme un appel à l’aide : « On est des geeks, on passe notre temps à jouer ! On a des diplômes, on est pas des délinquants ! »

Tous sont condamnés à du « sursis simple », une peine de prison qui ne sera pas effectuée, à moins que l’un d’eux ne soit à nouveau condamné dans les 5 ans : Christophe K. à 6 mois pour vol, Alexis S. à 4 mois, Said S. et Soufian L. à 3 mois, pour escroquerie. Ils ont tous perdu leur emploi.


#Justice

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