Ils ont voté à l’unanimité, en quelques heures, le vendredi 5 mars. Les 51 élèves des promotions 46 et 47 de l’École supérieure d’art dramatique ont décidé d’occuper le Théâtre National de Strasbourg quelques jours plus tard. Une décision prise suite à l’occupation du Théâtre national de l’Odéon à Paris, par une cinquantaine d’intermittents du spectacle le jeudi 4 mars. Strasbourg est l’un des trois théâtres nationaux à être occupé avec le Théâtre de la Colline à Paris.
« Nous nous sommes battus pour intégrer cette école »
Selon Carla, étudiante en deuxième année de l’École supérieure d’art dramatique, ce mouvement « fait écho à celui du théâtre national de l’Odéon à Paris ». Les étudiants du TNS se sont d’ailleurs rendus, samedi 6 mars, sur place pour s’inspirer de l’organisation des artistes occupant le théâtre de l’Odéon.
« Nous avons vu comment ils se ravitaillaient, notamment grâce à une équipe extérieure, comment ils avaient structuré leur mouvement et nous avons communiqué ces informations aux autres étudiants à Strasbourg pour élargir cette action initiée par le théâtre de l’Odéon. C’est important que ça ne reste pas un mouvement d’entre-soi à Paris ».
Carla, étudiante en 2e année à l’École supérieure d’art dramatique du TNS.
La jeune fille précise que leur mouvement est différent de celui de l’Odéon :
« Ce n’est pas une réelle occupation, nous venions déjà en cours tous les jours au TNS. Nous nous sommes juste installés dans le théâtre, c’est chez nous désormais. »
Pour Naïsha, étudiante en première année, cette occupation est aussi née de la frustration des étudiants :
« On a toujours pu aller dans notre école. Actuellement nous faisons un stage avec l’actrice Dominique Reymond et les deuxièmes années avec le metteur en scène Éric Lacascade. Mais nous ne pouvons plus, à la fin de ces stages, présenter notre travail au public. Normalement, on se forme en regardant des pièces, en échangeant avec des artistes mais ce n’est plus possible. Les premières années n’ont pas connu de théâtre vivant au TNS. Nous n’avons jamais pu faire de représentations, alors que nous nous sommes battus pour intégrer cette école et réussir le concours d’entrée. »
Une organisation bien rodée
À l’intérieur du Théâtre National de Strasbourg, les étudiants se sont répartis en plusieurs pôles pour « faire durer ce mouvement et préparer leurs actions futures », selon Ivan Marquez, en deuxième année :
« Il y a le pôle direction qui s’occupe des relations entre l’administration et les élèves, le pôle communication qui fait le lien avec la presse, un pôle qui discute avec les syndicats, un pôle qui se tient au courant des mesures prises par le gouvernement dans le domaine de la culture et le plus important, un pôle qui s’occupe de la répartition de la nourriture. Il y a aussi d’autres groupes qui s’occupent de la cuisine et du ménage. »
« On s’est aussi organisé avec les restaurants Crous pour avoir des paniers repas à emporter et dans le TNS, on a accès à des plaques électriques et à un four micro-ondes, » explique Ivan Marquez. Le soir, les 43 résidents permanents du TNS sont rejoints par leurs camarades de la section Scénographie, actuellement en stage, pour dormir dans le hall du théâtre. « Nous avons des duvets, des couettes et nous dormons les uns sur les autres. Mais ça va, il y a de la moquette au sol ! », raconte Gabriel, étudiant en première année, le sourire aux lèvres.
Une action qui souhaite intégrer les autres écoles d’art de France, selon Ivan Marquez :
« Nous faisons aussi tous les soirs des appels en visioconférence avec les autres écoles d’arts et de dramaturgie, pour parler de nos futures actions. Pour le moment, c’est encore en discussion. Nous avons déjà fait un cri d’une minute à 17 heures jeudi soir avec le Théâtre national de la Colline à Paris qui est occupé par les étudiants du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et l’École Supérieur d’Art Dramatique. »
Bien que revendicative, l’occupation des locaux est tolérée par l’administration du TNS :
« Pour le moment, on observe leur action. On ne s’oppose pas, mais on reste vigilant. Tant que les règles sanitaires et sécuritaires sont respectées, ils pourront rester dans le théâtre. »
Chantale Regairaz, secrétaire générale du Théâtre National de Strasbourg.
Le directeur, Stanislas Nordey, a déclaré sur France Info qu’il faut savoir « entendre les revendications » des étudiants.
Réouverture des lieux de culture et prolongation de l’année blanche
Tous les jours à 13 heures, les étudiants de l’École supérieure d’art dramatique se rassemblent pour une « assemblée générale, » sur le parvis du théâtre. Mercredi et jeudi, une cinquantaine de « spectateurs » ont assisté aux échanges avec les étudiants.
La première réunion, mercredi 10 mars, a été l’occasion de rappeler les principales revendications. La réouverture des lieux de culture se place en tête de liste. « Il faut que le gouvernement nous donne un calendrier avec les dates d’ouverture des lieux de culture. C’est important pour que les élèves du TNS puissent aussi se projeter dans leur futur métier », explique Mathilde, en deuxième année.
La reconduite de « l’année blanche » pour les intermittents du spectacle et son extension à tous les travailleurs précaires est aussi au cœur de leurs revendications :
« L’année blanche avait prolongé les droits d’indemnisation des intermittents du spectacle jusqu’au 31 aout 2021. Mais des artistes n’ont pas eu le temps d’effectuer les 507 heures nécessaires pour avoir le statut. Cette question touche aussi notre futur métier. »
Juliette, étudiante en première année au TNS.
Les étudiants du TNS réclament également la mise en place de mesures d’aides financières et psychologiques pour tous les étudiants. « Notre mouvement dépasse la culture, nous sommes solidaires avec nos pairs », affirme Mathilde. Le retrait de la réforme de l’assurance chômage, la garanties des droits sociaux (retraite, congés payés…) et la mise en place d’un financement du secteur culturel sont aussi demandés.
« Réveiller le théâtre strasbourgeois »
« Notre but est de réveiller notre théâtre », affirme Ivan Marquez. Mercredi 10 mars, les étudiants du TNS ont donc invité le public à partager avec eux des poèmes, des citations ou juste leurs pensées sur le parvis du théâtre. Une première spectatrice, Anna Groh, retraitée, se joint au petit groupe. Juste avant de saisir le micro, elle se désinfecte les mains puis prend la parole : « Je suis votre public et vous me manquez. J’ai toujours travaillé dans des milieux artistiques et je ne peux pas vivre sans le théâtre. »
Anna et Chira, du lycée voisin des Pontonniers, s’empressent à leur tour de prendre la parole, pleines de joie :
« Nous étudions le théâtre et l’histoire de l’art, donc ce mouvement nous concerne aussi. En plus, on est dans une période compliquée et retourner dans les lieux culturels, ça nous ferait du bien. On va tout faire pour que nos lycées prennent connaissance de vos actions et vous soutiennent. On veut que les théâtres rouvrent ».
Des paroles applaudies par Mélodie, élève de la Haute école des arts du Rhin qui souhaite aussi prendre part à ce mouvement.
« On souhaite adapter nos assemblées générales à l’actualité et à notre public »
Cet échange entre les étudiants du TNS et le public a évolué au fil de la semaine. Vendredi 12 mars, un débat a été proposé aux spectateurs. « Cette nouvelle forme de communication nous permet de faire entrer les gens qui nous soutiennent dans notre mouvement et de connaître leurs avis, » explique Quentin, en deuxième année.
Le principe : un étudiant pose une question simple à la foule, avec deux réponses possibles. On assiste alors à une drôle de scène, où des gens courent pour se placer à droite ou à gauche du parvis, en fonction de leur réponse. « Respectez les mesures de distanciation sociales ! » rappelle Juliette, en première année.
« Peut-on faire de l’art sans argent ? » La question divise l’assemblée. « Nous n’avons pas besoin d’argent pour faire de l’art, c’est notre passion », affirme un étudiant. « Oui mais la passion ne paie pas les repas, » renchérit un autre. D’ailleurs, l’art est-il un métier ou une passion ? Sur cette question, la foule est unanime et s’assoit par terre : « On ne peut pas choisir entre les deux, être un artiste c’est les deux à la fois. »
Un mouvement qui touche les lycéens et les intermittents du spectacle
Ces mobilisations ont touché particulièrement les lycéens de Strasbourg. Lucile, Héloïse et Luna, du lycée des Pontonniers, ont répondu tous les jours à ce rendez-vous : « On va essayer de distribuer des tracts et on reviendra la semaine prochaine si rien ne change. » Pour Luna, c’est aussi son futur qui est en jeu :
« L’année dernière je faisais du théâtre au lycée, mais avec la pandémie je n’ai pas pu en faire cette année. Plus tard, j’aimerais devenir actrice et entrer au TNS donc il est normal de les soutenir. C’est important pour l’avenir du métier que je souhaite exercer. »
Une démarche suivie également par un grand nombre d’intermittents du spectacle comme Pierre, comédien : « Beaucoup d’artistes soutiennent cette initiative. On vient régulièrement à leurs assemblées générales pour voir comment la situation évolue. » Pour Elisabeth Marie, membre du syndicat français des artistes interprètes, le mouvement des étudiants du TNS est un « processus de solidarité » : « Ils se battent aussi pour leurs aînés qui ont fini l’école et qui sont en difficulté. »
Depuis le début du mouvement à Paris et Strasbourg, 9 autres villes ont vu leur théâtre à leur tour occupé comme Lille, Nantes ou encore Saint-Etienne.
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