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Une nuit parmi les fantômes de Transylvanie et entrée en Transnistrie

Le Bulli quitte les Balkans et gagne la Moldavie et la Transnistrie. On y découvre des fantômes roumains, des communistes transnistriens et des frontières qui se meuvent de jour en jour. En cette dixième semaine de voyage, le Bulli est aux portes de l’Ukraine.

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De nombreux villages sont abandonnés en Roumanie. Tara (von Neudorf) a construit dans son village fantôme une potence et y invite « tous les connards du système à venir s’y pendre ».

En Roumanie, on compte une centaine de villages fantômes ; ce sont essentiellement d’anciennes communes saxonnes abandonnées. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Saxons furent incorporés (de force ou de gré) dans la Wehrmacht. L’artiste roumain Tara (von Neudorf) explique : 

« La grande majorité de ces Roumains d’origine allemande ont revêtu l’uniforme nazi. Après-guerre, ils furent envoyés dans les Goulags. Nombre d’entre eux partirent en exil. Les villages tombèrent en ruine et maintenant, toutes les traces disparaissent avec l’effondrement des derniers édifices ».

Depuis plusieurs années, Tara s’intéresse à l’histoire saxonne et tente de mettre en valeur le patrimoine religieux qui est à l’abandon. À Michelsdorf, petit village roumain encore habité, on demande les clés de l’église saxonne du XVe siècle qui s’abîme. Plus aucun culte n’y est célébré et un numéro d’inventaire est collé sous chaque objet ou mobilier… « C’est soit contre les nombreux vols, soit en prévision d’une vente auprès d’un antiquaire. Mais ça n’est jamais un bon signe » souligne Tara. Sur place, l’artiste croque l’autel du XVe siècle, pour une de ses prochaines peintures.

Le dernier homme

Tara (von Neudorf) vit à Engelthal, village fantôme au nord de la Transylvanie où il ne reste que trois maisons et une ancienne église du XIVe siècle. C’est par hasard qu’il a entendu parler de ce village en ruine, au fin fond de la Roumanie. Depuis quatre ans, il entreprend de sauver cet édifice religieux et sa mémoire en peignant l’histoire saxonne sur de grands panneaux dans la nef.

Tara (von Neudorf) est un artiste roumain de 40 ans qui vit depuis quatre ans à Engelthal. Il a d’abord dormi dans l’église, pendant les trois premières années avant de se construire une maison, sans eau courante ni électricité.

Aidé par son frère, il a également démarré un chantier. Il a déjà refait le sol, les fenêtres et se lance à présent dans la réfection de la toiture.

« Je suis le dernier Mohican du village, et j’essaie de survivre ici. Ma présence est en fait une performance artistique mais aussi une tentative de sauver un patrimoine menacé. Quand je suis arrivé ici, il restait une poignée d’habitants. Mais cet été, le dernier berger d’Engelthal va partir. C’est dur pour moi, parce qu’il m’aidait avec ses outils et me vendait du lait et du fromage. Dorénavant, je vais devoir faire mes courses à Buia, le village le plus proche d’Engelthal qui se trouve à une heure de marche d’ici. Quand il pleut ou qu’il neige, il est impossible d’utiliser le moindre véhicule ».

Nous l’accompagnons dans « son » village, accessible uniquement par bois et forêts. Le Bulli doit rester derrière nous, au bout du dernier sentier de terre. Des massifs imposants d’orties indiquent l’ancien emplacement de telle ou telle maison. On peine à imaginer une route principale et une bourgade ici, parmi les feuillages et les arbres. Pourtant, au début du siècle dernier, une centaine de maisons se dressaient là.

Nous passons la fin de journée autour d’un feu de bois, pour l’interview de cet artiste surprenant.

Le cimetière orthodoxe d’Engelthal est un des rares vestiges rappelant l’existence même de ce village.

Dans la soirée, Tara a regagné la maison de bric et de broc qu’il construit petit à petit en récupérant uniquement les matériaux des ruines de l’ancien village. Nous restons dans l’église.

La nuit tombe sur le village fantôme. Nous passons la nuit dans l’église, à la bougie.

« Danse nue ou je te tue »

Le Bulli quitte la Roumanie et ses fantômes pour gagner la Transnistrie. Cette région séparatiste, établie en Moldavie en 1992, se trouve sur la rive est du Dniestr. Tout aurait commencé en 1992, à la sortie d’une boîte de nuit, lors d’une soirée arrosée. Un jeune homme ivre aurait pointé une arme sur des filles pour qu’elle dansent nue. La blague potache aurait basculé et l’homme aurait tué par mégarde un capitaine de police. La guerre de 1992 faisait des centaines de morts des deux côtés, des dizaines de disparus et quelques milliers de blessés.

Depuis, la Transnistrie a établi des frontières avec la Moldavie, qu’elle modifie légèrement au fil des années, avançant ses postes frontières de quelques mètres au fil du temps. Cette région sécessionniste n’est pas reconnue par l’Europe ni pas la Russie. Les passeports transnistriens ne sont valables… qu’en Transnistrie. Pour aller ailleurs, les citoyens de cette région autonomiste doivent utiliser leur passeport moldave.

T’as ton tampon ?

Le Bulli ralentit devant le char d’assaut qui lui fait office de comité d’accueil. Le poste-frontière de Transnistrie grouille de soldats en treillis. On descend du combi et on remplit sagement nos multiples formulaires en cyrillique. On attend. On passe à une première guérite où on obtient deux tampons. On attend. Le deuxième bureau est celui de la migration. Formulaires en double et tampons. On attend. Et puis un dernier office où payer la taxe de séjour. Record de quatre tampons pour ces formulaires-ci.

Après deux heures passées sur ce bout d’asphalte, on en arrive enfin aux contrôles de police et de la douane. Le bon vieux système soviétique dans toute sa lenteur !

Après une semaine passée dans la région autonomiste, le Bulli est désormais en Ukraine.

Nos reportages sur la Transnistrie seront diffusés fin juillet, sur BulliTour.eu.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : retrouvez toutes les chroniques vécues du Bulli Tour Europa (blog)

Sur BulliTour.eu : les reportages de Claire Auduy et Baptiste Cogitore


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