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Une nuit à la Meinau, danser au Kalt avec une pensée pour le Studio Saglio

Un samedi soir à la Meinau. De retour à Strasbourg, j’en profite pour prendre des nouvelles de mon club de cœur, le Studio Saglio. Problème, l’installation du Kalt et l’irruption du Covid ont eu raison de l’esprit d’avant-garde du Studio qui prévalait pendant mes études.

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Dans la nuit noire et encore chaude de septembre, je traverse la rue Saglio pour me rendre au club du même nom. Le long de cette allée, on remarque en premier un escalier décrépi au bas duquel des jeunes font le « before » à grands renforts de vodka. Puis c’est l’enchaînement de Clio et de Twingo qui bondissent au rythme de l’autoradio. Un peu plus loin, il y a celles qu’on ne voit pas, les travailleuses de la rue du Doubs qui tiennent le trottoir toute la nuit.

J’entre par un grand portail estampillé d’un nom : le Studio Saglio. Il y a quelques années, c’est ici que je venais faire la fête, plusieurs fois par mois. À l’époque, il s’agissait de l’un des seuls endroits pour écouter de la musique électronique à Strasbourg. Avides de nous démarquer, on y trouvait une ambiance différente de celle des boîtes qu’on aimait appeler « commerciales », avec leur aspect bling-bling, leurs bouteilles de Champagne et leur musique pop.

J’ai quitté la ville en 2016. Comme un pied de nez à mes jeunes années, deux ans plus tard, un nouveau lieu a ouvert presqu’au même endroit, le Kalt. Et cette boîte, tout le monde m’en parle, de la Meinau jusqu’à Paris, où je vis désormais. Fin 2019, elle a d’ailleurs accueilli la première édition en région de la très parisienne soirée « Possession » ! Complot ? Coïncidence ? J’ai essayé de comprendre : comment se fait-il que durant mon absence, Strasbourg soit devenue une capitale de la techno ?

C’est quoi cette ambiance guinguette rue Saglio ?

Derrière une maison de plain-pied à la façade de crépi mauve, je retrouve les terres bien connues du Studio Saglio, son bar sponsorisé par Jägermeister et autres alcooliers, sa techno qui culmine à 130 battements par minute et son impressionnante sonorisation Funktion One, à l’époque unique dans les boîtes strasbourgeoises.

Ce que je ne reconnais pas en revanche, c’est la grande terrasse gazonnée accueillante, les dizaines de tables de guinguette et les guirlandes qui ornent désormais la cour. Un bel espace « lounge » pour lequel le gérant du Studio, Richard Hirstel, a mis le paquet. Ce soir, une quarantaine de personnes dansent devant le DJ tandis que plusieurs dizaines d’autres dégustent des tartes flambées en papotant, ambiance fête des voisins.

C’est la grande nouveauté aménagée à la faveur de la pandémie par le patron. La crise sanitaire l’a contraint à n’organiser que des événements en plein air. Cet ancien garagiste, formé sur le tas en reprenant ce qui était jusqu’en 1993 un dépôt d’extincteurs, y a vu une opportunité : attirer une clientèle plus âgée… « et aussi plus calme ! » Cela tombe bien, avec ces soirées extérieures, le Studio doit fermer à 2 heures du matin, contre 7h auparavant.

Richard Hirstel a mis le Studio en vente au début de l’année. Photo : LC / Rue89 Strasbourg / cc

Le patron du Studio aimerait passer la main

Au début de l’année, Richard Hirstel a mis le Studio en vente. « Ça fait trente ans que j’organise des soirées. Je me fatigue », concède l’homme de 57 ans, qui dort dans l’extension de la boîte de nuit. La tête à quelques dizaines de mètres du système-son, il s’est habitué à ne pas s’endormir avant 8h du matin les vendredis et samedis. « Au bout d’un moment, on devient un peu zombie ! »

Mais le fêtard en chef a du mal à trouver un repreneur, et, neuf mois plus tard, il a un peu laissé tomber. Au fond, je le soupçonne de ne pas tellement vouloir baisser le son. Quand on le questionne sur sa vie affective, il s’esclaffe : « Moi ? Je suis marié au Studio ! Et mes enfants, ce sont ceux qui viennent danser. »

Pourtant, avec le Covid qui l’a contraint à fermer boutique pendant des mois, Richard Hirstel a eu des raisons de s’inquiéter. Avant ça, il y a eu un autre séisme dans le monde de la nuit strasbourgeoise, l’arrivée du Kalt, en avril 2018. Du bout des lèvres, Richard Hirstel concède avoir perdu jusqu’à 30% de sa clientèle. Une autre discothèque sur le même créneau musical, à quinze minutes à pied, « ça a été un peu dur », se renfrogne-t-il. L’ouverture de la Kulture en 2015, à la programmation similaire mais située en centre-ville dans des locaux étriqués, n’avait pas eu autant d’impact. Richard Hirstel est allé deux fois au Kalt, pour voir à quoi ça pouvait bien ressembler. Il a trouvé ça « un peu froid » :

« Kalt, comme son nom l’indique… Imaginez-vous, ils ne font pas de bière pression alors qu’on est en Alsace ! »

Richard Hirstel semble un peu dépassé par les évènements. Au bar, il discute avec Alejandro, un étudiant en marketing qui lui prodigue des conseils :

« Ici, au Studio, vous proposez trop de styles d’électro différents. Ça ne vous aide pas à avoir une identité précise. C’est pas bon pour les affaires ! »

Au Kalt, à l’épreuve du physionomiste

Dehors, je rencontre Tito, un intérimaire de trente ans au trait rasé à l’extrémité du sourcil. Il partage une tarte flambée avec Armand, un étudiant de 21 ans au look un peu geek. Derrière ses lunettes, celui-ci confie être un grand timide. « Mais ici, je me sens tellement bien que je viens toujours seul et je rencontre toujours du monde ! » Tito, qu’il vient de rencontrer, lui lance : « T’as pas l’air timide. » « Oui mais là, c’est parce qu’on est au Studio ! »

Tito habite à côté du Studio, à la plaine des Bouchers. Il s’y rend régulièrement. Photo : LC / Rue89 Strasbourg / cc

Aller au Kalt ? Tito a déjà testé. « Je me suis fait refouler deux ou trois fois par le physionomiste à l’entrée, » grogne-t-il. En sarouel et kimono, Pierre-Julien, 24 ans, est amer :

« Cette boîte est un peu élitiste. Il y a un petit côté moi, je vais au Kalt, je suis underground, j’suis bad ass, quoi… »

Avant de m’y rendre à mon tour, j’ai lu les avis Google concernant le Kalt. Certains mots reviennent souvent, plutôt dirigés contre le tri à l’entrée : le staff à ce poste serait « hautain, condescendant, snob ». À l’entrée, je repère immédiatement le physionomiste.

Je commence par demander aux fêtards ce qu’ils pensent de cette boîte. La réponse fuse, indignée : « Le Kalt ? C’est pas une boîte ! C’est un… lieu… » Difficile en effet de définir ce hangar, bien caché dans la zone industrielle. Les murs en béton qui bordent les 300 mètres-carrés d’espace sont implacablement vides. La première impression des festivaliers ? « L’intimidation. » Sur la piste de danse, quelques rais de lumière, deux estrades pour mieux danser en surplombant les autres, et un bar dénué de toutes marques d’alcooliers. Un dépouillement ultra-recherché.

J’ai rendez-vous avec l’un des gérants, qui, à mon étonnement, souhaite garder l’anonymat malgré le succès notable de son affaire. Grand, calme et aussi froid que ses yeux d’un bleu glacé, il me demande ce que je veux boire, je réponds un coca. « Un coca bio, ça te va ? » 

Le Kalt cultive son image de club underground Photo : Rue89 Strasbourg

Le lieu dont il ne faut pas parler

« À Berlin, je suis tombé amoureux des clubs et j’ai voulu recréer la même chose ici : un endroit où les gens peuvent faire la fête librement », m’explique-t-il. D’où la petite pastille que l’on a collée sur l’objectif de mon téléphone, en arrivant :

« Ici, il faut que les gens se déchaînent sans craindre qu’on les affiche sur les réseaux sociaux le lendemain. »

Autre impératif : « que les gens soient à égalité. Ici, on a pas de carré VIP, rappelle-t-il, le chômeur et le prof peuvent danser côte à côte ». Mais le physionomiste à l’entrée, quels sont ses critères ? « Ça n’a rien à voir avec les fringues », assure-t-il avant de laisser échapper que « si tu viens avec ta p’tite chemise en sortant du taf, ça va pas le faire… » Il faut être stylé, mais pas trop. « C’est une question d’état d’esprit », résume-t-il.

Difficile de tirer des informations de ce personnage. Sur ses finances, la gestion du club ou la stratégie marketing, il refuse de s’exprimer. Je me demande d’où vient cette méfiance. Puis, je comprends. Ne pas parler du Kalt, c’est déjà faire la com’ du Kalt. Son image mystérieuse assure à ses habitués de rester des « connaisseurs privilégiés ». D’ailleurs, le Collectif Ephémère, dont sont issus les fondateurs, organisait déjà des fêtes uniquement sur invitation à Strasbourg, dans les années 2010.

Le succès du Kalt a aussi des raisons objectives. Habillés de crop-tops et lourds de bijoux, Louis, coiffeur, et Pablo (les prénoms qu’ils ont choisi), qui travaillent dans la finance, sont pailletés jusqu’aux sourcils. Entre eux, ils s’appellent « ma chérie », « ma puce »… Louis et Pablo sont gays et au Kalt, ces deux Strasbourgeois se sentent bien, « contrairement aux autres discothèques de la ville où c’est la culture hétéro qui prédomine. » La culture queer est inhérente au mouvement techno. Le Kalt l’a bien compris :

« Ici, on ne nous juge pas sur notre apparence ou notre façon de nous comporter, et ça fait du bien. »

Au plus fort de la soirée, je profite de la fête avec près de 400 autres personnes. Grâce à la sonorisation Funktion One, la même que celle du Saglio, installée à l’avant et à l’arrière du hangar, le son m’enveloppe. Je trouve ma place et je m’amuse, avec une pensée pour les fêtards du Studio dont la soirée s’est terminée à deux heures du matin. Ceux que j’ai rencontrés m’ont confié envisager l’after à même le trottoir de la glauque rue Saglio, « à la schlag. »

Alors que ma soirée se termine, Pablo me livre un bon résumé de la situation :

« Il est probable que le Studio récupère un peu de ceux qui n’ont pas pu rentrer ici. »


#Meinau

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