Partis 300, ils ne sont plus qu’une poignée. Après plus de 40 assemblées générales et 80 jours de rencontres, de discussions, il ne reste plus beaucoup de membres actifs qui se reconnaissent dans « Nuit Debout » à Strasbourg, mouvement créé à Paris après la manifestation contre la « loi travail » du 31 mars. Mardi soir, quelques-uns d’entre eux se trouvaient place Broglie.
Présent sur les réseaux sociaux, le mouvement donne encore rendez-vous, tous les jours, à ceux qui souhaitent « participer, échanger ou tout simplement écouter ». Depuis mai, l’occupation systématique de la place de la République a cédé la place à des « assemblées générales » thématiques, sans lieu fixe, au cours desquelles les participants peuvent débattre.
Mais à 19h mardi place Broglie, personne. Deux quidams semblent être au faîte de la réunion. « Nuit Debout » à Strasbourg c’est eux, les deux premiers arrivés. Manu et Eddy.
« En vrai, elle commence à 20 heures l’AG »
Manu, 30 ans, vit du RSA. Il aimerait « changer le monde ». Eddy a 37 ans, son « travail, c’est de faire de la résistance ». Il a participé à de nombreuses ZAD (Zones à défendre) dont celle de Notre-Dame-Des-Landes, Avignon, ou encore Rennes-les-Bains. Les deux habitués assurent que plus de personnes participeront au rendez-vous du soir : « En vrai elle commence à 20 heures l’AG ».
En attendant les retardataires, Manu confie ses ambitions pour le mouvement :
« On va essayer d’aider les étudiants. Ce qu’il faut c’est changer l’Éducation nationale ». Eddy de poursuivre : « Là on va faire une ZAD pour le bout de l’autoroute (le Grand contournement ouest de Strasbourg, ndlr). Quand on va manifester avec les agriculteurs tout va changer. »
Sur les raisons pour lesquelles le mouvement Nuit Debout s’est étiolé, Eddy donne une première explication : « c’est parce qu’on donne plus de flyers. On ne prévient plus les gens ».
« C’est nous les finalistes »
Baptiste, banquier, arrive un quart d’heure plus tard. L’homme de 36 ans a été « caissier, adjoint, directeur d’agence ». Rapidement, il donne son sentiment sur la disparition progressive des membres strasbourgeois de Nuit Debout :
« C’est moins bien parce que il y a moins de monde mais c’est aussi bien parce qu’on est restés. Nous, on est en finale. Il y a eu les gens qui sont venus au « festival », quand ils ont fini de s’amuser, ils sont partis. Ensuite il y a eu ceux qui avaient un gros désir de changement et pour qui ça n’allait pas assez vite. Mais évidemment ça prend du temps ce genre de choses. Et maintenant, il reste nous. »
Selon Baptiste, Nuit Debout à Strasbourg rassemble encore « au moins une vingtaine de personnes. » Mais les cinq comparses présents mardi soir reconnaissent qu’après le délogement de la Place de la République, tout est allé decrescendo. Guerres intestines et débats nocturnes ont eu raison de la patience de beaucoup. Baptiste rappelle la situation :
« Le soir on parlait constamment du campement et ça a essoufflé beaucoup de monde. On a perdu beaucoup de gens là dessus. »
Pendant longtemps, il y a eu deux « Nuit Debout », ceux de la journée qui gardaient le campement place de la République, et ceux du soir qui appréciaient d’échanger lors des agoras. Yoam, intérimaire dans l’industrie, ajoute :
« Il y a eu une grande scission. Nos rencontres sous forme d’AG ne convenaient pas aux sans-abris ni aux punks à chiens qui étaient présents. »
Mener des actions ponctuelles
Parmi ceux qui restent, l’objectif désormais est de mener des actions ponctuelles. Yoam détaille :
« On n’avait pas vraiment de ligne ni d’organisation clairement définie. Mais maintenant, à quinze ou vingt, on commence à mieux se connaître et à s’organiser. Depuis qu’on est peu nombreux, on a réussi à gérer un peu mieux la communication. On a repris les rênes des réseaux sociaux parce que ceux qui nous précédaient continuaient à poster sans lien avec le terrain. Et puis on peut désormais aller au fond des choses, avoir des discussions plus longues… »
Leur dernière action en date fut l’ouverture d’une exposition affichant des comptes rendus d’assemblées générales. Elle durera trois mois. Il y a quelques jours ils ont organisé une « université populaire » sur le thème de l’évasion fiscale, place de la République, avec un succès mitigé, semble-t-il. Ils ont manifesté devant le Parlement européen pour « fêter l’anniversaire de l’austérité grecque » et ont récemment publié un « anti-compte-rendu », moquant les critiques qui leur sont généralement faites.
Pour Baptiste, Nuit Debout est désormais un mouvement de soutien multi-causes :
« Quand il y a des mouvements à soutenir, on y va. On a fait la marche avec Amnesty International. On essaye de se rapprocher du Stück. Mais on travaille surtout la communication, qu’il a fallu remonter, c’est l’image du mouvement. »
Tous regrettent d’être parfois perçus comme « extrémistes ». En attendant la rentrée et le retour des étudiants, ils terminent la rédaction d’un manifeste, dont ils donnent les intentions :
« Un manifeste, une sorte de carte visite permanente [qui] doit permettre au mouvement de mieux se définir vis-à-vis de tout le monde. Au début, on s’en foutait parce qu’il y avait du monde. Aujourd’hui, on essaye de définir une grille de lecture, une posture. »
Les cinq comparses ne se connaissaient pas avant Nuit Debout. Si beaucoup regrettent l’entre-soi et des discussions qui ont trop tiré en longueur, le mouvement aura eu le mérite de libérer des paroles, créer des rencontres. Étienne, présent mardi soir, espère encore « un sursaut des mentalités.«
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