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Une nouvelle amie : un conte de fées façon Ozon sur la solitude moderne

Comme dans de nombreuses histoires des Frères Grimm, la scène d’ouverture est un enterrement. Un cercueil blanc emporte la belle et trop jeune Laura, tragiquement enlevée par une maladie sans nom. Laura laisse sa petite Lucie orpheline après l’avoir confiée à sa marraine, qui est aussi sa meilleure amie: Claire. Cette dernière a fait le serment de seconder David dans sa lourde tache de père solitaire… Tout est en place pour qu’un conte de fées aux allures très modernes puisse commencer.

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Une histoire d’amour pas comme les autres (Photo Mars Distribution)

Tout commence par un deuil, ces moments douloureux propices aux changements et aux révélations. Le choc de la mort réveille en général la volonté  d’en finir avec ce qui pèse par trop de conformisme, ou ce qui devient dissonant à force d’être superficiel. Il s’agit en fait d’en profiter pour enterrer tout ce qui est devenu inutile, pour ne pas s’infliger davantage que la perte qui s’est abattue comme un verdict définitif.

Claire doit faire le deuil de son amie d’enfance, Laura, avec qui elle a tout partagé, celle sans qui elle ne s’imagine même pas pouvoir vivre. Mais la présence si forte et tellement indispensable de Laura n’avait-elle pas également été de nature à lui porter de l’ombre durant toutes ces années de fusionnement ? À moins que la terrible peine de Claire ne soit tout simplement qu’une forme de chagrin d’amour, les restes d’une attirance inavouée envers cette amie parfaite, ce modèle érigé en un idéal depuis toujours inaccessible…

Claire et Gilles. Les gens heureux n’ont pas d’histoire… (Photo Mars Distribution)

À l’heure où Laura s’était mariée à David, Claire épousait Gilles, un charmant garçon, vif et ambitieux, aux petits soins pour sa femme. Contrairement à leur couple d’amis, ils n’ont pas encore d’enfants. C’est pour répondre de sa promesse de marraine que Claire se rend chez leur ami David, resté seul à s’occuper de la petite orpheline.

L’amour peut-il transformer les crapauds en princesses ?

En arrivant chez David, Claire découvre stupéfaite que celui-ci s’est travesti en femme. Il s’est « déguisé en Laura » avec les vêtements de son épouse défunte. Pas forcément mécontent de s’être fait surprendre, il explique à Claire qu’il utilise ce stratagème pour apaiser le bébé en pleurs, si difficilement consolable depuis la disparition de sa mère.

Mais le projet de David dépasse bien davantage le but avoué de remplacer Laura auprès de leur fille. En réalité, il cherche le moyen de faire son deuil en faisant parler la féminité qui est en lui. Il imagine en quelque sorte faire revivre une part de Laura en laissant s’exprimer ce désir depuis  longtemps refoulé. Il éprouve désormais le besoin de se maquiller, de porter une robe et une perruque, mais surtout de se promener ainsi travesti dans la rue, pour être perçu comme une femme.

Le film de Ozon fait la part belle à ces hommes qui décident de transgresser ce qui reste un tabou et un interdit social très fort. Il y a dans ce désir de féminité une vérité fondamentale de certains sujets qui ne parviennent plus à exister sans l’exprimer. Il ne s’agit pas de s’en cacher, mais de le faire entendre, de le montrer et de jouir du regard de tous ceux qui le perçoivent, comme de ceux qui sont dupes face au travestissement.

Est-il possible d’être père et mère à la fois ? (Photo Mars Distribution)

Claire découvre qu’elle prend du plaisir à se promener avec celui qu’elle nomme désormais Virginia. C’est par son regard aimant et comme subitement consolé de la disparition de sa meilleure amie, que le spectateur accepte la transformation de David. On est passé du drame de la mort de Laura à la légèreté des séances de shopping entre copines. Claire a retrouvé le sourire, à la fois heureuse et quelque peu effrayée par ce qu’elle vit.

Comme dans Cendrillon, c’est la magie des transformations qui est à l’œuvre pour faire éclore une histoire d’amour inattendue et inespérée.

La Belle et… la Belle, un amour très secret

Si David se réjouit d’être dans la peau de Virginie, Claire, elle, n’est pas très claire… Le temps des mensonges a commencé, elle cache ses escapades avec David/Virginie à son mari, dont elle craint le regard négatif sur David, et a fortiori sur elle.

Il y a dans ce couple étrange une évidence qui reste dans un premier temps interdite, inavouée. C’est cet aspect paradoxal de l’amour naissant entre Claire et David/Virginia qui perturbe et qui trouble. Bien davantage que David sous ses multiples déguisements, c’est leur relation elle-même qui se cache, parce qu’elle est une transformation du deuil  qu’ils vivent en commun.

À travers ce conte des temps modernes, Ozon a choisi de nous interroger « de force » sur ce que nous sommes capables de comprendre, de ressentir et éventuellement d’accepter de ce que nous travestissons de nous-mêmes. La fiction qu’il nous raconte semble assez réaliste, mais elle se déroule dans espace-temps volontairement fictif. Les habitations ressemblent à des maisons de poupées grandeur nature. Elles sont comme plantées au milieu de nulle part dans ces somptueux paysages canadiens aux couleurs surnaturelles de l’automne.

La bande-annonce

Et soudain, le drame : croquer dans une pomme empoisonnée et mourir

Malgré ce cadre-parfait-de-contes-de-fées, la romance entre Claire et David/Virginia piétine. C’est alors qu’advient le choc qui cogne violemment cette histoire contre la réalité. En effet, tant qu’elle est envahie de cachotteries et de mensonges, cette aventure étrange ne peut naître pleinement à la conscience de ceux qu’elle traverse comme à leurs corps défendant. L’amour a besoin de la lumière du jour, de l’éclairage du soleil et du regard de tous ceux qu’on aime pour éclore. A défaut de cette exposition publique, il meurt étouffé, anéanti sous les décombres de l’impossible.

Claire doit se rendre à l’évidence de ses sentiments et de son attachement pour cet homme particulier, qui n’est désormais plus le mari de son amie défunte, mais sa nouvelle “meilleure amie”. Le travestissement de David représente bien davantage que l’occasion d’un transfert de ce qu’elle cherche encore de Laura, il est le moyen de révéler une nouvelle face d’elle-même, ignorée ou déniée jusqu’à ce jour. La peur de perdre David/Virginia va lui donner des ailes et la force d’exposer  son désir à la lumière du jour.

Aimer autrement pour faire un deuil impossible (Photo Mars Distribution)

La résurrection de la Belle au Bois Dormant

Si Claire était restée impuissante et inconsolable devant la perte de Laura, elle parviendra cette fois à « ressusciter » David/Virginia plongé de le sommeil de La Belle au Bois Dormant -en salle de soins intensifs. Son amour est plus fort que tous les électroencéphalogrammes qui annoncent sa mort clinique. David se réveille alors, transformé en princesse sous les incantations dont Claire remplit son corps et son cœur endolori par le refus qu’elle avait opposé à ses avances.

Le dénouement est désormais possible, et il prend forcément l’allure féérique de « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Qui, comment et pourquoi, vous le saurez en découvrant ce conte résolument moderne et parfaitement joué par des acteurs qui se dépassent pour dire les secrets des hommes et des femmes dans toute la complexité de leurs relations amoureuses.

Épilogue

La fonction du conte nous a depuis longtemps été révélée par Bruno Bettelheim. Dans Une nouvelle amie, Ozon fait un travail remarquable qui va dans le sens de ce que firent à leur époque Les Frères Grimm ou H. C. Andersen.

Ces choses secrètes qui parlent à notre inconscient, sans que nous parvenions à les entendre, seules les fresques imagés qui incarnent nos désirs et mettent en scène les réponses que nous leur apportons sans le savoir, peuvent nous les révéler. C’est ainsi que la difficulté qu’il peut y avoir à accepter l’idée qu’un homme se travestisse et qu’il chérisse sa part de féminité pour constituer ce qui le rend désirable, progresse dans nos cœur et nos esprit grâce au parcours de David/Virginia qui fait le deuil de sa femme, en commun avec celui que fait Claire pour accepter la perte d’une part d’elle même.


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