Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, Malik Oussekine meurt sous les coups de policiers – les tristement fameux voltigeurs motorisés (ou PVM) – censés disperser des manifestations étudiantes à Paris. Malik, qui sortait d’une boîte de jazz et a été battu à mort dans le hall d’un immeuble, devient le symbole des violences policières et du racisme qui touchent les immigrés nord africains. « Plus jamais ça! », clament alors des milliers d’étudiants.
Le réalisateur Rachid Bouchareb souhaite revenir sur cette affaire que la jeunesse d’aujourd’hui ne connaît pas, mais aussi rappeler la mort d’un autre jeune Algérien, la même nuit : Abdel Benyahia. En montant en parallèle ces deux drames, il trace le portrait de deux familles qui n’ont pas les mêmes armes pour affronter la violence d’État, et met en lumière cette face très sombre de l’histoire de l’immigration en France. Combien de Malik, et combien d’Abdel morts et passés sous silence? questionne le réalisateur d’Indigènes et de Hors-la-loi.
Rue89 Strasbourg : Pourquoi parler de l’histoire de Malik Oussekine aujourd’hui ? Est-ce que cela a un rapport avec les manifestations des Gilets jaunes que vous citez à la fin du film ?
Rachid Bouchareb : Cela fait 25 ans que je veux faire ce film, mais je me devais d’en faire deux autres très importants pour moi avant : Indigènes et Hors-la-loi. Finalement, ces trois films racontent une histoire entre l’Algérie et la France sur 50 ans. La Seconde guerre mondiale avec Indigènes, la guerre d’Algérie avec Hors-la -loi, et la mort de Malik en 1986. Je cite les Gilets jaunes parce que Macron a réintroduit des unités de policiers à moto pour intervenir dans les manifestations, qui rappellent les voltigeurs des années 1980… On a le sentiment que rien n’avance. Mais je voulais raconter cette histoire de toutes façons.
Quelle importance a pris la mort de Malik Oussekine à l’époque dans votre vie?
J’avais 29 ans à l’époque et comme beaucoup de gens, j’ai été très touché par la mort de Malik. En tant que fils de parents immigrés, habitant dans ma banlieue parisienne, pas loin d’ailleurs de la famille d’Abdel Benyahia, je me sens forcément proche de qu’il se passe alors. Mais ce n’est pas un événement unique qui m’a marqué plus que les autres. Depuis la nuit du 17 octobre 1961 (manifestation parisienne en soutien au Front de Libération Nationale au cours de laquelle un nombre indéterminé d’immigrés algériens ont été tués par balle, frappés à mort ou jetés dans la Seine par la police, NDLR), c’était arrivé tellement de fois!
Pourquoi avoir centré votre film uniquement sur les trois jours autour de la mort de Malik et Abdel ?
J’aurais pu raconter le combat de ces deux familles durant des années pour obtenir justice, mais j’ai trouvé qu’il y avait déjà quelque chose de très intense sur ces 48 heures, avec les meurtres et l’attente des familles. Quand j’ai travaillé sur les archives, j’ai été emporté par tout ce qu’il se passe au niveau politique avec Chirac, Mitterrand, Pasqua etc. C’était très fort.
Les images d’archives se mêlent étroitement avec les images de fiction, parfois vous avez même filmé des acteurs aujourd’hui comme si c’était des archives. Vous vouliez créer une confusion ?
Non, je ne voulais pas créer de confusion sur les sources. Mais il fallait passer des archives à la fiction par glissement, pour ne pas qu’on sorte de l’histoire. Je ne voulais pas faire un docu-fiction, mais qu’on soit immergé. J’ai donc dû créer les images qu’il me manquait, aller là où les caméras n’entraient pas à l’époque, remplacer une caméra vidéo de la police, reconstruire des archives de mauvaise qualité.
La bande originale nous replonge instantanément dans les années 80. Quand vous mettez la Mano Negra sur des images de manifestations, j’ai l’impression que vous les voyez comme des enfants qui s’amusent, quand d’autres risquent leur vie du simple fait de leur origine, est-ce que c’est votre ressenti ?
Pas du tout, j’ai choisi la Mano Negra parce que j’adore ! Ce sont les hasards du cinéma de créer des associations, des impressions qu’on n’avait pas forcément imaginées. C’est comme la chanson de Warda qui accompagne l’arrivée des voltigeurs, c’est très étonnant : avec une chanson d’amour égyptienne, j’ai voulu élargir l’imaginaire et prendre un risque, mais on n’est jamais sûr que ça marche. Warda, c’est la diva algérienne des années 1950. C’est une grande chanteuse du monde arabe, comme Oum Kalthoum.
Est-ce que c’est un film qui a été difficile à financer ?
Pas du tout, il se trouve que les gens qui ont produit « Nos frangins » ont vécu cette histoire, ils étaient étudiants, dans la rue en 1986 et ils se sont montrés très enthousiastes pour faire ce film.
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