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Nicolas, 28 ans, féru de politique… et abstentionniste désabusé

Parcours de vote. – Nicolas, 28 ans, connaît tout de la politique et des rouages institutionnels, surtout après des études en politiques européennes à Strasbourg. Mais il ne vote pas.

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Curieux et déconcertant paradoxe que Nicolas : à 28 ans, malgré son cursus en politiques européennes à l’IEP de Strasbourg, ce Dauphinois installé depuis deux ans à Strasbourg assure être incapable de se situer politiquement. Apolitique un jour, « anarchiste de droite » le lendemain, pourfendeur du grand capital l’avant-veille…

« Récemment, j’ai dit à ma copine qu’au fond de moi, j’étais d’extrême gauche. Elle a explosé de rire. »

En 2008, un vote pour faire plaisir à maman

Mais au fond qu’importe, Nicolas ne vote plus. Ses premiers bulletins dans l’urne, lors de l’élection présidentielle de 2007, il préfère en rire : François Bayrou au premier tour, Ségolène Royal au second. Il n’ira pas voter aux élections législatives qui ont suivi, et son vote PS, sans conviction, aux municipales de 2008, n’a tenu qu’à l’injonction maternelle à se lever un dimanche matin :

« Disons que le dimanche du premier tour, ma mère m’a sorti du lit pour qu’on aille au bureau de vote. Comment dire… Bon, tu squattes chez ta mère le week-end, donc si ça peut lui faire plaisir, tu vas voter. »

Étudiant en politiques européennes, Nicolas est favorable à l’UE, mais regrette sa construction libérale et son déficit démocratique. (Photo Pierre Pauma / Rue89 Strasbourg / cc)

« Sarkozy ? Une enculade ! »

Depuis, plus rien. Il s’est contenté de rester spectateur du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Un homme politique qu’il adore détester. En prenant bien soin d’articuler chaque mot, il définit les cinq années de sa présidence comme une « enculade ».

« Sarkozy c’est la vie politique réduite à un show de bas étage avec ses footings dégueulasses. C’est la démagogie et l’électoralisme puants, c’est la magouille de A à Z. Au delà du fait que ce mec a liquidé un dictateur [Mouammar Kadhafi, ndlr] par pur calcul après l’avoir accueilli en grande pompe à l’Elysée, c’est aussi celui qui a généralisé la politique du chiffre et de la rentabilité dans les services publics. »

Né sous Mitterrand, élevé sous Chirac, Nicolas a commencé ses études sous Sarkozy, à Lyon. Après une année d’école de commerce qu’il préfère oublier, il entame une licence de sociologie politique à Lyon II, une faculté où les mouvements étudiants de gauche sont très actifs et où les professeurs prennent rarement la peine de dissimuler leurs convictions. Les cours parfois « à sens unique » et le militantisme ambiant ne l’emballent guère plus que la « droite décomplexée » :

« Disons qu’entre les profs dont les idées politiques allaient de social-démocrate à libertaire, et les militants qui te récitaient le même catéchisme en moins éloquent et en plus borné, je me suis un peu braqué. Je ne comprends pas qu’on puisse être autant dans l’émotion et l’idéologie dans un domaine qui devrait appeler à l’intelligence et à la mesure. D’un côté, je trouve ça beau les militants avec les yeux qui brillent quand ils vont coller des affiches sur les murs, et en même temps c’est risible. »

« La politique c’est un marché. Moi je voudrais une arène »

Malgré un rejet des hommes politiques en bloc, Nicolas s’intéresse au sujet comme d’autres au cinéma ou à la musique, en spectateur éclairé plutôt qu’en acteur. Il en parle volontiers avec ses amis ou avec des inconnus en soirée. Parfois avec gravité, parfois avec légèreté :

« J’aime débattre et convaincre. Ça devrait être ça la politique : une arène où les idées sont confrontées les unes aux autres et où tout le monde peut lutter à armes égales. Actuellement, la politique est plutôt comme un marché où les partis fonctionnent comme des entreprises, et les électeurs comme des consommateurs. Et un consommateur, ça ne participe pas au processus de production. »

Curieusement, Nicolas parle très peu de politique avec sa famille. Issu d’un milieu de gauche et cosmopolite (son père, allemand, a gardé des amis de l’époque où il vivait dans un foyer de travailleurs immigrés en banlieue parisienne), il se souvient vaguement des oeillades gênées de sa mère aux réunions de famille, quand son grand-père pestait contre les Arabes devant le journal de TF1.

Contre BFM, les explications, par militantisme

Une conversation l’a tout de même marqué récemment : les remarques de son grand-oncle et de sa grande-tante sur l’arrivée des réfugiés syriens en Europe. Tous deux sont pourtant d’anciens réfugiés espagnols qui ont fui le franquisme :

« Ils étaient shootés à BFM, il a fallu leur expliquer que c’était un tout petit peu plus compliqué que ce que montraient les reportages. À force d’explications sur l’Union européenne et les réfugiés, ils ont fini par se radoucir. C’est ma manière à moi de faire de la politique. »

Pour sa part, Nicolas préfère la presse à BFM pour s’informer. Spontanément, il cite Le Monde pour la France et Die Zeit pour l’Allemagne. Il suit aussi les médias d’extrême-droite, fidèle à l’adage « connais ton ennemi ». Gros consommateur de vidéos sur Youtube, c’est un fan de « Bonjour Tristesse », une chaîne qui chronique l’actualité au vitriol. Il regarde aussi les vidéos d’Alain Soral, « un vieux mec putride » qui le laisse partagé entre l’amusement et la consternation :

« Il utilise toujours la même rhétorique : il part d’un problème, il s’arrange pour le rattacher aux Juifs et à Israël, et il termine en citant un ou deux auteurs et ses propres bouquins qu’il vend très cher sur son site. C’est drôle, tellement c’est grossier, mais quand je lis les commentaires en dessous qui encensent ses pseudo-analyses, je ris jaune. »

Le vote blanc ou rien

À la fois scandalisé et blasé par l’affaire Fillon, il voudrait concilier un rallongement des mandats pour éviter les politiques court-termistes à un mécanisme de contrôle des élus par les citoyens. Et par dessus tout, il veut la fin de l’immunité parlementaire :

« Je ne comprends pas qu’un truc pareil puisse exister. Quand je vois des députés se planquer derrière leur immunité, j’ai l’impression de voir une partie de chat perché. Il y a pas si longtemps, on présentait Alain Juppé comme un présidentiable. Un mec qui s’est barré au Canada pour faire oublier ses casseroles ! C’est juste aberrant. »

Enfin, il aimerait que le vote blanc soit pris en compte dans la part des suffrages exprimés. Rien d’autre ne le fera retourner aux urnes, pas même la présence de Marine Le Pen au second tour :

« Je ne partage pas une once de son programme. Mais je n’ai pas envie de voter “contre” quelque chose. C’est tout l’inverse de ce que devrait être le vote. On me ressort souvent la tarte à la crème de “ceux qui sont morts pour le droit de vote”. Je ne pense pas qu’ils soient morts pour qu’on ait le droit de choisir entre des politiques qui se foutent de nous et l’extrême-droite. »


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