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New York Express 2 : la jeune scène américaine bouscule le Maillon

Le Maillon poursuit son parcours avec la scène underground new-yorkaise par le biais d’un jeune producteur américain, PS122. Deux de ses productions viennent faire pulser les scènes du théâtre de Hautepierre et du Maillon Wacken cette semaine, respectivement Yesterday Tomorrow et Youarenowhere. Un troisième opus, Relative Collider, sera accueilli en mai au Maillon Wacken. Rare et inspirant.

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« Youarenowhere », à la fin de la semaine au Maillon Wacken (Photo Maria Baranova)

Bernard Fleury, qui signe sa dernière programmation à la tête du Maillon, expliquait à Rue89 Strasbourg en juin dernier au sujet du projet New York Express :

« Ce qui est remarquable avec les jeunes américains actuellement, c’est qu’ils ont un travail sur la forme extrêmement technique, très élaboré. Ce n’est pas compliqué, mais c’est très différent de ce qu’on a l’habitude de voir. Il n’y a pas de narration, il n’y a que des impressions. »

C’est presque sans surprise que l’on découvre, encore, qu’il faut tourner son regard du côté de la grosse pomme si l’on veut du nouveau (pas seulement d’ailleurs). Si les États-Unis sont très présents sur la scène, même alternative, des musiques actuelles, il est plus rare d’en avoir un échantillon sur un plateau de spectacle vivant. On peut donc se féliciter que Bernard Fleury ait associé le Maillon au Théâtre Garonne, au T2G-Gennevilliers (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris) et aux scènes d’Arras et de Douai pour permettre aux spectateurs strasbourgeois de s’en prendre plein la vue (et plein les oreilles).

Algorithmes musicaux

La première de ces créations, présentée depuis hier soir au Théâtre de Hautepierre, est Yesterday Tomorrow de Annie Dorsen. Comme le nom de la pièce l’indique, ce spectacle interroge la question du temps par des algorithmes, méthode de manipulation numérique, programme informatique conçu par Pierre Godard (jeune artiste français qu’on retrouvera dans la pièce Relative Collider en mai) re-créant chaque soir une partition différente pour les trois chanteurs, Hai-Tin Chinn, Jeffrey Gavett et Natalie Raybould.

Véritable performance de chanteurs formidables, qui découvrent chaque soir en temps réel la partition qu’ils exécutent, la pièce trace une trame de la chanson mondialement patrimoniale Yesterday des Beatles jusqu’à Tomorrow, extrait optimistico-béat de la comédie musicale américaine Annie.

La genèse du spectacle est expliquée par Annie Dorsen à Marion Siéfert dans le cadre du Festival d’Automne à Paris :

« C’est donc la structure de la pièce : un passé et un futur connus et un présent totalement inconnu. Il y avait […] un point de départ plus personnel : j’ai 40 ans et je commence à penser que je suis arrivée au milieu de ma vie. J’ai ressenti de manière quasi viscérale quelque chose dont tout le monde m’avait parlé : l’impression que la vie n’apporte pas de résultat, mais qu’il faut quand même continuer à faire des choses. Je voulais donc trouver une manière de rester intéressée par le futur et de ne pas être oppressée par l’incertitude. »

« Les Beatles se retourneraient dans leurs tombes s’ils entendaient ça! »

Dès les premières minutes de la performance la salle du Théâtre de Hautepierre s’agite, trépigne en résonance avec la partition des chanteurs. Certaines personnes dans le public s’interrogent, parlent, et manifestent bruyamment leur exaspération devant cette performance au concept jusqu’au-boutiste. On entend chuchoter, assez clairement, dans les premiers rangs : « Les Beatles se retourneraient dans leurs tombes s’ils entendaient ça! » Plusieurs personnes, par grappes, se lèvent et quittent la salle. Une spectatrice l’affirme en sortant, l’air un peu déprimé : « ce spectacle donne un aperçu de ce que deviendra le monde de l’art quand il sera entièrement géré par des machines. »

Pourtant l’espace scénique de Yesterday Tomorrow a tout d’un intérieur bourgeois, cosy et bobo, avec des canapés un peu vintage et le lampadaire assorti au grand ficus. Les trois chanteurs y sont installés confortablement, et ont des chaussons douillets que n’importe qui souhaiterait avoir aux pieds en cette période de premiers frimas brumeux et bruineux. La lumière, au début, est chaude, les voix mélodieuses. L’harmonie est parfaite autour de ce passé rassurant, ce Yesterday encore tiède qui fond dans la bouche.

Mais le spectacle se laisse aller, lentement, dans l’aléatoire algorithme qui partitionne la soirée, qui transforme peu à peu la chanson familière en une mélopée inconnue. Les répétitions font rire les spectateurs qui ont bien voulu se laisser prendre au jeu, les sons incongrus de certains passages aussi. On croit y reconnaître, dans une apparente dissonance répétitive, des échos de gospel ou de chants grégoriens.

La lumière devient plus froide, les chanteurs se rapprochent les uns des autres. Chaque soir est différent, mais se termine assurément de la même façon, et c’est là l’ultime consolation, la récompense : Tomorrow est entonné à trois voix, à l’unisson, comme il se doit. La boucle est bouclée, c’est la fin de l’incertitude.

Vertigineux « Youarenowhere » (Photo Maria Baranova)

Perceptions chahutées

Cette semaine se poursuit par le très étonnant Youarenowhere de l’artiste Andrew Schneider. Seul en scène, c’est à travers une performance virtuose que Andrew Schneider perds les spectateurs dans un espace-temps extrêmement habité, entre théâtre, vidéo et installation. Créateur d’objets connectés (comme le Solar Bikini, maillot de bain chargeur d’Ipod), l’artiste est féru de nouvelles technologies et les utilise de façon très habile.

Si Youarenowwhere est une manière subtile d’utiliser tous les ressorts de ces technologies pour en faire des effets spéciaux particulièrement convaincants, la pièce est aussi une façon de dénoncer ce qui, dans cet environnement connecté, s’apparente à une disparition de l’espace.

Envoûtant de rapidité et d’habileté, le message n’en est pas moins sombre : cette perte de repère, vécue en direct par le spectateur, conduit à une disparition du réel matériel au profit du virtuel, du non-palpable, du nulle part. La performance hallucinée et hyper-précise resterait longtemps fichée dans l’esprit des spectateurs qui y assistent, comme un parfum entêtant, selon les critiques américains. Nous voilà prévenus.

« Accélérateurs de particules relationnelles »

C’est comme cela qu’on pourrait traduire « Relative Collider », selon Gérard Mayen. Présentée au Maillon Wacken en mai, la pièce a été créée le 8 mars 2014 à Paris, et elle est le fruit d’une collaboration entre la chorégraphe américaine Liz Santoro et Pierre Godard, ingénieur, performeur et metteur en scène français.

Trois danseurs et un « locuteur » se répondent à travers un mécanisme rythmé par un métronome. De façon circulaire, le système d’échange entre les corps et la voix s’altère progressivement en formant un mouvement continu. La partition est précise, sans faille, le résultat étonnant de virtuosité.

Et pourtant c’est bien d’humanité qu’il s’agit dans Relative Collider. C’est avant tout le jeu des regards des uns aux autres, danseurs entre eux, avec le locuteur, avec les spectateurs, qui structure la mécanique du mouvement. C’est ce contact qui lui donne vie.

Pas de narration, mais beaucoup de choses à dire

Les trois pièces de ce nouvel opus New York Express 2 révèlent des talents surprenants en terme de virtuosité et d’ingéniosité technique. Pourtant ce n’est pas tant cela qu’on en retiendra que le fait que chacune de ces création creuse et vrille au cœur de la structure intime. L’exposition nue et sans concessions de la mécanique humaine est une façon, assez singulière, d’en sublimer la beauté ou les inquiétudes, d’en dessiner des contours inédits.

Ces trois pièces sont donc une invitation lancée à la curiosité de chacun : gageons, chemin faisant, qu’il ne fait jamais de mal de se décentrer un peu.

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