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Contre les projets immobiliers, quatre collectifs demandent plus de transparence

Leurs quartiers vont changer. Ils le savent, mais ils ne veulent pas subir. Quatre collectifs de riverains opposés à des projets immobiliers dans le Neudorf et le Neuhof ont déposé une pétition auprès de la Ville de Strasbourg. Ils exigent une discussion en amont dès que des habitants sont impactés par des constructions d’immeubles.

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Au 92 avenue du Rhin, la rencontre du lundi 21 juin a été abrégée par l’orage. Le Collectif 92 Avenue du Rhin, ceux de la rue de Cernay et de la rue Sainte-Cécile dans le Neudorf, et celui de la rue Saint-Ignace dans le Neuhof pavillonnaire avaient choisi de se réunir en parallèle du conseil municipal. Une vingtaine de personnes ont bravé la tempête qui couvait, les derniers arrivés ont tout juste eu le temps de piocher dans le pique-nique.

Des voisins, des habitants engagés dans l’un des quatre collectifs représentés, et aussi quelques candidats aux élections départementales ont fait le déplacement… Mais la première force en présence restent les moustiques et les hannetons. « Ah si on n’aime pas les insectes, il y a bien une solution, » ironise quelqu’un dans l’assemblée : « un gros cube en béton ! »

Quelques minutes avant le déluge, la réunion comptait une vingtaine de personnes Photo : Pierre Pauma

Traverser la rue pour jouer au basket

C’est justement ce qui attend le 92 avenue du Rhin : un immeuble de 30 mètres de haut qui accueillera des bureaux et un amphithéâtre. Les terrains bitumés seront ramassés sur une plus petite surface, qui empêchera de jouer au foot et au basket en même temps. Pour l’heure, la petite assemblée se place à côté du but. Derrière eux, deux gaillards partagent un panneau de basket avec des petites filles, ils enchaînent les paniers à tour de rôle.

L’initiatrice du collectif de l’avenue du Rhin, Delphine Bernard, est rompue à la politique locale. Elle sait que l’équipe municipale écologiste accorde beaucoup d’importance à l’égalité de genre dans l’espace public, et qu’elle tient là une image en or : celle d’un lieu mixte ouvert à tous et à toutes :

« Antoine Dubois (élu référent pour le Neudorf, NDLR) nous a dit que les enfants n’avaient qu’à aller jouer au parc de la Citadelle. Vous laisseriez des enfants de 10 ans traverser la route du Rhin pour se rendre seuls au parc de la Citadelle ? Bien sûr que non. Et puis les terrains sont occupés par des joueurs beaucoup plus aguerris. Jamais des gamins ne pourront se faire une place là-bas, et encore moins des jeunes filles. »

Malgré la promesse de garder un terrain, tout le monde doute que les occupants de bureaux en open-space supporteront le « TAP TAP » des ballons sur le bitume en contrebas.

À côté de la réunion, des jeunes jouent au basket. Le terrain fait partie des rares espaces sportifs publics où la mixité existe Photo : Pierre Pauma / Rue89 Strasbourg / cc

« Aucun compte à régler avec les écologistes »

Au-delà du choix de remplacer le terrain par des bureaux (et la taxe foncière qui va avec), le collectif n’apprécie pas le modus operandi : Delphine Bernard a découvert bouche bée l’intention de la nouvelle équipe de vendre ce terrain le jour du vote en mars. Le projet immobilier de trop pour cette sympathisante socialiste, qui figurait en bas de la liste de gauche de « l’Appel Inédit » aux élections régionales. Arrivée dans le quartier en 2008, elle a vu les immeubles neufs occuper les abords de la route du Rhin, jusqu’à occulter la vue sur la cathédrale. Elle sait combien le sujet crispe au Neudorf, mais aussi que ses engagements politiques font d’elle une cible facile. Celle qui a fait campagne pour Catherine Trautmann en 2020 assure n’avoir « aucun compte à régler » avec la municipalité écologiste :

« On ne veut pas mêler notre combat à celui des guerres de partis. Nous avons défini notre combat comme transpartisan et apolitique. Ce n’est pas une campagne politique, c’est un combat de riverains qui se battent pour leur espace de vie. »

Reste que certains noms sont plus appréciés que d’autres dans l’assemblée. « Pernelle Richardot a toujours défendu ce terrain, y compris quand Philippe Bies envisageait déjà de le vendre », souligne Jean-Marcel Brûlé, ancien membre du conseil de quartier Neudorf, colistier pour sa part de Chantal Cutajar (sans étiquette) aux élections municipales de 2020 et pourfendeur du projet d’immeuble dans la rue de Cernay, au centre de Neudorf.

Delphine Bernard (Collectif 92 Av du Rhin), Anne Schneider (collectif Sainte-Cécile), et Imène Sfaxi (candidate LR aux départementales sur le canton Strasbourg 3) Photo : PP / Rue89 Strasbourg / cc

La banlieue pavillonnaire comme variable d’ajustement

Sur le papier, les quatre projets à l’origine de cette « convergence des luttes » diffèrent : des bureaux sur un sol partiellement artificialisé pour l’avenue du Rhin, des logements sur un parc qui appartient à un couvent pour la rue Sainte-Cécile, et des immeubles collectifs pour remplacer des pavillons vendus par leur propriétaires privés dans la rue de Cernay et celle de Saint-Ignace au Neuhof.

La porte-parole du collectif Saint-Ignace, Anne Schaefer, redoute que son quartier pavillonnaire et les deux gîtes de France qu’elle gère à deux pas de la Forêt du Neuhof ne pèsent pas lourd face à la tension foncière et à la nécessité de préserver les sols :

« On a bien compris qu’il y avait une stratégie de ne pas refaire la ville sur la ville, tout en limitant l’artificialisation des sols. La seule solution qui reste à la municipalité, c’est de construire des immeubles à la place du pavillonnaire. Mais cela veut dire tuer l’esprit village du quartier. »

Elle partage avec les trois autres collectifs une certaine frustration conjuguée au sentiment d’impuissance face à des promoteurs immobiliers qui avancent parcelle par parcelle :

« On commence à voir des annonces immobilières conçues pour attirer directement les promoteurs. J’en ai vu une pour une maison rue Saint-Ignace publiée sur Le Bon Coin. Elle précisait d’emblée que le terrain était constructible pour plusieurs pavillons ou bien un immeuble collectif. Si c’est un promoteur qui l’emporte, ça sera encore plus de béton ! »

Dans le Neuhof, le remplacement des pavillons par des immeubles ne se fera pas sans heurts Photo : document remis

Des réunions d’information pas de concertation, peu de concessions

Dans la rue Sainte-Cécile tout près du stade de la Meinau, Anne Schneider ne digère pas davantage cette soirée de février, où une visio organisée par la Ville et le promoteur immobilier Stradim l’ont mise devant le fait accompli. Leurs voisines, les sœurs du Couvent de la Croix ont vendu un bout de leur parc pour financer leur retraite et des projets en Afrique. Le futur voisin s’appelle « Les jardins d’Adèle » : un immeuble de 3 étages. Quelques jours après la fameuse visio, le permis de construire était accordé. Anne Schneider et ses voisins devront se contenter des quelques concessions du promoteur, en ayant eu le sentiment que tout était plié avant même qu’ils n’aient élevé la voix :

« On comprend la position des sœurs et leurs besoins. Nous sommes allées les rencontrer pour signifier que notre opposition au projet n’était pas une marque d’hostilité. Mais on a été très surpris de les entendre utiliser le même vocable que le promoteur, et nous assurer que ce serait un “petit ensemble” qui s’intégrerait dans le quartier. On leur a répondu que le “petit ensemble” ferait quand même 17 mètres de haut. Elles n’avaient rien à nous répondre ! »

Dans la rue de Cernay, Jean-Marcel Brûlé a senti le coup venir un peu plus tôt. La faute à un géomètre peu discret venu faire des mesures. Cet ancien membre des instances de démocratie locale que sont les conseils de quartier a lui aussi vu trop d’immeubles sortir de terre pour ne pas connaître la musique. Le permis de construire a été délivré le 22 février 2021.

Une pétition déposée non sans difficulté

Au-delà de l’opposition spécifique qui les réunit, ils veulent aussi préparer l’avenir, et être informés des projets immobiliers futurs bien avant que la Ville et les promoteurs n’aient topé. C’est l’esprit de la pétition qu’ils ont déposé sur le site de la Ville de Strasbourg qui demande :

« Une information sur le PLU et ses modifications devrait être organisée par les directions de Territoire, dans chaque quartier de la ville. Ceci permettrait aux habitants risquant d’être impactés par une nouvelle construction, d’en être informé en amont par la connaissance des projets possibles dans son environnement immédiat. »

Extrait de la pétition

« Ce n’est pas nous qui parlons de co-construction en permanence. On aimerait bien la voir en pratique », tâcle Delphine Bernard. Si une municipalité ne peut faire ce qu’elle veut sur les ventes privées malgré son droit de préemption, rien ne lui interdit de communiquer sur un projet immobilier bien avant qu’un permis de construire ne soit délivré. Il a pourtant fallu se battre avec la Ville pour que la pétition soit acceptée, regrette Jean-Marcel Brûlé :

« Ils ont d’abord refusé la pétition, sous prétexte que tout ce qui touche au PLU relève des compétences de l’Eurométropole, et non de la Ville. C’est bien la preuve qu’ils ne l’ont pas lue, parce que nous ne demandons aucun amendement, simplement de la transparence sur les projets immobiliers qui se profilent. »

Des banderoles accrochées au gymnase qui jouxte le terrain de basket Photo : Pierre Pauma / Rue89 Strasbourg / cc

S’inspirer de la Robertsau ?

Dans l’après-midi, Delphine Bernard a un peu pesté en regardant le conseil municipal, qui n’a pas manqué d’aborder le problème de la bétonisation. Ses compagnons de lutte ont un œil braqué sur le centre administratif, mais aussi un autre sur la Robertsau. La municipalité vient de renoncer à un projet d’agroquartier de quelques 1 000 logements sur 29 hectares de terres agricoles, et préempté plusieurs terrains convoités par des promoteurs. « C’est bien la preuve que quand les riverains se mobilisent, ils peuvent être entendus » se réjouit Anne Schneider. 

Quant au projet de bureaux au 92 avenue du Rhin, le dossier traîne : aucune nouvelle du permis de construire, qui aurait dû être délivré en avril. Jean-Pierre Soares, membre du collectif de l’avenue du Rhin, y voit une bonne raison d’espérer :

« On n’a toujours pas de nouvelles, alors que la vente a été votée il y a trois mois… À mon avis, il y a de bonnes chances que projet évolue encore. »


#bétonisation

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