« Il faut regarder la réalité en face, les résultats ne sont pas bons. » Le mot est de Frédéric Pfliegersdoerffer, maire de Marckolsheim mais surtout directeur de l’Observatoire de la nappe du Rhin (Aprona) et il faisait référence aux conclusions d’une dernière étude sur la qualité des eaux souterraines liées à la nappe du Rhin, présentée jeudi 15 novembre.
On s’en doutait un peu. En 2017 déjà, des résultats de mesures publiés par l’Aprona en donnaient un avant-goût. L’observatoire alsacien et ses homologues suisse et allemand avaient été bien inspirés en élargissant le spectre de ce programme transfrontalier. L’Aprona avait recherché 137 pesticides et métabolites (molécules issues d’un processus de dégradation naturel des pesticides) au lieu de 43 sur l’étude précédente en 2009. On découvrait alors que 28,5% des échantillons prélevés dans la nappe phréatique en Alsace, et jusqu’à 39,7% des points dans le Sundgau contenaient des excédents de pesticides… au lieu des 10% estimés huit ans plus tôt, en 2009.
Certes, l’Aprona, son homologue du Bade Wurtemberg (la LUBW) et l’Office de protection de l’Environnement et de l’énergie du Canton de Bâle, sont exigeants. Ils souhaitent que l’eau brute présente dans la nappe remplisse les mêmes critères de qualité qu’une eau traitée pour la consommation. Impossible par endroits, en raison du fer et du manganèse présents dans le sol. En revanche, les nitrates, pesticides et autres résidus de produits pharmaceutiques ne sont pas arrivés tout seuls. Un objectif qui agace du côté des industriels. En témoigne ce commentaire d’une représentante de BASF, le géant allemand de la chimie :
« Vous noterez qu’il existe d’autres indicateurs que ceux que vous utilisez pour vos études, à savoir ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et que vous avancez des chiffres obtenus sur de l’eau brute, avant traitement. »
Avant la pollution, la question des standards
Les indicateurs de l’OMS sont plus tolérants que les standards européens et allemands qui servent de référence pour l’étude. Miguel Nicolai, expert en substances toxiques pour l’Agence de l’Eau Rhin Meuse (AERM), assume :
« On veut que l’eau brute ait la même qualité que l’eau distribuée. Cette nappe, c’est un patrimoine naturel commun que nous souhaitons préserver au maximum. »
Un participant renchérit :
« J’ai pu connaître la période à Strasbourg, où il suffisait dans les jardins ouvriers de creuser pendant une heure pour avoir de l’eau potable. J’ai passé ma vie à défendre l’intérêt économique de l’eau, je ne sais pas si on connaîtra de nouveau cette situation un jour. »
Seuils de pollution dépassés dans 44% des points d’eau analysés
Selon cette étude transfrontalière, 40% des points d’eau analysés enfreignent au moins un critère de potabilité, c’est à dire un critère qui permet de décider si l’eau est potable ou non. 16,2% supplémentaires présentent au moins un critère au-delà du seuil d’alerte (80% de la concentration limite). En Alsace, l’augmentation du nombre de critères analysés fait passer le pourcentage de points « non-potables » de 28% en 2009 à 38% en 2016. La Rhénanie-Palatinat affiche le taux le plus inquiétant avec 63% de ses points prélevés, 50% pour la Hesse, et 34% pour le Bade-Wurtemberg.
Baisse des nitrates : Le Bade Wurtemberg en exemple
Première cause de pollution sur l’ensemble de la nappe, la concentration de nitrates reste stable entre 2009 et 2016. 17% des points mesurés dépassent le seuil de potabilité fixé par l’Union Européenne (50 mg/L). La situation est plus critique dans les régions agricoles, comme la Rhénanie Palatinat où 30% des points mesurés dépassent le seuil. Dans le Bade Wurtemberg en revanche, la qualité de l’eau est meilleure avec une baisse de 18,2% à 16,1% entre 2009 et 2016.
Une légère amélioration que Magarete Finck, responsable de la protection des eaux au centre technique agricole Augustenberg, attribue aux mesures récentes. Le Land allemand a mis en place des prairies permanentes et des couvertures hivernales des sols pour éviter le lessivage par les eaux de pluie. Deux indicateurs sur lesquels le Bade Wurtemberg est meilleur que l’Alsace.
L’Alsace affiche le taux de dépassement le plus bas (10,8%), mais avec une légère augmentation entre 2009 et 2016. La situation reste préoccupante sur le versant ouest de la nappe, de Colmar à Haguenau.
Des pesticides interdits depuis 15 ans toujours présents dans le sol alsacien
Sur l’ensemble des substances présentées le 15 novembre, 41 disposent de seuils sur l’eau potable reconnus par l’Union Européenne. À savoir, 0,1 µg/L pour une substance, et 0,5 µg/L pour l’ensemble des substances retrouvées dans l’échantillons. 14% des points étudiés sur la nappe présentent des concentrations de pesticides supérieures à ces taux de potabilité (9% en 2009). La encore, le sud de l’Alsace et la Rhénanie-Palatinat sont particulièrement touchés. Notamment par une substance toujours présente malgré son interdiction : l’atrazine.
Interdit en Allemagne en 1991 et en 2003 dans l’ensemble de l’UE, cet herbicide restait présent dans plus de 30% des prélèvements. Un de ses métabolites, le deisopropyl desethyl, présentait des doses excessives dans 10,4% des cas (15,3% sur la nappe d’Alsace, et plus de 30% dans le Sundgau). Une conséquence en Alsace de la culture intensive du maïs. Celle-ci a depuis trouvé un substitut, source de nouvelles inquiétudes : le s-métolachlore, détecté pour certains de ses dérivés dans 90% des tests en Alsace. Si les dépassements de potabilité de concernent que 2,5% des cas pour l’instant, la substance pourrait poser problème dans les années à venir…
23 métabolites ne font pas l’objet d’une réglementation européenne, mais ont tout de même été inclus dans l’étude. Les dépassements restent relativement marginaux (5,8% pour le taux de dépassement de l’alachlore ESA, uniquement le fait de l’Alsace). Mais leur présence a été détectée dans 73% des points mesurés.
Micropolluants : « on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas »
Nouveauté de l’étude transfrontalière : les analyses s’élargissent à de nouveaux micropolluants jusque-là difficilement détectables. Le directeur adjoint de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, Guy Dietrich, juge cette étape nécessaire comme prélude à l’action :
« On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Et plus on va avancer dans la connaissance, plus on va découvrir des molécules qu’on ne cherche pas encore. »
Parmi les nouveautés dans l’étude 2016, on note la mesure de concentration des per- et polyfluorés (PFC). Suspectés d’être cancérigènes et mutagènes, ces composants aux multiples propriétés ont de nombreux usages industriels : produits anti-incendie, imperméabilisants, antiadhésifs, produits d’hygiène… On les retrouve dans 66% des points de mesure, avec parfois un cocktail de composants aux effets difficilement prévisibles. Dans 15% des cas, au moins 6 substances ont été retrouvées dans un échantillon. Les concentrations les plus fortes sont aux abords des villes : Bâle, Rastatt, l’aéroport de Francfort, mais aussi Colmar.
Les adjuvants alimentaires font eux aussi leur entrée dans l’étude transfrontalière avec quatre édulcorants ainsi que la caféine. On les retrouve dans 52% des zones étudiées, avec là aussi un pic sur les zones urbaines (100% du canton de Bâle), mais aussi 77% des points d’étude en Alsace. Le seuil référence de 0.1 µg/L est dépassé dans 26% des cas. Leur présence coïncide avec celle des résidus de produits pharmaceutiques, et renforcent les preuves de pollution urbaine.
En tête des substances pharmaceutiques retrouvées dans la nappe du Rhin, on retrouve un antiépileptique, la carbamazépine, présent dans 19% des points de mesure, et 32% en Alsace. La plupart des doses excédentaires se retrouvent en ville ou près des stations d’épuration. Le canton de Bâle, touché dans sa quasi-totalité, mise sur une gestion des fuites dans les canalisations, et sur une étape de traitement de l’eau supplémentaire.
Nouvel ennemi : le réchauffement climatique
Difficile en Alsace de ne pas interroger les pratiques agricoles, tout en y mettant les formes. Conversion au bio ou à l’agriculture raisonnée, maîtrise de l’usage des pesticides et des nitrates, des efforts ont été faits estime Danielle Bras pour la Chambre d’agriculture d’Alsace. Mais tous s’accordent à dire qu’il en faut plus. Pour Frédéric Pfliegersdoerffer, il est temps de « changer de braquet ». D’autant plus que les récentes sécheresses risquent de diminuer la dilution des substances relevées.
Observateur de la toxicité de l’eau en Alsace et en Lorraine, Miguel Nicolai a déjà observé une hausse de la pollution sur le versant lorrain. L’expert en toxicité de l’eau redoute également que les agriculteurs recourent massivement aux nitrates pour compenser les baisses de rendement annoncées.
« Sur les nitrates on arrive à un moment où on arrête de grossir. C’est très bien, mais il serait aussi temps de commencer à maigrir. On a laissé penser qu’on pourrait s’en sortir avec des demi-mesures, mais ce n’est pas le cas. »
Lors de la prochaine étude en 2022, la France ambitionne de baisser son utilisation de phytosanitaires d’au moins 25%. L’Aprona se fixe un nouvel objectif : mesurer la concentration de bisphénol A et de parabène.
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