L’affaire a été entendue fin 2012, quelques mois avant le référendum sur le conseil unique d’Alsace. Guy-Dominique Kennel, président du conseil général du Bas-Rhin, a obtenu satisfaction de la part de Philippe Richert, président de la Région Alsace : plus question pour le conseil général d’éponger la quasi-totalité du déficit du Musée Lalique de Wingen-sur-Moder, voulu par Philippe Richert, prédécesseur de Guy-Dominique Kennel à la tête du Département et élu du canton de la Petite-Pierre, où se trouve Wingen.
De 105 000 à 582 500€ : « Un simple rééquilibrage »
Alors que la participation de la Région Alsace était jusqu’à présent plafonnée à 105 000€ par an pour le fonctionnement de la structure, sur ses 1,67 million d’euros de budget, elle passera en 2013 à 582 500€. Ce changement apparaît dans les statuts révisés du syndicat mixte gestionnaire du Musée Lalique, dont Philippe Richert a pris la présidence au décès de Gaston Dann en janvier 2013. Le président du conseil régional et du syndicat mixte note :
« Il s’agit d’un simple rééquilibrage. La demande de Guy-Dominique Kennel était légitime. Nous avons fait la même chose pour le Mémorial d’Alsace-Moselle, l’Ecomusée d’Alsace ou le Hartmannswillerkopf. »
Les nouveaux statuts du Musée Lalique
Etienne Wolf, maire de Brumath, conseiller général et membre du comité syndical du Musée, confirme :
« Les deux présidents se sont mis d’accord en fin d’année dernière, parce que le Musée Lalique, qui marche très bien, a une dimension plus régionale que départementale. Ce Musée, qui a été voulu par Philippe Richert, est une émanation du conseil général. Nous n’avons rien de comparable dans le Département. L’autre structure que l’on gère, le Haut-Kœnigsbourg, n’est pas déficitaire. »
Fréquentation satisfaisante, mais en baisse
Un musée qui creuse chaque année 1,2M€ de déficit, mais fonctionne très bien ? C’est ce qu’affirme la directrice Véronique Brumm :
« Nous prévoyions au départ 50 000 visiteurs par an, nous en avons eu 100 000 entre juillet 2011 et juin 2012, 80 000 la deuxième année. Nous avons très peu de visiteurs gratuits, moins de 20%, contrairement aux musées de Strasbourg où les entrées gratuites représentent environ 50% du total. Par ailleurs, 85% des visiteurs du Musée Lalique sont français.
La billetterie rapporte un peu plus de 400 000€ par an, la boutique 300 000€, mais ce dernier budget est à part. Nous faisons 40% de bénéfices sur cette somme [ndlr, soit 120 000€], comme n’importe quelle boutique Lalique en régie directe. »
A la boutique du musée, les pièces sont scénarisées comme dans une boutique Lalique classique et les prix, alignés sur ceux pratiqués par la marque de luxe dans sa boutique strasbourgeoise ou celle de la rue Royale à Paris. La vendeuse et agent d’accueil du musée précise d’ailleurs :
« Les visiteurs du musée achètent de temps en temps, notamment des petits poissons colorés, très appréciés, mais nous avons aussi des clients qui viennent des environs pour faire des cadeaux de mariage par exemple. L’avantage, c’est que nous sommes à côté de l’usine et que nous pouvons avoir les pièces rapidement. »
Une boutique sur fonds publics
Une boutique Lalique financée sur fonds publics ? C’est l’un des éléments du dossier qui fait grincer les dents de Pernelle Richardot, élue PS d’opposition à la Région Alsace. Pour elle, « le contribuable subventionne largement une entreprise privée encore en activité ». Par ailleurs, l’accord entre le syndicat mixte et la société privée stipule que le nom Lalique peut être utilisé par le musée pendant 10 ans, renouvelables. Encore faut-il que le standing du lieu corresponde aux critères de la marque, qui a donc son mot à dire sur la tenue du musée.
L’élue d’opposition martèle :
« Tous les clignotants sont au rouge pour faire de ce musée un Bioscope bis [ndlr, qui a fermé après quelques années d’exploitation seulement]. On a fait là un Musée de France sans collection, sachant que le rapporteur de la loi sur les Musées de France en 2002 n’était autre que Philippe Richert lui-même. Des acquisitions en continu sont donc faites aux frais des Alsaciens !
Par ailleurs, la dimension internationale qu’on veut donner au musée est incompatible avec la taille de la salle d’exposition temporaire, trop petite. Faire quelque chose en Alsace du nord sur l’industrie verrière avait sa pertinence, mais que Wingen ait son musée, alors que Saint-Louis et Meisenthal proposent déjà des choses pas loin, c’est juste le fait du prince ! »
« Acharnement pour exister politiquement »
Un « acharnement pour continuer à exister politiquement », tacle Philippe Richert. Pour lui, Pernelle Richardot, adjointe au maire de Strasbourg, ferait mieux d’éplucher les comptes des musées strasbourgeois. Le président du conseil régional, chiffres de fréquentation et recettes 2008 à l’appui, juge le « ratio bien meilleur pour le Musée Lalique que pour les musées de Strasbourg ». Il ajoute :
« Des touristes se déplacent d’autres régions, d’autres pays pour visiter ce musée. Alors que si l’on veut visiter un musée d’art moderne dans la région, on va plutôt à Bâle qu’à Strasbourg ! Nous sommes en train d’asseoir la reconnaissance internationale du musée, avec notamment des collectionneurs qui nous font des dépôts réguliers, gratuitement. »
« Folie des grandeurs »
Reconnaissance internationale ? « Ce ne sont pas les 42 Japonais accueillis en 2012 qui vont justifier la traduction des menus du Crista’Lion, la cafète du musée, en nippon », s’amuse une source proche du dossier qui dénonce, sous couvert d’anonymat, la « folie des grandeurs » de Philippe Richert. La localisation de ce musée, accessible quasi-exclusivement en voiture, la création de son parking en zone Natura 2000, son coût d’investissement (13 millions d’euros) sont également pointés du doigt.
A noter que le Musée Lalique a été installé dans les anciens bâtiments d’une verrerie de Wingen-sur-Moder, à quelques centaines de mètres de l’usine Lalique toujours en activité. Là, un trafic d’objets d’art a été démantelé début juin.
Y aller
Musée Lalique, rue du Hochberg à Wingen-sur-Moder. Possibilité d’accès en TER par la ligne Strasbourg-Sarreguemines (45 minutes), marcher ensuite sur 2 kilomètres. Contact : 03 88 89 08 14.
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