À la PowerHouseGaming, on forme aux métiers de l’e-sport. L’e-sport ? C’est la professionnalisation du jeu vidéo en réseau : des joueurs professionnels pratiquent à un très haut niveau des jeux sur ordinateur parmi les plus répandus dans la discipline, comme League of Legends, Fifa, Counterstrike, et, de plus en plus, Fortnite. Il est bien question de sport, car l’activité en reprend toutes les caractéristiques : il y a des tournois avec des équipes, des prix, des entraînements intensifs, des classements…
Devenir « joueur pro », c’est le rêve qui anime certains jeunes gamers (joueurs en anglais), et qui les a poussés à se tourner vers une des premières et rares écoles du genre en France, située rue des Trois-Rois à Mulhouse, avant de se rendre compte qu’il y avait d’autres métiers dans le secteur. Car l’école (dirigée par un passionné, Terence Figueiredo) forme en fait à tous les métiers de l’e-sport, de l’organisation au coaching, en passant par le community management ou le métier de technicien réseau. Différentes carrières que comptent embrasser les 24 élèves de la promotion 2017, et les 48 étudiants qui sont sortis en 2018.
Passer du rêve de joueur à agent de joueur
Théo (qui se fait aussi appeler « Mew », car comme tous les gamers, il a un pseudo), 20 ans, est l’un d’eux et s’est découvert une envie de transmission :
« Je sors d’une licence de psychologie. Je pratiquais les jeux vidéos à côté des études et quand j’ai appris qu’on pouvait peut-être en vivre, je suis arrivé dans cette école en voulant devenir joueur professionnel. Mais j’ai réalisé que le rythme des entraînements intensifs, ça ne me plairait pas. J’ai pensé à un métier qui intégrerait le volet psychologie et je pense maintenant devenir agent pour joueurs. »
Il explique qu’il y a trois agences de joueurs professionnels d’e-sport en France, dont une où il a déjà effectué un stage au printemps. Il a été encouragé par l’école à cumuler les activités :
« Toute l’année, les étudiants ont des projets personnels et doivent parfois partir pour les mener à bien, ils sont aidés par l’école, parfois financièrement, pour aller passer un entretien d’embauche ».
Cours le matin, jeu vidéo l’après-midi
Une liberté qui contraste avec l’emploi du temps rempli et chargé auquel doivent se plier tous les étudiants : entre 8h30 et 19h, les étudiants partagent leur journée entre cours de vidéo, de rédaction web, de streaming, gestion de projet ou management, avant de passer leur après-midi en entraînement et pratique du jeu.
Par contre, ils peuvent adapter leur journée de « travaux pratiques » et leurs « sessions en station » selon leur spécialité : joueur, monteur, ou animateur-streamer. Des compétences qu’ils mettent à l’épreuve pour le grand « examen final », les PG Series, un projet collectif d’organisation de tournoi. Cette année, il a eu lieu au Palais des sports de Mulhouse les 30 juin et 1er juillet.
Car les profils de ces jeunes témoignent d’une certaine diversité dans le recrutement de l’école, dont les seules conditions sont d’avoir le bac, d’être majeur… et d’avoir un très bon niveau aux principaux jeux (Diamant pour League of Legends, Master pour Overwatch, Global Elite pour Counterstrike). À leur disposition, chacun son matériel, des ordinateurs dont le prix va jusqu’à 2 200€. Ensuite, chacun peut ajouter son propre clavier, sa propre souris… pour être à l’aise. L’idée de la PHG est d’être autant une maison qu’une école (comme veut le montrer leur vidéo de présentation).
Quand les plus motivés veulent reproduire l’expérience
La quasi-totalité des élèves y vit en internat. Ils doivent participer à la vie de la communauté et gérer les espaces communs, dont la cuisine et le réfectoire. Ils ont un accès libre aux salles d’ordinateurs en-dehors des heures de cours et accès à une salle de sport. Les 10 mois de formation coûtent 8 000€, internat inclu.
Pour encadrer tout cela, c’est Giulian « Myos » qui s’en charge, lui qui est passé par la promo de l’an dernier, en sachant qu’il assisterait le directeur l’année suivante :
« Dès le début, le projet était que j’épaule le directeur pour ensuite monter une école similaire. J’ai donc suivi la formation, mais pas les sessions de coaching. Cette année, j’ai été embauché pour plusieurs missions. Je suis un peu le « coach de vie » des garçons, je leur fais par exemple des plannings de sport et je suis chargé du développement des partenariats. »
Ce passionné s’essaie à la gestion de projet mais ses plans sont un peu contrariés par le quotidien :
« Cela prend du temps de gérer la vie de l’internat. C’est épuisant quand on vit avec 48 garçons, des jeunes adultes qui n’ont pas forcément les automatismes, qui ont chacun leur caractère… »
Cette année, les jeunes ont entre 18 et 29 ans. Des jeunes qui découvrent le principe d’auto-gestion de l’école, où « chacun fait ses tâches et devient responsable de son lieu de vie », comme l’indique le site de l’école. Un quotidien similaire à une gigantesque colocation, avec ses travers en termes de rangement, de respect des lieux et des autres.
Pour Giulian, Théo, Brice et Antonin sont parmi les plus motivés :
« Ces trois jeunes, je les ai vus aider à motiver les troupes. »
Et les filles dans tout ça ? Giulian prévient que l’école n’est pas du tout réservée aux garçons :
« Il y a des chambres prévues pour les filles ! Il y en aura quelques unes à la rentrée 2018. Mais pour l’instant, le peu qui avaient postulé ne correspondaient pas aux profils recherchés par l’école. Trop de passionnées de jeux, pas assez de vraies ambitions professionnelles. »
Des passionnés qui veulent transmettre
Pour Théo, les conditions de vie à l’école sont « vraiment nickels ». À tel point qu’il restera encore à la PHG l’année prochaine… mais du côté des encadrants. Son ambition va plus loin que de se faire embaucher par une agence : il veut créer la sienne. Mais pour ça, il a « besoin de temps », et veut continuer à se former :
« Je serai une sorte d’aide psychologique pour les étudiants, je les aiderai sur leurs stations, dans les travaux pratiques et j’aiderai aussi les joueurs ».
Pour cela, il peut compter sur les conseils d’Antonin « Hookn ». Diplômé 2017, il voulait devenir joueur professionnel, mais révise temporairement ses ambitions :
« Quand je suis entré dans l’école, je sortais tout juste du lycée, avec un bac pro commerce en poche. Pour devenir joueur professionnel, je me suis concentré sur un jeu, League of Legends, et j’ai essayé de devenir très bon. Je n’ai fait que ça. En mars, alors que j’étais encore élève à l’école, j’ai été recruté par une structure semi-professionnelle, Nuit Blanche, qui m’a permis de jouer pendant 4 mois. Ça m’a permis de mettre un peu d’argent de côté. »
Pour gagner un peu d’argent, les joueurs comptent sur les gains des tournois et espèrent se faire remarquer auprès des sponsors. Les joueurs semi-professionnels peuvent gagner autour de 500€ par mois, alors que les « pros » peuvent espérer un salaire mensuel entre 1 500 et 3 000€. Le meilleur joueur français, Richard Papillon, a gagné plus de 100 000€ au cours de l’année 2016. Il n’avait pas suivi de formation spécifique, il a appris « sur le tas »… et avec beaucoup de pratique.
Maintenant, Antonin est coach League of Legends, à 19 ans à peine. Toute la semaine, tous les jours, il suit des joueurs, qu’il accompagne aussi aux tournois. Car comme les autres sports, l’e-sport demande une grande concentration et de nombreuses compétences : réflexes, acuité visuelle, stratégie, vigilance, précision, et une certaine hygiène de vie. Pour tout cela, les joueurs ont besoin d’être guidés par des pros ou semi-pros comme Antonin. Lequel vise encore le statut de pro, mais s’assure pour l’instant de « rester dans le milieu ».
Une nouvelle « PHG » en Bretagne ?
Non loin, Brice « Lapin », jeune breton de 22 ans, veut créer sa propre école d’e-sport. En attendant, il s’investit dans sa passion qui l’a mené à la « PHG », le jeu et le montage de vidéo, ou en d’autres mots, ses activités de streamer :
« J’étais en master de commerce international, et je me suis rendu compte que ce n’était pas ma passion. Ce qui me passionnait, c’était les jeux vidéos. Je me suis renseigné sur les écoles et celle-ci m’a paru la plus sûre. Mon projet était surtout de continuer à faire et diffuser des vidéos graphiques sur internet. »
C’est sur la plateforme Twitch que Brice partage sa passion. Comme les autres streamers, il diffuse non seulement ses sessions de jeux, mais publie aussi des vidéos best-of de ses prestations, ce qui lui permet de s’exercer au montage vidéo et au mixage.
Mais cette année scolaire l’a fait se rendre compte qu’il n’était pas fait pour l’intensif :
« J’ai fait un peu une overdose de jeux vidéos… Dans l’immédiat, je vais revenir chez moi, faire un peu le ménage dans ma vie, peut-être bosser un peu dans le commerce classique, pendant un temps, mais quand même bosser dans l’e-sport par la suite, avec comme projet de créer une école vers chez moi. »
La certitude de dessiner le futur du secteur
Une effervescence contagieuse qui vient peut-être de leur directeur. Pour Terence Figueiredo, l’essor de l’e-sport assure aux étudiants de trouver leur place quelque part, même si ce n’est pas en tant que joueur professionnel, d’autant plus qu’il estime que les compétences acquises en e-sport sont facilement transposables dans d’autres secteurs :
« C’est un domaine d’avenir, il y a de quoi faire ! J’ai confiance dans l’école. On rend les jeunes employables et on crée les nouveaux emplois ! Un jeune qui maîtrise une manette, y a-t-il meilleur conducteur de drones ? Les vidéastes, les streamers, ce genre de compétences qu’on développe ici, elles peuvent s’exporter dans bien des domaines. »
Convaincu et passionné, le jeune directeur s’est donné pour mission de développer l’e-sport dans la région, pour que de plus en plus de jeunes professionnels soient formés aux métiers de la discipline, grâce à une certaine institutionnalisation :
« Nous sommes en passe de créer trois écoles supplémentaires, hors d’Alsace. Ici, nous allons lancer une section sport-étude au lycée Louis-Armand de Mulhouse, et un bachelor e-sport avec les formations en sport de l’Université de Haute-Alsace et de l’Université de Strasbourg. »
En ce qui concerne la PHG, la formation est maintenant reconnue par Pôle Emploi, devrait bientôt être agréée par le ministère de l’Éducation nationale, d’après les mots du directeur.
Terence Figueiredo et ses élèves sont convaincus d’être des pionniers d’un domaine où la France est encore un peu à la traîne. L’e-sport s’y développe depuis les années 2010 et en 2016, la loi pour une République numérique a évoqué pour la première fois de la pratique du jeu vidéo en compétition en France et reconnu un statut officiel aux joueurs professionnels. Pour atteindre ce Graal là, la PHG est donc une des voies… pour ceux et celles qui s’accrochent.
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